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Photo de Caroline Gagnon

Le design est une arme

Je crois beaucoup au potentiel du design pour transformer et améliorer la vie de tous les jours. Le design est né d’une réaction aux effets néfastes de l’industrialisation aux 18e et 19e siècles. La pensée du design ainsi que son histoire au 20e siècle ont mis l’accent quasi essentiellement sur la contribution positive du design industriel à la société et au bien-être des personnes. Toutefois, il existe une autre réalité. Dans un des ouvrages les plus marquants du design de produits, Design for the Real World, Victor Papanek écrivait: «There are professions more harmful than industrial design, but only a very few of them». Cette redoutable affirmation nous renvoie également aux versants moins glorieux du design, qui contribuerait aussi à perpétrer certaines atrocités humaines.

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Le premier pistolet imprimable en 3D: le Liberator

 

Design et Violence, une exposition en ligne du MoMA
C’est du moins à partir de cette constatation que Paola Antonelli, conservatrice senior du design au MoMA, a conçu l’exposition en ligne Design and Violence. Il s’agit d’un site Web présentant, quelques fois par mois, un objet lié à la violence que commente un expert invité afin d’amorcer une discussion avec les lecteurs. Délaissant le clinquant du design de mobilier souvent exposé dans les musées, Mme Antonelli souhaite amener le design au cœur d’un débat plus large et questionner ainsi son rôle dans la société. L’idée de lier la notion de violence et de design a été induite par l’arrivée de la première arme imprimable en 3D, le Liberator. En collaboration avec James Hunt, directeur du programme transdisciplinaire en design à Parsons The New School for Design, Paola Antonelli a voulu scruter la part plus sombre du design. Et l’arrivée de cette arme accessible à tous en illustrait la nécessité.

La violence est ici abordée en tant que manifestation de pouvoir à l’encontre de la volonté d’autrui. L’exposition en ligne aborde très largement la notion de design –qu’il soit industriel, de produits, de mode, d’intérieur ou issu de l’architecture– en suscitant des débats sur des objets ou des lieux qui briment l’être humain et son corps de diverses manières: objets de sports extrêmes, objets de mode extrême, objets qui contraignent les malades, assistent les répressions, enlèvent de la dignité humaine, exploitent les plus vulnérables ou tout simplement anéantissent la vie. Car ces objets ou ces lieux qui nous entourent ne sont pas toujours au service du bien.

Cette relation éthique au design soulève plusieurs questions. Le design ne contribue-t-il pas à créer du beau et du sens? Et si, sous le couvert d’une belle apparence, il montrait aussi ce que l’être humain fait de plus laid, c’est-à-dire soumettre l’autre à des dangers de manière insidieuse?

Dans le billet sur le design hostile, j’abordais également ce paradoxe ainsi que la délicate position dans laquelle se trouve un designer, entre répondre à une commande de l’industrie et améliorer le quotidien. L’exposition en ligne du MoMA amène aussi à se poser des questions sur le rôle du design et à porter un regard critique. Toutefois, les exemples retenus ne sont peut-être pas aussi proches qu’on le voudrait de la pratique du designer et des objets de consommation courants qui en résultent, des objets qui illustreraient davantage cette délicate association avec la violence.

Le mauvais design peut tuer
Au Québec, le sujet a été abordé, mais de façon différente, lors d’une récente conférence sur la responsabilité du designer. La designer Cynthia Savard Saucier a alors souligné cette relation ambiguë du design avec ce qui se fait de moins bon, voire de fatal. Le design qui tue évoquait l’idée que, dans certains cas, ce qu’on peut considérer comme du «mauvais design» peut causer de sérieux problèmes et même entraîner la mort. Elle citait en exemple la difficulté d’utilisation, en situation d’urgence, de certains dispositifs d’administration de l’épinéphrine pour personnes allergiques et de gilets de sauvetage dans les avions. Elle démontrait comment ces objets manquent souvent à leur objectif premier parce qu’ils s’avèrent trop complexes à utiliser dans un moment de stress intense, rendant ainsi le dispositif inadéquat ou même obsolète.

La responsabilité du designer
En poussant plus loin cette même réflexion, Paola Antonelli se demande si le designer ne devrait pas, tout comme les médecins avec leur serment d’Hippocrate, adopter une forme de code en faveur de la vie et d’une éthique professionnelle. Les nombreux enjeux associés au développement de produits (qu’ils soient liés au mode de production, au contexte, aux conditions humaines de fabrication ou aux procédés choisis ainsi que leur incidence sociale et environnementale) mériteraient, selon elle, d’être davantage mis en relief et assumés par la profession. Le design ne devrait-il pas toujours être au bénéfice de l’environnement et des êtres humains en favorisant les meilleures pratiques? L’ICSID, l’International Council of Societies of Industrial Design, se questionne aussi sur la posture à adopter pour valoriser l’apport positif du design à la société dans l’acte professionnel et éviter les dérives d’une profession aux larges retombées.

Enfin, le thème «design et violence» amène à réfléchir non seulement au rôle des designers dans la société, mais également à celui des objets et à leur signification. En effet, les objets ne sont pas neutres, tant dans leurs usages que dans les codes sociaux qu’ils transmettent. Ils induisent des comportements, et ces derniers sont parfois compromettants ou hostiles à la vie et au bien-être. C’est au fond ce dont l’exposition du MoMA nous amène à débattre.

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  1. Publié le 31 mars 2015 | Par Koen De Winter

    Il me semble que citer le cher Victor Papanek pour introduire les atrocités faites par le design est un raccourci de pensée un peu rapide. Je ne crois pas que c'est une redoutable affirmation, c'est plutôt une affirmation typique pour Victor Papanek, dont la portée est limitée par une crédibilité douteuse. Je pourrais sortir 100 autres citations de son «réal world». Juste un exemple: «The unchecked growth of schools,colleges and universities has created an environment that is harmful to innovation or, for that matter, education». On oublie souvent que le livre de Papanek date de 1972, 4 ans après 1968 et n'est pas un livre qui était à l'origine d'un mouvement, mais qui résumait à posteriori un mouvement auquel Papanek avait à peine participé. Sa capacité légendaire de fabuler n'aide pas non plus dans la profondeur de ses analyses.
    Je ne crois pas qu'il est particulièrement utile de déclarer d'abord que toute chose imaginée par l'être humain est du design, puis de prendre les résultats néfastes de cette imagination pour prouver que le design a aussi un côté sombre ou même «atroce». Il est vrai que le design ne vit pas sur une île isolée et que ses solutions et ses produits reflètent la culture de la société dans laquelle il se développe et dont il emprunte les valeurs, les ambitions et aussi certaines contradictions. Ceci ne veut pas dire que la notion «design» n'inclut pas des caractéristiques qualitatives et exclut des abus de l'imagination technique ou formelle. Je ne crois pas non plus qu'il faut confondre l'obligation d'attirer régulièrement le même groupe d'intéressés vers le même musée, avec une discussion sérieuse sur la nature ambivalente du design. Le «... paradoxe ainsi que la délicate position dans laquelle se trouve un designer, entre répondre à une commande de l’industrie et améliorer le quotidien...» n'est pas si paradoxale que l'on croit si on considère la possibilité que l'industrie peut partager ce désir d'améliorer le quotidien, et qu'à la fin l'utilisateur choisi librement si oui ou non il considère que le produit ou le service améliore ce quotidien ou pas. Si Cynthia Savard Saucier nous suggère d'avoir une bague comme les ingénieurs ou si «Paola Antonelli se demande si le designer ne devrait pas, tout comme les médecins avec leur serment d’Hippocrate, adopter une forme de code en faveur de la vie et d’une éthique professionnelle», elles le font en ignorant volontairement que ce code d'éthique existe depuis longtemps. Si il n'a pas la force du serment d'Hippocrate c'est simplement parce que le titre de designer n'est pas protégé... ce qui en soi est une bonne chose... mais le résultat direct est que l'on adhère à ce code d'éthique que de façon volontaire. Je sais que l'effondrement du pont de Québec en 1907 précède de plus d'une décennie la cérémonie des bagues d'acier des ingénieurs, mais longtemps le choix de l'acier (il y avait même des rumeurs qui disaient que l'acier des bagues venaient du pont effondré) a été expliqué comme un rappel à une certaine humilité, parce que... les accidents ça arrive... Comme on sait, le pont de Québec n'est pas le seul qui s'est effondré depuis, tout comme le serment d'Hippocrate n'empêche pas les erreurs médicales d'ailleurs... Donc restons humbles. Le design n'est pas une arme, c'est un service, et on devrait le rendre dans le respect de toutes les valeurs humaines que l'on connaît. Je regrette, mais je ne crois pas que le 3D Liberator ajoute une seule notion intéressante à la discussion.

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