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La transparence de la recherche en nutrition

La recherche en nutrition doit composer avec de nombreuses critiques. Une des plus communes concerne le manque d’objectivité des projets financés par l’industrie agroalimentaire et les résultats biaisés qui peuvent en découler. Il en a d’ailleurs été récemment question dans les médias. Le doute sur la transparence de Coca-Cola dont parle cette nouvelle est tout à fait fondé.

À ce sujet, un article publié il y a quelques années dans la revue PLOS Medicine, et maintes fois cité depuis, a rapporté que les études financées par l’industrie agroalimentaire étaient plus susceptibles de conclure en une absence d’effets de la consommation de boissons sucrées sur le gain de poids et l’obésité que celles ne recevant pas un tel financement1.

Le biais relié au financement de la recherche est donc bien réel. Cependant, il serait trop facile de le laisser occulter toutes les autres formes de biais possibles. Il serait simpliste de conclure qu’un projet est de bonne qualité parce qu’il n’est pas financé par l’industrie.

J’ai récemment eu la chance de tomber sur un texte consacré aux particularités des déclarations de conflit d’intérêts dans le domaine de la nutrition. À mon avis, cet article exprime bien la complexité des influences auxquelles nous sommes soumis quand on est chercheur, et encore plus dans un domaine comme la nutrition. Je vous en présente donc les grandes lignes aujourd’hui.

Quelques mots sur les auteurs
L’article intitulé Disclosures in Nutrition Research: Why It Is Different est signé par John P. A. Ioannidis et John F. Trepanowski2. Le premier est médecin et chercheur. Il occupe un poste de professeur à l’Université Stanford et est parmi les experts de son domaine les plus cités dans le monde. Il compte plusieurs publications à propos des facteurs influençant la validité et la reproductibilité des études et n’en est pas à son premier texte sur la question des biais potentiels influençant les résultats de recherche3,4. Quant au Dr Trepanowski, il est chercheur postdoctoral à l’Université Stanford. Ses travaux ont principalement porté sur les effets associés à différentes méthodes de perte de poids. Je vous avais d’ailleurs parlé d’une de ces études sur le jeûne intermittent il y a quelque temps de cela. 

Des conflits d’intérêts de nature financière
Avant toute chose, il s’avère pertinent de mentionner qu’un conflit d’intérêts peut être défini comme une situation dont une personne retire certains avantages qui pourraient nuire à son jugement dans le cadre de l’exercice de ses fonctions.

Dans l’article mentionné, les auteurs soulignent les interférences que peuvent causer des conflits d’intérêts de nature financière, tels que les subventions de recherche et les honoraires octroyés par l’industrie agroalimentaire.

Les signataires de l’article nous invitent aussi à considérer d’autres formes de conflits d’intérêts financiers pouvant toucher certains chercheurs. Ils mentionnent, par exemple, que certains écrivent des livres à succès sur la nutrition et en retirent des sommes d’argent considérables. Ainsi, supposons qu’un chercheur publie un ouvrage sur une méthode de perte de poids révolutionnaire, et que ses recherches subséquentes lui démontrent que cette dite méthode n’est pas aussi spectaculaire que son livre l’a promis. Il fait quoi? Est-ce qu’il osera prendre du recul par rapport au message qui l’a fait devenir une vedette de la nutrition? Est-ce qu’il sera tenté de ne pas mentionner certains de ses résultats? Est-ce qu’il fera fi de ses intérêts financiers pour être transparent quant à l’interprétation de ses données? On ne le sait pas, mais chose certaine, dans une telle situation, il devrait déclarer que son livre est une source potentielle de conflit d’intérêts.

Au-delà de l’argent
De plus, selon Ioannidis et Trepanowski, les conflits d’intérêts ne sont pas seulement de nature financière. Comme chercheurs, nous avons tous certaines allégeances envers des théories et celles-ci orientent la nature des travaux que nous souhaitons conduire. Ceci m’apparaît plutôt normal et permet de faire avancer les connaissances sous différents angles.

Cependant, ce qui n’est pas souhaitable, c’est d’être obnubilé par une théorie au point de ne pas publier les résultats des recherches qui la contredisent ou de ne présenter que la portion des résultats qui «fait notre affaire». Cela devient un conflit d’intérêts majeur. Moi qui suis dans le milieu depuis plus de 25 ans, je confirme que ces situations ne sont pas si rares et qu’elles ne touchent pas uniquement le monde de la nutrition. À ce jour, les journaux scientifiques ne nous demandent pas de déclarer, comme chercheur, les potentiels conflits d’intérêts de cette nature, et j’avoue que se doter d’une mécanique qui permettrait de le faire ne serait pas simple.

L’article de Ioannidis et Trepanowski nous amène également à réfléchir à la portée que peuvent avoir les rôles de militant et d’activiste qu’acceptent de jouer de plus en plus de chercheurs dans le domaine de la nutrition pour encourager des causes bien souvent très nobles. Selon les auteurs, ces activités devraient également faire l’objet d’une déclaration d’intérêts lorsque des experts soumettent leurs travaux à des revues scientifiques. 

Jusque dans l’assiette
Enfin, le domaine de la nutrition a ceci de particulier que ses chercheurs, comme tous les autres membres de la population, sont exposés quotidiennement à la nourriture et ont inévitablement des habitudes, des croyances et des préférences alimentaires qui peuvent influencer leurs intérêts. Ainsi, il serait souhaitable, selon les auteurs de l’article, que les lecteurs soient mis au courant si un chercheur adhère à un certain courant alimentaire qui fait l’objet de ses recherches. Ils insistent sur le fait que, si le mode de vie d’un auteur est susceptible d’influencer la manière dont les lecteurs perçoivent ses écrits, cet auteur devrait le déclarer avec transparence. Les Drs Ioannidis et Trepanowski prêchent d’ailleurs par l’exemple. Puisqu’il est question dans leur article de véganisme, de la diète Atkins (diète très faible en glucides), du régime sans gluten, d’une diète riche en protéines animales et de recours systématique à des suppléments alimentaires, tous 2 ont pris soin de mentionner qu’ils n’adhèrent à aucune de ces pratiques.

Du progrès à faire…
Pour terminer, les Drs Ioannidis et Trepanowski sont d’avis que les normes actuelles en matière de déclaration de conflits d’intérêts dans le domaine de la recherche en nutrition ne sont pas adéquates. Ils réclament une plus grande transparence et souhaitent qu’on définisse de façon plus globale ce qui constitue de l’information valable à déclarer en matière d’intérêts.

Ce sera intéressant de voir au cours des prochaines années si on donnera suite à leurs recommandations!

1 Bes-Rastrollo M, Schulze MB, Ruiz-Canela M, Martinez-Gonzalez MA. Financial conflicts of interest and reporting bias regarding the association between sugar-sweetened beverages and weight gain: a systematic review of systematic reviews. PLOS Med2013; 10:e1001578.

2 Ioannidis JPA, Trepanowski JF. Disclosures in nutrition research: why it is different. JAMA. 2018; 319:547-548.

3 Hemkens LG, Ewald H, Naudet F, Ladanie A, Shaw JG, Sajeev G, Ioannidis JPA. Interpretation of epidemiologic studies very often lacked adequate consideration of confounding. J Clin Epidemiol2018; 93:94-102.

4 Ioannidis JPA, Stuart ME, Brownlee S, Strite SA. How to survive the medical misinformation mess. Eur J Clin Invest2017; 47:795-802.

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