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Faire ses classes en milieu minoritaire

Pour amorcer une carrière en journalisme, certains de nos finissants décident de s’exiler hors Québec. Autant par goût d’aller voir ailleurs que pour profiter des débouchés professionnels, ils partent dans l’Ouest, en Ontario, en Acadie. La plupart reviennent après quelques années, avec un regard nouveau sur leur coin de pays et leur langue.


Selon mon collègue Thierry Watine, responsable des stages en journalisme au 2e cycle, ce choix figure rarement dans le plan de carrière initial des étudiants. Mais au cours de leurs études ou lors de leur stage, en particulier à Radio-Canada, on leur conseille souvent de faire leurs premières armes dans le métier «en région», au Québec ou au Canada. Il estime que chaque année, un ou deux finissants partent travailler hors Québec. Un tremplin professionnel remarquable, à son avis.

En préparant ce billet, j’ai discuté avec une dizaine d’anciens étudiants de l’Université Laval qui ont fait l’expérience du journalisme en milieu minoritaire. La plupart d’entre eux m’ont confié que leur motivation première était un désir d’aventure, une volonté de découvrir des réalités méconnues. Pas surprenant pour un métier où la curiosité est une qualité essentielle! Pour plusieurs, c’est aussi l’occasion de perfectionner son anglais.

«Tant qu’à aller explorer, je préférais aller dans une grande ville. J’avais aussi envie de vivre dans une province anglophone.» Alexandra Prescott (Consommation 2005; Journalisme 2009), 3 ans à Edmonton dont une année comme journaliste à Radio-Canada et au journal Le Franco.

«Je préfère grimper les échelons d’une province à l’autre plutôt qu’au sein d’une boîte.» Amélie Marcoux (Communication publique 2009, Journalisme international 2011), Radio-Canada Manitoba

«On peut devenir ce qu’on veut, briser des barrières, ce qu’on ne peut pas faire au Québec.» Catherine Dulude (Journalisme international 2012), Radio-Canada Manitoba

Une occasion inespérée
On retrouve ces jeunes journalistes majoritairement à Radio-Canada, mais aussi dans la presse hebdomadaire, dans des petites équipes où le taux de roulement est élevé. Ils y profitent d’une occasion inespérée de développement professionnel et obtiennent parfois leur permanence quelques mois à peine après leur arrivée. On leur confie des tâches et des responsabilités très rapidement. Ils évoluent dans un contexte moins concurrentiel que celui de Québec et de Montréal. Des patrons ou des collègues plus expérimentés leur servent de mentors, mais la moyenne d’âge y est généralement peu élevée. Ils se réjouissent de l’énergie et de l’enthousiasme qui règnent dans la salle de rédaction, mais reconnaissent parfois qu’elle manque un peu de mémoire.

«Les jeunes journalistes arrivent et sont impressionnés, ils découvrent des sujets, comme le canal de dérivation (qui protège la ville de Winnipeg des inondations printanières) et veulent  y consacrer des reportages, alors que ces sujets sont archi-connus du public.» Marie-Christine Gagnon (Communication publique 2001; Arts et traditions populaires 2003; Ethnologie des francophones en Amérique du Nord 2006), 6 ans à Radio-Canada Manitoba, maintenant chef d’antenne du Téléjournal-Est du Québec.

«Quand on ne connaît pas les débats, les villages, la communauté… en ondes, ça paraît.» Amélie Marcoux (Communication publique 2009, Journalisme international 2011), Radio-Canada Manitoba

Se mettre au diapason
Une fois arrivés dans ces terres inconnues, tous font leurs devoirs et essaient d’éviter les erreurs grossières –dans la prononciation des toponymes, par exemple. Ils s’efforcent de se montrer curieux, respectueux et ouverts face à des communautés «tricotées serré» dont les acteurs s’opposent parfois au travail de critique des médias.

«Quand on touche aux institutions, c’est difficile. Les gens s’attendent à ce qu’on en fasse la promotion. Il faut faire de l’éducation et de la sensibilisation pour expliquer qu’on n’est pas là pour faire de la publicité.» Nicolas Steinbach (Bac multidisciplinaire 2006), Radio-Canada Acadie

Comme Québécois de passage, ils constatent aussi rapidement qu’ils sont accueillis avec un peu de méfiance. Le sujet a même fait l’objet d’un roman intitulé… La maudite Québécoise!

La sénatrice franco-manitobaine Maria Chaput a d’ailleurs demandé à Radio-Canada de soutenir davantage la formation des jeunes journalistes aux réalités des communautés francophones, voire de participer plus activement au recrutement d’une relève locale. Même au Nouveau-Brunswick, malgré l’existence d’un programme universitaire en information-communication à l’Université de Moncton, l’accent acadien est minoritaire à l’antenne.

Il est plus rare que des francophones issus des milieux minoritaires deviennent journalistes au Québec. C’est le cas de Justin Dupuis (Biologie cellulaire et moléculaire 2005; Journalisme 2008), un Acadien du sud-est du Nouveau-Brunswick, qui a travaillé pour le quotidien L’Acadie nouvelle et à Radio-Canada Acadie avant de s’installer à Montréal, où il est aujourd’hui pupitreur à La Presse +. Il est revenu au Québec pour des raisons personnelles. «Mais comme la plupart des journalistes, je cherchais aussi un centre plus important, un milieu professionnel plus dynamique. Il n’y a pas tant que ça de débouchés en Acadie.»

Priorité à la communauté
En particulier dans les hebdos, les thèmes communautaires sont privilégiés en milieu minoritaire. L’éducation en français, la vie culturelle et associative occupent aussi une place importante aux nouvelles locales de Radio-Canada, de même que l’actualité générale «avec un accent français». On cherche le plus possible à garnir son carnet de contacts de noms d’interlocuteurs francophones ou bilingues.

Nicolas Steinbach (Bac multidisciplinaire 2006), qui a travaillé comme journaliste en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, a parfois dû faire preuve de diplomatie pour convaincre les gens de parler au micro. «Il fallait que j’use de persuasion, leur dire que leur accent était beau, qu’ils pouvaient en être fiers –que même si c’était chiac, c’était joli.» Quant au rapport des Acadiens aux Québécois, il se montre plutôt compréhensif. «Moi, ça me touche parce que je suis Belge, un peu comme le rapport avec la France, les Français qui se moquent de nous, cette espèce de paternalisme, de snobisme. Ils se sentent trahis par les souverainistes et surtout regardés de haut.»

Certains aspects de la réalité des francophones hors Québec sont difficiles à comprendre pour les nouveaux arrivants, qui trouvent les «minoritaires» peu revendicateurs et enclins à privilégier l’anglais dans leur vie quotidienne –tout en se définissant comme francophones.

«Il y en a qui se fâchent quand des francophones se parlent en anglais entre eux. Moi, je pose des questions, j’essaie de comprendre.» Catherine Dulude (Journalisme international 2012), Radio-Canada Manitoba

Le retour
La plupart de ces jeunes journalistes reviennent au Québec après quelques années, principalement pour se rapprocher de leur famille, m’ont-ils dit. Avec dans leurs bagages une conscience aiguë de la méconnaissance des Québécois à l’égard des communautés francophones minoritaires, causée en partie par leur faible présence dans nos médias.

À l’occasion du renouvellement des licences de Radio-Canada,le  sénateur franco-ontarien Pierre de Bané (Droit 1963) s’est appuyé sur une étude pour dénoncer le «québécocentrisme», voire le «montréalocentrisme» du Téléjournal. Un reproche qui n’est pas nouveau, mais qui se heurte à la réalité démographique et économique. Parmi les quelque 7 millions de francophones au Canada, 6 millions vivent au Québec.

«Mon expérience m’a donné une meilleure perspective sur le Canada anglais qui me servira dans ma carrière. Mon jugement sur le Québec est plus global, plus nuancé.» Stéphanie Rousseau (Journalisme international –finissante), Radio-Canada Edmonton

La dizaine de jeunes journalistes consultés pour ce billet recommandent tous sans hésiter de profiter d’une expérience professionnelle en milieu minoritaire. Plusieurs conseillent aussi de ne pas trop se presser de revenir, de prendre le temps de se familiariser avec ces milieux qu’on gagne à connaître.

Merci à Thierry Watine, Alexandra Prescott, Amélie Marcoux, Stéphanie Rousseau, Aude Brassard-Hallé, Marie-Christine Gagnon, Catherine Dulude, Nicolas Steinbach, Justin Dupuis, Stéphanie Allard.

Ce billet est la dernière participation de Colette Brin aux Blogues de Contact. Vous pouvez continuer de la suivre sur Facebook et Twitter.

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