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Photo de Sophie Brière

Des inspectrices au travail: un secret bien gardé

Le milieu de l’inspection. Vous vous demandez probablement ce que je peux bien avoir à raconter de si spécial sur ce domaine que personne ne connaît, à moins d’avoir reçu la visite d’un inspecteur ou, fort probablement, d’une inspectrice dans son organisation.  

inspectrice

Il y a quelques semaines, j’ai participé à un colloque international sur la diversité en milieu de travail et dans les sociétés, organisé conjointement par des collègues du Département des relations industrielles et de l’Association française des managers de la diversité (AFMD). Ayant débuté le jour où le gouvernement du Québec remettait en question la tenue de la consultation sur la discrimination systémique et le racisme, cette activité ne pouvait mieux tomber pour nous qui souhaitions discuter de diversité, d’égalité et d’inclusion, des enjeux qui demeurent centraux dans les différents milieux de travail au Québec et ailleurs dans le monde.

Des témoignages surprenants
Le colloque avait comme objectifs de mettre en lumière les obstacles persistants à la diversité en milieu de travail mais, surtout, les expériences novatrices. Mon équipe et moi avons donc présenté nos résultats de recherche sur la progression et la rétention des femmes dans des métiers traditionnellement masculins, particulièrement ceux de notre étude de cas sur le milieu de l’inspection.

Je me souviens très bien de la première fois où, accompagnée d’Antoine Pellerin, un membre de l’équipe de recherche, j’ai rencontré un groupe d’inspectrices. Elles avaient accepté de venir partager une boîte à lunch avec nous afin de nous parler de leur profession. Antoine et moi étions déconcertés par la façon dont elles nous décrivaient avec passion leur métier, malgré sa nature et les situations assez difficiles qu’elles vivent parfois.

Par exemple, certaines doivent se rendre sur des fermes pour inspecter divers produits, ou encore dans des abattoirs pour suivre les animaux dans tout le processus de leur transformation. Il y a parfois des risques de maladies et de blessures. Une inspectrice nous a raconté qu’elle a dû, un jour, faire une incision sur la tête d’un animal qui souffrait d’un abcès. Durant ses manipulations, l’abcès a crevé et s’est déversé sur elle. Pas évident d’aller chercher les enfants à l’école par la suite!

Une autre nous a raconté qu’un responsable d’entreprise qui n’avait pas apprécié l’inspection qu’elle avait faite de son congélateur en était sorti en la laissant enfermée derrière lui. D’autres inspectrices doivent visiter des chantiers de construction, un milieu masculin à 97%, pour y déceler ce qui n’est pas conforme et l’expliquer aux experts. La plupart du temps, les premiers mots de bienvenue qu’elles reçoivent sont: «Bonjour ma petite madame, êtes-vous perdue? Ne me dites pas que vous connaissez ça, cette machine-là!».

Persister malgré tout!
À force d’entendre des histoires comme celles-là, mon collègue Pierre-Sébastien Fournier et moi nous sommes demandé pourquoi les inspectrices persistent dans cette carrière, et en si grand nombre! En effet, elles représentent maintenant 40% du personnel d’inspection, voire 70% pour le secteur de l’alimentation.

À la suite de plusieurs rencontres avec une soixantaine de personnes (inspectrices, inspecteurs et gestionnaires) au sein des organismes ciblés, nous n’avons pas trouvé de formule magique à cette impressionnante progression et à ce taux de rétention. Nous avons plutôt découvert une très bonne recette dont l’ingrédient de base réside dans le soutien organisationnel. Cet ingrédient n’est pas secret, mais on dirait qu’on n’en fait pas suffisamment la promotion et que ses avantages demeurent méconnus, même à l’intérieur des organisations où nous avons mené nos recherches et découvert de bonnes pratiques –elles étaient d’ailleurs agréablement surprises de lire nos résultats!

La première étape de la recette est d’avoir recruté des femmes dans plusieurs domaines, tels que l’ergonomie, les relations industrielles, la diététique, la médecine vétérinaire, la kinésiologie et la biochimie, favorisant une grande diversité d’expertises. Si on avait continué à recruter des employés sur la base de leurs connaissances techniques sur des chantiers de construction, des fermes ou dans des industries, il est bien évident qu’on n’y aurait trouvé que peu de femmes expérimentées.

Un soutien qui fait la différence
Une fois les employés recrutés, ils ne sont pas laissés à eux-mêmes. Au contraire, on leur donne une formation de plusieurs mois, accompagnée d’un système formel de parrainage, particulièrement utile lors des premières inspections.

L’organisation fournit aussi aux nouveaux employés un cadre d’intervention balisé et bien documenté, ce qui leur permet d’être outillés pour travailler efficacement sur les différents sites d’inspection, même ceux qui ne leur sont pas familiers au départ.

Ensuite, l’organisation s’assure que le travail quotidien se déroule bien. Il y a une flexibilité dans les horaires, une autonomie dans la réalisation des tâches, un bon congé parental et de bonnes conditions, tels une rémunération adéquate, des vacances, du temps accumulé reconnu, une allocation de dépenses pour se déplacer dans les différentes régions, etc.

Cette latitude se reflète également dans le traitement des besoins urgents qui peuvent survenir la fin de semaine, par exemple un accident de travail dans une usine. L’organisation a instauré un système dans lequel les personnes appelées sont libres ou non d’accepter le mandat. On nous a bien mentionné qu’il n’y avait pas de pression et qu’un refus n’affectait en aucun cas le dossier de l’employé.

De façon encore plus structurée, une équipe mobile assure en tout temps et dans toutes les régions du Québec les remplacements lors d’un congé parental ou de maladie. Ainsi, plutôt que d’être pris au dépourvu, les gestionnaires sont outillés pour assurer la continuité du travail en cas d’absence courte ou prolongée. Cette agilité organisationnelle1 rendue possible par l’équipe mobile permet aussi de faire carrière dans une organisation qui tient compte de la capacité des employés à se déplacer pour remplir des mandats sur de longues distances.

Politiques claires et entraide
Mais ce n’est pas tout. La recette que nous avons découverte offre un soutien particulier aux inspectrices et aux inspecteurs qui doivent gérer au quotidien les réactions parfois fortes de certains clients mécontents, sexistes ou tout simplement impolis telles que décrites précédemment.

Comment? Par l’application de l’expression «tolérance zéro», que nous avons entendue à multiples reprises. Il s’agit d’un processus qui prévoit des actions dès que des propos inappropriés sont énoncés ou qu’un comportement intimidant se produit envers une inspectrice ou un inspecteur. Par exemple, l’envoi d’une lettre signée par un membre de sa direction à la personne ayant eu le comportement inadéquat, une nouvelle visite accompagnée d’un collègue ou d’un gestionnaire, une mise en demeure, etc. Pas une inspectrice ou un inspecteur ne nous a mentionné qu’on remettait en cause sa version des faits lors d’un incident.

Un cellulaire est également mis à leur disposition pour les appels d’urgence. Il a été mentionné à plusieurs reprises que, lorsqu’un incident arrive, des mesures concrètes sont prises pour corriger la situation. Par exemple, si on revient à l’épisode du congélateur, des modifications ont immédiatement été apportées à l’appareil pour permettre à l’inspectrice d’ouvrir la porte de l’intérieur si la situation se reproduisait. Des procédures formelles contre le harcèlement sont également en place à l’interne.

Pour lier le tout, les personnes rencontrées nous ont parlé de l’importance de l’entraide entre collègues dans le traitement des dossiers. Bien que les inspections soient généralement réalisées par une seule personne, des mécanismes de communication sont en place pour favoriser la collaboration et atténuer l’isolement. Ces liens organisationnels sont essentiels et pourraient aussi être renforcés, de l’avis de plusieurs, car ils permettent le travail de groupe et facilitent le soutien des chefs d’équipe et des gestionnaires dans toutes les régions. À ce sujet, il est très intéressant de mentionner que beaucoup de femmes ont été nommées chefs d’équipe. Elles apprécient cette fonction puisqu’elle leur permet de vivre une première expérience de gestion tout en étant près du terrain et en continuant à participer au travail des collègues. Cette étape initiale est souvent le début d’une ascension vers d’autres postes de décision qu’occupent les inspectrices au sein de l’organisation.

Enfin, on pourrait se dire que la mise en place du soutien organisationnel allait de soi dans les entreprises de ce secteur compte tenu de leur mission qui vise la protection et le bien-être de tous. Je suis plutôt d’avis que la recette que nous avons décrite est le résultat d’une innovation institutionnelle2 en matière d’égalité et de diversité dont il faut fortement s’inspirer et qu’il faut documenter.

À cet effet, il a été très surprenant de constater qu’il y a peu d’études sur le milieu de l’inspection. Si vous avez des articles sur le sujet, merci de m’envoyer les références. De notre côté, nous allons contribuer à pallier ce déficit avec la publication d’autres textes sur cette expérience

1 Ce terme est surtout associé aux approches agiles en gestion de projet. En opposition aux approches traditionnelles qui mettent l’accent sur la planification et la réalisation séquentielle des activités, l’approche agile permet plus facilement d’intégrer de manière itérative et progressive les changements et les besoins qui peuvent survenir en cours de réalisation.

2 Cette innovation institutionnelle fait référence à la théorie institutionnelle présentée dans le cadre théorique de notre recherche. La théorie institutionnelle (Scott, R. 2014. Institutions and Organizations) propose une analyse à 3 piliers: le régulateur (lois, règles, protocoles, etc.), le normatif (types d’emploi, gestion des ressources humaines, pratiques organisationnelles, rôles des dirigeants, etc.) et le culturel et cognitif (symboles, valeurs, croyances partagées, etc.). Dans cette perspective, la relation et l’implication mutuelles entre les structures et les acteurs sont importantes, car elles déterminent le fonctionnement de l’organisation et les sources de changement institutionnel.

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