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Classes moyennes en Europe: un statu quo menacé

Une étude comparée sur les classes moyennes dans les pays européens vient de paraître, qui est porteuse d’enseignements pour notre propre société1. La conclusion principale qui s’en dégage est la suivante: les classes moyennes sont plus nombreuses dans les pays où le poids de l’État dans l’économie est important et elles se maintiennent lorsque la redistribution par la fiscalité et les paiements directs aux ménages sont significatifs. Cette analyse n’est pas sans rappeler celle que nous avons effectuée sur les classes moyennes au Québec dans un billet précédent.

Constats européens
Les classes moyennes maintiennent leurs effectifs dans les pays européens et la moyenne de leur taille dans l’ensemble de la structure sociale est évaluée par Régis Bigot à 53% du total des ménages. Environ la moitié des pays étudiés ont réussi à maintenir la taille de leurs classes moyennes depuis 30 ans –notamment la France et les pays scandinaves– alors que l’autre moitié des 30 pays étudiés a vu leur proportion régresser (-6,8% en Allemagne, par exemple). Bien évidemment, le portrait risque d’être encore plus sombre dans certains pays en difficulté comme la Grèce ou l’Espagne, frappés par la crise de leurs finances publiques et par le chômage, lorsque les données d’enquête seront disponibles.

L’étude du CREDOC fait état d’autres constats: il n’y a pas eu de paupérisation des classes moyennes dans les pays européens et le taux de croissance des revenus s’est maintenu à peu près partout ces dernières années, mais à des rythmes moins soutenus qu’il y a 10 ans et la distance avec les ménages riches s’est accrue ces dernières années.

L’étude montre clairement que les classes moyennes sont plus nombreuses dans les régimes politiques ayant adopté des politiques sociales-démocrates que dans les pays pratiquant des politiques plus libérales (au sens d’une moindre présence étatique dans l’économie et le système social).

L’auteur de l’étude avance enfin que la cohésion sociale et la qualité du vivre ensemble telles que mesurées par différents indicateurs (confiance aux gens, vie associative, etc.) sont plus marquées dans les sociétés où la classe moyennes est la plus élevée. 

Vives inquiétudes
Malgré ce que donnent à penser les indicateurs mesurant leur situation, les ménages appartenant aux classes moyennes expriment de vives inquiétudes dans tous les pays, même dans ceux qui ne montrent pas de déclin de leurs effectifs. Ainsi, le pessimisme est-il fort prononcé en France dans les discours publics, et les ménages du centre estiment être trop pressurisés par la fiscalité très lourde même si, dans les faits, ils sont bénéficiaires de l’intervention étatique. Comment expliquer ce hiatus entre la situation objective des classes moyennes et la représentation sociale teintée de pessimisme observée presque partout?

Je connais au moins une dizaine de publications scientifiques qui documentent ces inquiétudes dans divers pays européens. Les appréhensions sont alimentées par les difficultés rencontrées par des ménages menacées par le chômage. Autres sources d’inquiétudes: la précarité des statuts d’emploi (notamment chez les jeunes) et la faible croissance des revenus de marché et de retraite (bas rendement des épargnes). À cela s’ajoutent les coupes dans les programmes sociaux et la tarification accrue dans les services publics (frais de scolarité en hausse dans plusieurs pays comme en Grande-Bretagne, non remboursements de certains frais médicaux, etc.).

L’incertitude qui pèse sur les finances publiques des États européens –dont l’action socio-fiscale aide les classes moyennes à maintenir leur place relative dans la société,  je le rappelle– risque donc de s’ajouter à l’incertitude qui tire sa source dans les difficultés que connaît l’économie de marché. Autrement dit, si les États européens ont réussi à soutenir leurs classes moyennes, auront-ils encore la capacité de le faire dans les prochaines années?

Dans un prochain billet, je décrirai les menaces qui pèsent sur les classes moyennes, aussi bien européennes que québécoises.

 

1 Régis Bigot, Les classes moyennes en Europe, Paris, Le CREDOC, Cahier de recherche 282, décembre 2011.

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  1. Publié le 2 avril 2012 | Par Simon Langlois

    Référence pertinente. Et la crise des finances publiques en Europe n'annonce rien de bon pour l'avenir de la redistribution qui a été importante dans les 30 dernières années. Le livre de Piketty cité dans un commentaire précédent est bien explicite sur les réformes à apporter dans le cas de la France. Mais on n'en parle pas durant la campagne électorale en France où je suis en ce moment pour quelques jours.
  2. Publié le 2 avril 2012 | Par Pierre Fraser

    Bonjour Simon,

    Voici un article paru dans le New York Times de ce matin qui fait écho à ton billet: «In Rich Europe, Growing Ranks of Working Poor» http://ow.ly/a1q3y.

    «These people are the extreme edge of Europe’s working poor: a growing slice of the population that is slipping through Europe’s long-vaunted social safety net. Many, particularly the young, are trapped in low-paying or temporary jobs that are replacing permanent ones destroyed in Europe’s economic downturn.»
  3. Publié le 1 avril 2012 | Par Simon Langlois

    Pierre,
    C'est une hypothèse à creuser. Ceci dit, les ménages français de classes moyennes ont le sentiment d'être surfiscalisés surtout à cause de la CSG (Contribution sociale généralisée) qui est devenue plus importante que l'impôt direct sur le revenu (voir livre de Thomas Piketty, Camille Landais et E Saez, Pour une révolution fiscale, 2011). Cette CSG n'est pas une taxe progressive mais une proportion du revenu consacrée aux charges sociales (santé, etc.). Avec le temps, le système français est devenu injuste (nombreuses niches fiscales, classes riches qui paient un taux d'impôt plus faible que chez nous, etc.), mais on en parle peu dans les débats électoraux (l'immigration et les actes violents comme à Toulouse prennent toute la place). Au quotidien, les ménages français (de classe moyenne) ont l'impression que leurs impôts augmentent plus vite que leurs revenus réels.
    Piketty a même proposé dans Le Monde de samedi 31 mars ceci: «Pourtant la solution est simple: un grand impôt unique progressif sur tous les revenus et prélevé à la source», soit... le système québécois!! Quand on se compare, nous voyons que notre système ne fonctionne pas si mal. Or, nous vivons une sorte de dérive en ce moment au Québec avec la naissance de l'équivalent d'une CSG (taxe de 200$ pour la santé, peu importe le revenu) qui ouvre la porte à un système comme celui qui a marqué une dérive vers une fiscalité non équitable en France. C'est un pensez-y bien!
  4. Publié le 1 avril 2012 | Par Pierre Fraser

    Bonjour Simon,

    Tu parles de paradoxe entre réalité objective et sentiment d'être
    «surfiscalisé». Et si, d'un côté, on avait une réalité objective comme
    quoi la classe moyenne n'est pas «surfiscalisée», et d'un autre côté, un
    sentiment d'être «surfiscalisé» parce qu'on serait trop endetté (146%:
    taux d'endettement moyen au Canada). Autrement dit, le fait d'être
    trop endetté nous ferait percevoir l'assiette fiscale comme trop importante
    par rapport à ce qu'elle est réellement (on reporte sur un autre objet notre
    propre problème d'endettement). Au lieu d'être un paradoxe, peut-être s'agit-il des deux pôles d'une même situation.

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