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Fermeture de l’église Saint-Jean-Baptiste et fin des paroisses

Les grandes orgues de l’église Saint-Jean-Baptiste se tairont pour de bon à Québec le dimanche 24 mai 2015. Avec la fermeture au culte de cette magnifique église de style néo-empire, une page d’histoire sera tournée. Cette fermeture s’ajoute à celle de quantité d’autres lieux de culte catholique au Québec, ce qui témoigne de la défection des fidèles vis-à-vis la pratique religieuse dominicale, mais aussi de l’éloignement graduel des paroissiens des sacrements du baptême et du mariage religieux, et même des rites funéraires qui prennent de plus en plus place en dehors des églises.

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L’église Saint-Jean-Baptiste de Québec. Photo www.jeandominique.org

La fermeture au culte des églises est la conclusion logique de la disparition de la paroisse comme institution qui a encadré la vie religieuse et la vie quotidienne des Québécois pendant plusieurs siècles.

Vitalité de la paroisse
Revenons en arrière. La paroisse a longtemps été, après la famille, le lieu d’appartenance et d’ancrage des individus dans l’espace, au même titre que le quartier, la ville, la région et la nation. La paroisse a été, avec la famille, au cœur de la vie religieuse et de la vitalité du catholicisme québécois. La pratique religieuse dominicale rassemblait la grande majorité des fidèles à l’église le dimanche et lors des grands événements marquants du cycle de vie: baptême, mariage et service funéraire. «Comme la famille dans la vie temporelle, la paroisse est le milieu de formation spirituelle et, pourrait-on dire, de socialisation religieuse de l’individu», écrivait en 1953 le sociologue Jean-Charles Falardeau, l’un des meilleurs spécialistes de la paroisse canadienne-française.

Lorsque les Canadiens français ont peuplé de nouveaux territoires, ils ont érigé des paroisses canoniques et construit des églises. Migrants vers l’Ontario, l’Ouest canadien ou encore la Nouvelle-Angleterre, les Canadiens français se sont regroupés autour de leur église et ont tenu à défendre leur foi catholique et leur langue française au sein du cadre paroissial, avec l’appui de leur clergé.

En ce sens, l’Église canadienne-française a été une «Église ethnique», selon l’analyse de Lucia Ferretti. Pas étonnant qu’il y ait eu autant de conflits entre les évêques canadiens-français et les évêques irlandais, notamment en Nouvelle-Angleterre et en Ontario au XIXe et au début du XXe siècle.

Fin de la paroisse comme institution
Au XXe siècle, lorsque la société québécoise s’est rapidement industrialisée et urbanisée, le modèle paroissial a été maintenu dans les nouveaux quartiers urbains des banlieues, comme en témoigne la construction de très nombreuses églises au design moderne partout sur le territoire québécois. Pendant quelques décennies, l’Église catholique a tenté d’implanter le modèle de la paroisse au sein des villes, mais avec un succès limité.

Réfléchissant sur l’avenir, Falardeau avait bien anticipé, dès 1953, comment les mutations de la société québécoise affectaient déjà la paroisse: «La paroisse traditionnelle était fondée sur une communauté temporelle naturelle qu’elle encadrait, gouvernait, orientait. La paroisse de l’avenir, dans des univers sociaux hétérogènes, hypersocialisés, souvent anomiques, devra créer elle-même une conscience de communauté spirituelle»1.

Assez rapidement, la fréquentation des églises a baissé lorsque la pratique religieuse a diminué, à partir du milieu des années 1960. Par la suite, le développement urbain s’est fait en dehors de toute référence à l’institution paroissiale, et les nouveaux quartiers des banlieues et des espaces périurbains n’ont plus connu l’érection de nouvelles églises.

Photo www.jeandominique.org

Photo www.jeandominique.org

Fin du catholicisme ritualiste
Le catholicisme québécois a davantage été axé sur les rites liturgiques et le respect de prescriptions normatives contraignantes –pensons aux prônes d’un grand nombre de curés d’autrefois qui tonnaient du haut de la chaire– qu’animé d’abord et avant tout par des convictions. Un grand nombre de femmes âgées conservent le souvenir amer des injonctions du clergé, des normes imposées en matière de vie sexuelle et des «refus de l’absolution» encourus au confessionnal à la suite de «l’empêchement de la famille». D’ailleurs, cette frustration est ressortie maintes fois dans les débats récents sur la laïcité et le port du voile sous la plume de ces femmes qui ont connu cette époque.

Lorsque le contexte normatif a changé, l’édifice s’est lézardé et s’est même écroulé en bonne partie, ne laissant qu’un «catholicisme culturel», selon le jargon de la sociologie. Ce n’était qu’une question de temps avant que les lieux de culte ne soient emportés par le vent du changement.

Les églises sont trop grandes, coûteuses à entretenir et difficiles à chauffer. Elles sont en grande majorité arrivées à l’âge où des travaux majeurs s’imposent alors que les moyens financiers sont limités. Les paroisses d’autrefois étaient plus populeuses que celles d’aujourd’hui, car les familles et les ménages comptent moins de membres. Il y avait trop d’églises dans plusieurs quartiers des grandes villes, ce qui a forcé la fermeture de plusieurs d’entre elles depuis une vingtaine d’années , en parallèle à la baisse de la fréquentation déjà notée. L’étalement urbain et la baisse de la fécondité des ménages sont des facteurs trop souvent oubliés dans la recherche d’explication à la fermeture des lieux de culte.

La vie communautaire affectée
Si la paroisse comme institution a perdu de son importance, la paroisse comme lieu de vie communautaire –spirituelle bien sûr (comme le souligne Falardeau), mais aussi laïque– est encore bien vivante dans plusieurs milieux. L’église est le lieu de solidarité locale, d’accueil des immigrants, de soutien aux populations pauvres et démunies, mais aussi le lieu de loisirs et de sociabilité. À titre d’exemple, la distribution de denrées alimentaires organisée par la Société de Saint-Vincent de Paul au sous-sol de l’église Saint-Jean-Baptiste est confrontée à un sérieux problème de logistique, puisqu’elle doit chercher un nouveau local. Les 2 locaux repérés sont soit trop à l’est du quartier, soit trop à l’ouest, ce qui en réduit l’accès à plusieurs bénéficiaires. En fait, la position géographique de l’église était au centre même de la vie du quartier.

Cependant, les grands édifices majestueux, construits à l’époque de «l’Église triomphante» sont de nos jours assez tristes lorsque seuls quelques douzaines de fidèles y assistent à un service religieux. Par ailleurs, la majorité des églises ne sont pas très favorables à l’épanouissement de la solidarité sociale et de la vie communautaire qui continue d’y prendre place, le plus souvent d’ailleurs dans le sous-sol à dimension plus humaine alors que la nef, avec ses vitraux et ses grandes orgues, reste fonctionnelle pour les grandes manifestations de ferveur religieuse, devenues plus rares.

Avec la fermeture d’une église, c’est un lieu de vie communautaire qui disparaît, forçant celle-ci à se réorganiser autrement et ailleurs. Ainsi, l’incidence de la fermeture au culte de l’église Saint-Jean-Baptiste se fera-t-elle sentir, non seulement au sein de la communauté spirituelle encore vivante dans le quartier –notamment auprès des personnes les plus âgées–, mais aussi dans l’environnement immédiat où est située l’église, puisque de nombreux groupes communautaires y avaient leurs habitudes et y tenaient leurs activités.

Le 24 mai en l’église Saint-Jean-Baptiste de Québec
Pierre Fraser, candidat au doctorat en sociologie à l’Université Laval, travaille à la production d’un film documentaire sur la fermeture au culte de l’église Saint-Jean-Baptiste de Québec. On peut consulter sur Youtube une première bande-annonce de Requiem pour une église.

À lire aussi, l’article «Ces géantes en quête de vocation».

1 Tiré de «Sociologie de la paroisse», Sociologie du Québec en mutation

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