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Photo de Simon Langlois

Le vote a-t-il une langue au Québec?

La polarisation électorale entre souverainistes et fédéralistes, qui a dominé le paysage politique québécois pendant un demi-siècle, s’est largement estompée ces dernières années. Elle a toutefois été remplacée par une nouvelle polarisation avec, d’un côté, le Québec francophone (langue maternelle/langue parlée au foyer) et, de l’autre, le Québec non-francophone (Anglo-Québécois et immigrants de langue maternelle tierce).

vote

Cette opposition très nette s’affiche au cœur de la présente campagne électorale, comme le révèle un sondage dont les résultats sont parus dans le quotidien Le Soleil1. D’une part, les circonscriptions à forte majorité francophone entendent voter de manière relativement semblable. Elles répartissent leurs appuis entre les principaux partis dans les mêmes proportions, tant dans la couronne de Montréal, dans la ville de Québec que dans l’ensemble des régions de la province. Les fourchettes d’appui aux différents partis dans tous les milieux à majorité francophone sont les suivantes (en date de la fin d’août): 23-25% pour le Parti libéral du Québec (PLQ), 18-20% pour le Parti québécois (PQ), 39-41% pour la Coalition avenir Québec (CAQ) et 10-13% pour Québec solidaire (QS).

Par contre, les non-francophones (Anglo-Québécois et personnes parlant une langue tierce à la maison) penchent en nette majorité pour le PLQ en lui accordant les deux tiers de leurs intentions de vote. Cette concentration est considérable et elle explique la situation particulière observée sur l’île de Montréal, qui se distingue nettement du reste du Québec. Le PLQ y obtient 40% des intentions de vote contre seulement 16% pour le PQ et 18% pour la CAQ.

Québec solidaire recueille de son côté 20% des intentions de vote sur l’île de Montréal, soit le double environ de ses appuis dans les régions à forte majorité francophone (mais 13% à Québec).

La crise des accommodements

Ce clivage linguistique s’est accentué depuis les débats sur les accommodements raisonnables, il y a dix ans. Le Parti québécois a perdu ses appuis, déjà faibles, au sein des communautés culturelles et chez les immigrants nouvellement arrivés. Le projet de Charte des valeurs a été perçu très négativement par ces électeurs, qui ont retiré leur soutien au PQ. À cela s’ajoute la réticence qu’ont eue ces citoyens dans le passé à appuyer l’indépendance du Québec. De leur côté, les Anglo-Québécois ont toujours fait bloc contre le PQ.

Par ailleurs, les positions de la CAQ sur l’immigration et sur la citoyenneté sont mal perçues par les personnes immigrantes et au sein des minorités ethnoculturelles. Ce parti n’a pas non plus réussi à gagner de larges appuis chez les anglophones, malgré le discours pro-économie qui domine son programme électoral. La CAQ est encore perçue comme un parti nationaliste francophone, bien qu’elle ait fait profession de foi fédéraliste. C’est ce qui explique le faible score des intentions de vote à son endroit sur l’île de Montréal, autour de 18% contre environ 38 à 40% en milieux francophones en dehors de la métropole.

Et «l’énigme de Québec»?

Les citoyens de la région de Québec se comportent comme ceux de la couronne francophone de Montréal et ceux du reste de la province sur le plan des intentions de vote, et ce, pour les quatre grands partis politiques. Le sondage effectué par Le Soleil indique que celles-ci sont très proches, à l’intérieur des marges de confiance. Il est donc à prévoir que dans la ville de Québec, le résultat de l’élection du 1er octobre 2018 ne sera pas vraiment différent que dans les autres régions à majorité francophone.

Est-ce la fin de «l’énigme de Québec»? Je rappelle2 que cette observation, aussi nommée «mystère de Québec», renvoie au fait que le vote dit conservateur tant fédéral (pour le parti de Stephen Harper) que provincial (pour la CAQ) était plus fort dans la ville de Québec qu’ailleurs dans la province ces dernières années. Cette expression qualifie aussi le fait que le vote en faveur du oui lors du référendum de 1995 y a été plus faible. Certains observateurs avaient aussi catégorisé comme étant énigmatique la popularité des radios populistes dans la capitale. Néanmoins, de nos jours, l’appui à la cause souverainiste au Québec a diminué partout chez les francophones et les intentions de vote pour la CAQ sont maintenant élevées ailleurs sur le territoire. Les comportements électoraux observables dans la ville de Québec depuis une vingtaine d’années préfiguraient sans doute ce qui se passe maintenant ailleurs.

L’énigme de Québec semble bien disparue et le mystère s’est dissipé: le phénomène qui apparaissait sur le plan électoral s’explique par une composante structurelle et non par une mentalité ou des attitudes différentes dans la capitale. De fait, peu d’anglophones et une faible proportion de personnes immigrantes habitent la région de Québec, ce qui la différencie de Montréal sur le plan des intentions de vote.

Fait à noter, Québec solidaire a augmenté ses appuis dans la ville de Québec (14% environ des intentions de vote à un moins de l’élection). Même si cette hausse demeure sous le niveau observé à Montréal, elle contribue à atténuer l’image de l’énigme car, comme à Montréal, la gauche fait une percée dans la ville de Québec.

Deux nouvelles oppositions

En résumé, deux nouvelles oppositions ont remplacé la polarisation fédéraliste-souverainiste d’autrefois. La première se manifeste par le clivage francophones/non-francophones. Le PLQ et QS attirent davantage les anglophones et les minorités, par opposition à la CAQ et au PQ. La seconde opposition, moins importante, mais bien réelle, se reconnaît par une césure gauche/droite et elle oppose QS d’un côté et les trois autres partis dont les politiques se ressemblent malgré tout (PLQ/CAQ/PQ). La «droite» en question est cependant assez libérale ou centriste, car il n’y a pas d’extrême droite au sens européen sur l’échiquier québécois.

Le paysage politique québécois sera donc complètement transformé au soir du 1er octobre, mais les contours de cette métamorphose sont encore à préciser, car les luttes à trois, et même à quatre dans plusieurs comtés, laissent entrevoir des issues incertaines.

1 https://www.lesoleil.com/actualite/ou-est-passe-le-mystere-quebec-cf405bf54a71e15bb6c1fb2f7f1e64d2

2 Langlois, Simon, 2006 «L’énigme de Québec n’est pas nouvelle. Un réflexe conservateur ou plutôt politique?», Le Soleil, 27 janvier 2006: A15

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  1. Publié le 1 octobre 2019 | Par Brigitte Trudel

    Merci pour votre question.
    J'ai utilisé deux indicateurs. Il s'agit des personnes dont la langue maternelle est le français (immigrants ou natifs) ou encore de la langue parlée à la maison. Ce dernier indicateur est plus fiable et plus parlant car il prend en compte les transferts linguistiques (adoption du français par les personnes ayant une langue maternelle tierce).
    Simon Langlois
  2. Publié le 25 septembre 2019 | Par K.A.P.

    Bonjour,
    Je sais que vous avez écrit ce billet il y a plus d'un an. Je viens de le trouver. Je prends le risque de vous écrire. Je n'ai rien à perdre. J'ai une question à vous poser concernant les électeurs francophones ou le vote francophone. Lorsque l'on parle d'électeurs francophones, est-ce qu'il s'agit de tous les francophones ou des Québécois de souche française?

    Merci beaucoup!

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