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Fabriquer l’exactitude au quotidien

Dans un monde où l’information circule de plus en plus vite à partir de sources de plus en plus nombreuses, la crédibilité du journalisme s’incarne plus que jamais dans un devoir de rigueur. Comme lecteurs, nous voulons pouvoir nous fier aux paroles, faits et chiffres cités dans un article.

L’exactitude est donc un souci majeur pour les journalistes, mais peut-on dégager de leurs pratiques au quotidien un ensemble de méthodes de vérification qu’on puisse ériger en modèle? Rien n’est moins sûr, d’après les résultats d’une étude tout récemment publiée, que j’ai réalisée avec le professeur Ivor Shapiro de l’Université Ryerson, Isabelle Bédard-Brûlé (doctorante à l’Université Laval) et Kasia Mychajlowycz (M.A., Ryerson).

Les journalistes publient généralement les propos des politiciens sans les contre-vérifier.

Les journalistes publient généralement les propos des politiciens sans les contre-vérifier.

 
Nous avons interrogé 28 journalistes de la presse écrite quotidienne, au Québec et en Ontario. Ces entretiens portaient sur leurs attitudes et perceptions générales quant à la vérification, ainsi que leur démarche spécifique de vérification pour un texte présélectionné. La moitié des participants ont été retenus à partir d’articles récompensés par un prix d’excellence journalistique, les autres par un échantillonnage semi-aléatoire d’articles de longueur comparable.

Bien que l’exactitude soit une valeur professionnelle fondamentale, d’après ces entretiens, les moyens utilisés pour la respecter sont variables et peu systématiques. Nous avons d’ailleurs trouvé peu de lignes directrices à ce sujet dans les manuels et autres guides destinés à la formation des journalistes, bien que la plupart des programmes d’enseignement comprennent des cours de méthodologie.

Une méthode à géométrie variable
La vérification va de soi lorsqu’une information peut être aisément vérifiée: l’orthographe d’un nom propre, par exemple. Par contre, une déclaration ambiguë (mais factuellement contestable) d’une source sera généralement citée sans contre-vérification (une pratique déjà abordée ici). Une deuxième source, voire une troisième, sera sollicitée seulement si l’information est jugée controversée, si des sources indépendantes sont facilement accessibles ou si la fiabilité de la source originelle est en cause.

Bref, ce n’est donc pas tant la valeur d’enjeu de l’information que la simplicité d’exécution qui semble déterminer la stratégie de vérification.

Il faut noter également que la crainte de poursuites judiciaires, l’impact sur la crédibilité individuelle ou sur celle du journal sont de puissantes motivations pour assurer l’exactitude –ou éviter de publier des informations incertaines.

Les journalistes que nous avons interrogés étaient dans l’ensemble conscients des limites de leur approche de vérification, de l’écart entre l’idéal et la pratique. Le manque de temps n’est généralement pas cité comme une cause de cet écart, sans doute parce que les journalistes s’accommodent assez bien de cette contrainte inhérente à leur travail. Plusieurs d’entre eux nous ont confié par ailleurs qu’ils adaptaient leur approche de vérification aux contraintes de chaque situation.

À défaut d’élaborer un modèle général de la vérification journalistique, nous avons tout de même réussi à regrouper un certain nombre de pratiques communes, ce qui pourrait s’avérer utile à des fins de formation et de développement professionnel. Le journaliste et blogueur Craig Silverman vient d’ailleurs de consacrer un billet à notre étude sur le site de la fondation américaine Poynter.

Un langage imagé
Nous avons décidé d’ouvrir une nouvelle phase de recherche pour explorer l’emploi de métaphores pour justifier et expliquer les pratiques de vérification. Bien que la norme d’exactitude suggère une approche quasi scientifique, les journalistes ont surtout recours à des images pour décrire leur travail de vérification. En un sens, on pourrait dire que ce sont davantage des littéraires que des scientifiques!

Les journalistes utilisent fréquemment des métaphores guerrières («ligne de défense», «bain de sang») pour décrire leur travail de vérification et en particulier leur relation avec leurs sources d’information. Même si cette relation implique une part de collaboration et de confiance, ces images traduisent une attitude d’opposition et de scepticisme que cultivent les journalistes à l’égard des autres. Comme le dit un des participants à l’étude, «Si un journaliste veut un ami, il adopte un chien».

Cette étude a été réalisée grâce au soutien financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH).

En accès libre et en français, des résultats préliminaires de l’étude publiés en 2011.

Compte rendu de l’étude dans Le Devoir (pour abonnés seulement).

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