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Coopération internationale et réalité du terrain

Le gouvernement canadien met actuellement de l’avant sa Politique d’aide internationale féministe, qui a pour but de «promouvoir l’égalité des genres et contribuer au renforcement du pouvoir des femmes et des filles». Étant dans le domaine de la coopération internationale depuis plus de 20 ans, je me réjouis de cette annonce qui vise à soutenir les femmes de pays en développement, puisque les besoins y sont importants et beaucoup de travail y reste à faire.

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Toutefois, je ne peux m’empêcher de penser aux hommes et, en particulier, aux femmes —majoritaires— qui œuvrent dans les organisations non gouvernementales (ONG) canadiennes pour apporter cette aide sur le terrain. Leur emploi de globe-trotteur qui, en apparence, semble des plus exotiques n’est pas toujours facile. Cela nécessite beaucoup de déplacements dans des pays aux prises avec des situations complexes et implique de côtoyer une multitude de personnes issues de cultures différentes.

Un domaine méconnu?
À titre de responsable de la maîtrise en développement international et action humanitaire de ma faculté, j’ai vu plusieurs étudiantes qui, revenant d’un stage de fin d’études sur le terrain, ne sont plus certaines de vouloir exercer le métier de coopérante. Malgré l’intérêt et les apprentissages liés à leur expérience, elles mentionnent l’isolement parfois vécu dans des organisations ayant peu de ressources, des comportements déplacés et répétitifs de certaines personnes dans leur environnement de travail et la difficulté de concilier cet emploi avec leur vie personnelle.

Leurs témoignages m’ont particulièrement interpelée, car les femmes dans ce programme de maîtrise représentent plus de 70% des personnes inscrites. Les questions à se poser étaient simples: formons-nous majoritairement des personnes qui ne travailleront finalement pas dans le domaine? Négligeons-nous la réalité et les enjeux inhérents aux inégalités auxquelles sont confrontés les professionnels et les professionnelles du développement international? Ces questionnements étaient pertinents, les étudiants nous ayant fait part de leurs inquiétudes quant à la possibilité de conjuguer vie personnelle et travaill dans le domaine. Plus pertinents encore dans un contexte où les discours sur l’importance d’intégrer les femmes à des projets de développement international sont répandus, sans toutefois toujours être mis en pratique ou en étant peu adaptés aux réalités complexes et diversifiées des femmes visées par ces projets.

Pour répondre à ces interrogations, j’ai entrepris, il y a 2 ans, avec ma collègue ayant aussi fait carrière dans le domaine, Isabelle Auclair, un projet de recherche auprès d’ONG en développement international et en action humanitaire (DIAH). Nous souhaitions mieux comprendre la réalité de ces organisations et, surtout, les pratiques qu’elles mettent en place pour faciliter le parcours de leurs employés, particulièrement les femmes.

On se disait qu’en démystifiant ce type d’emploi, on favoriserait la rétention et la progression de ceux et celles qui y font ou qui souhaitent y faire carrière.

Des questions inutiles?
C’est avec enthousiasme que les organisations et les personnes ciblées ont accepté de participer à ce projet. C’était la première fois qu’elles avaient l’occasion de discuter de ce sujet, étant trop occupées à réaliser des projets sur le terrain pour penser à leurs conditions de travail!

Lorsque nous avons commencé notre collecte de données, la première réaction que nous avons eue des participants était: «Pourquoi étudier le sujet des inégalités? Le monde des ONG en DIAH est déjà plein de femmes! C’est même une femme, la Dre Joanne Liu, qui est à la tête de Médecins sans frontières». Ils avaient raison. Par contre, on leur a montré les chiffres qui indiquent que, dans le domaine, encore très peu de femmes occupent des postes décisionnels (pas plus de 15%), qu’elles sont surtout présentes dans de petites ONG bénéficiant de moins de ressources et qu’il existe un écart salarial entre les hommes et les femmes1.

Sur la base de ces données et à partir du témoignage des participants rencontrés (15 étudiantes et diplômées, 47 professionnelles et 12 gestionnaires), nous avons appris que les employés des ONG ont effectivement beaucoup de difficulté à concilier vie personnelle et vie professionnelle, puisque ce métier exige un dévouement presque total sur le terrain. Ils doivent travailler de nombreuses heures et réaliser de façon connexe une multitude d’activités, par exemple négocier un projet avec des autorités gouvernementales, apporter des services à une communauté vivant dans un village éloigné et porter assistance à des personnes dans des camps de réfugiés.

Parallèlement à la réalisation de tous ces projets —dont le budget est octroyé par des agences de développement—, il y a peu de place pour assurer les dépenses liées au rapatriement d’une coopérante enceinte ou pour développer des politiques de gestion de ressources humaines. Tout l’argent doit aller aux projets sur le terrain, et il appartient aux organisations de négocier à la pièce avec le bailleur de fonds des ressources et des façons de soutenir leurs employés. Cette précarité amène souvent les femmes à se retirer volontairement de certains projets stratégiques faute de ressources ou de pouvoir effectuer les déplacements nécessaires. Celles qui vont de l’avant sentent souvent qu’elles doivent faire des choix entre leur carrière et leur vie personnelle, notamment en lien avec la maternité. Celles ayant des enfants soulignent l’importance centrale de leur réseau de soutien personnel dans l’organisation de leurs déplacements professionnels. D’autres, ayant consacré toutes leurs énergies aux exigences du métier, parlent avec une certaine amertume de ce déséquilibre créé au fil du temps.

Des solutions possibles?
Dans ce contexte, nous avons échangé avec les ONG de plus grande taille qui sont parvenues, avec le temps, à développer des pratiques intéressantes. En voici quelques exemples. Dès la conception d’un projet, il est possible de diminuer le nombre de déplacements sur le terrain et de prévoir un fonctionnement favorisant le travail à distance. Certaines ONG offrent aussi des congés payés avant et au retour des voyages pour mieux concilier emploi et vie personnelle et familiale. Elles offrent également une flexibilité dans les horaires de travail et permettent le télétravail. Il est aussi possible de planifier des semaines de travail plus convenables en augmentant la durée des projets. Une ONG nous a aussi rapporté qu’elle avait prévu un service de garde ponctuel en milieu de travail lors de journées pédagogiques. De façon plus structurante, une politique des congés de maternité, de paternité et de parentalité ainsi qu’une procédure en cas de harcèlement existent dans certains milieux.

Ces pratiques prouvent qu’il est possible d’amorcer un changement. Par ailleurs, notre recherche nous a montré qu’elles sont peu généralisées et parfois au stade de l’expérimentation.

Un témoignage éclairant
Cela dit, comme chercheurs, on se demande souvent si ce que l’on fait peut avoir une véritable incidence sur le milieu. Eh bien, je terminerai avec ce témoignage que j’ai reçu d’une coopérante. Au moment d’un entretien de groupe où elle était présente, je lui avais fait part de mon étonnement lorsqu’elle avait mentionné qu’elle n’avait plus fait de missions sur le terrain depuis qu’elle avait eu son enfant. Je comprenais qu’elle ne voyait pas la possibilité de le faire au sein de son organisation et qu’elle-même se mettait une barrière. Après de longs échanges sur le sujet pour trouver des solutions, j’ai eu l’occasion de la revoir lors d’une rencontre de partage des résultats avec les organisations. Elle est venue me remercier en me disant qu’elle avait discuté de la situation avec son gestionnaire, et qu’ils avaient ensemble réussi à trouver des ressources et une façon de faire permettant voyager en famille tout en travaillant avec ses partenaires terrain. Ceci n’est qu’un exemple, mais il contribuera probablement à faciliter le parcours d’autres personnes dans le domaine.

Au final, il apparaît que la réalité des employés sur le terrain devrait faire partie d’une nouvelle politique d’aide internationale féministe pour le développement. Ma collègue Isabelle et moi sommes convaincues que les échanges amorcés peuvent favoriser le changement, et que les conditions de travail des personnes travaillant dans ces organisations doivent davantage être prises en considération par les différentes agences gouvernementales ou autres bailleurs de fonds internationaux. «La promotion de l’égalité des genres et d’un monde plus inclusif» doit s’appliquer non seulement aux personnes visées par les projets de développement, mais aussi à ceux et à celles qui les mettent en œuvre.

1 Voir Damman, Heyse & Mills. 2014. «Gender, Occupation, and Promotion to Management in the Nonprofit Sector. The Critical Case of Médecins Sans Frontière Holland», Nonprofit Management and Leadership, 25(2): 97-111. et Coutu M. 2012. Du discours à la pratique: le genre et les opérations de paix des Nations Unies, (Mémoire de maîtrise). Université du Québec à Montréal, Montréal, Québec, Canada.

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