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L’intuition au service de l’alimentation

Si j’avais entendu parler de l’alimentation intuitive pendant mon baccalauréat, j’aurais probablement été sur mes gardes. Ma vision de ma future profession m’amenait à croire que c’était en transmettant mes connaissances sur la nutrition que j’aiderais les gens à avoir une alimentation optimale. À priori, l’intuition m’aurait paru comme une drôle d’intrusion dans cette recette. Il faut croire qu’avec le temps, j’ai réconcilié certaines idées. En effet, j’enseigne maintenant avec enthousiasme les principes de l’alimentation intuitive à mes étudiants de 1er cycle, sans pour autant nier l’importance de transmettre des informations de qualité sur la saine alimentation.

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Les premiers balbutiements de l’alimentation intuitive
Il est difficile d’établir la paternité du concept de l’alimentation intuitive. Certains acteurs y ont contribué en faisant cavale contre les diètes amaigrissantes et en proposant comme solution de rechange de «refaire la paix avec son corps». Je pense entre autres à la psychothérapeute Susie Orbach dont le bouquin Fat is a Feminist Issue1, publié à la fin des années 1970, critiquait vivement les pressions exercées sur les femmes afin qu’elles adoptent le modèle minceur. L’auteure suggérait même que ces pressions visaient à garder les femmes trop occupées avec leur apparence pour qu’elles n’aient le temps de s’impliquer dans les «vraies affaires» de la société, ce qui donnait donc pleine marge de manœuvre aux hommes! D’autres bouquins portant également sur la tyrannie des diètes et l’obsession de la minceur ont suivi celui d’Orbach. La porte était donc ouverte pour une vision différente de la relation à entretenir avec le corps et les aliments.

Le terme «alimentation intuitive» a été proposé par 2 nutritionnistes, Evelyn Tribole et Elyse Resch, lors de la publication en 1995 du livre Intuitive Eating: A Revolutionary Program That Works 2. C’est dans cet ouvrage que les grands principes de l’alimentation intuitive ont été décrits pour la 1re fois. Ceux-ci pourraient se résumer en disant qu’il s’agit de manger davantage selon ses sens que selon sa tête, tout en se laissant guider par la «sagesse du corps». Ainsi, s’alimenter de façon intuitive amène à se tenir loin des diètes amaigrissantes. Cela implique également de manger quand on a faim et d’utiliser ses signaux de rassasiement pour arrêter de manger. De plus, le mangeur intuitif ne dichotomise pas les aliments en «bons» et «mauvais»; il mange tous les aliments souhaités par ses papilles gustatives, donc pas d’interdits. Manger de façon intuitive, c’est aussi découvrir la satisfaction et le plaisir de manger.

On pourrait penser que ce livre, qui en est d’ailleurs à sa 3e édition, est simplement un bruit de plus dans la cacophonie alimentaire, une autre solution miracle. Contrairement à d’autres approches alimentaires qui sont proposées par l’entremise de best-sellers et dont la crédibilité souffre de l’absence de données empiriques, l’alimentation intuitive a réussi à intéresser plusieurs chercheurs.

Mais, est-ce que ça marche?
La mise au point de l’Échelle d’alimentation intuitive3, qui permet de déterminer le niveau d’intuitivité de l’alimentation (plus on obtient un score élevé, plus la personne a une alimentation intuitive), a fourni un outil de recherche précieux aux chercheurs intéressés par le sujet. Plusieurs études ont ainsi pu mettre en lien l’alimentation intuitive avec différentes variables liées à la santé physique et psychologique. Un récent article sur le sujet4 nous apprend que les personnes qui privilégient une alimentation intuitive sont moins souvent touchées par l’obésité que celles qui sont moins intuitives dans leur façon de s’alimenter. L’alimentation intuitive a également été associée dans quelques études à une meilleure qualité de l’alimentation. Par ailleurs, les recherches ont souligné de façon assez systématique le lien positif entre l’alimentation intuitive et la santé psychologique. 

Pour les personnes qui sont constamment à la diète ou qui disent «faire toujours attention», ces conclusions peuvent paraître surprenantes. Ces personnes nous disent qu’elles ont plutôt l’impression que si elles mangeaient vraiment ce qu’elles voulaient et qu’elles écoutaient vraiment leur corps, elles mangeraient beaucoup plus et prendraient inévitablement beaucoup de poids. Elles ont aussi l’impression qu’elles mangeraient plus d’aliments de mauvaise qualité nutritionnelle dont elles se privent tant. On peut imaginer que la proposition d’adopter une alimentation plus intuitive serait pour elles comme sauter dans le vide, puisque le contrôle externe et les interdits leur paraissent comme un filet de sécurité. Cependant, selon les tenants de l’alimentation intuitive, quand les aliments ne sont plus interdits, ils deviennent beaucoup moins attrayants!

(Re)devenir intuitif
Quand on mange davantage avec sa tête qu’avec ses sens depuis des années, une forme de reprogrammation s’avère nécessaire si on veut revenir à une alimentation plus intuitive et apprendre à faire confiance à ses besoins et à ses signaux corporels. Puisque le reset ne se fait pas aussi aisément qu’avec un ordinateur, l’accompagnement dans cette démarche peut être nécessaire. Au Québec, le groupe Équilibre offre depuis plusieurs années l’approche Choisir de maigrir? qui favorise le retour à une alimentation plus intuitive. Par ailleurs, de plus en plus de nutritionnistes en pratique privée utilisent également les principes de l’alimentation intuitive pour guider leurs interventions visant à améliorer la qualité de l’alimentation.

Et vous, êtes-vous tenté par l’alimentation intuitive?

1 Orbach S. Fat is a Feminist Issue. A Self-help Guide for Compulsive Eaters. New York: Berkley Books, 1978, 203 pages.

2 Tribole E, Resch E. Intuitive Eating: A Revolutionary Program That Works (3rd Edition). New-York: St. Martin’s Griffin, 2012, 368 pages.

3 Tylka T. «Development and psychometric evaluation of a measure of intuitive eating». J Couns Psychol 2006; 53: 226-240.

4 Van Dyke N, Drinkwater EJ. «Relationships between intuitive eating and health indicators: literature review». Public Health Nutrition 2014; 17: 1757-1766.

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  1. Publié le 30 octobre 2014 | Par Marie

    Ça fait du bien de lire ce texte. Je devrais cesser tout calcul de calories et m'inspirer de SM. Je n'ose pas me faire confiance, car je crains qu'en cessant de calculer tout ce que je mange, je vais prendre encore plus de poids. Mais à force «d'être au régime» et de tout calculer, au lieu de perdre 10 livres, j'en ai pris plus de 100. Faudrait que je me donne la chance de me faire confiance. Merci Mme Lemieux et merci aussi à SM.
  2. Publié le 28 octobre 2014 | Par Simone Lemieux

    @MC
    À la Clinique Nutrition Santé de l'INAF, la notion de l'alimentation intuitive est mise de l'avant dans l'intervention proposée. Le programme Choisir de maigrir? y a également déjà été offert et il n'est pas exclu qu'il le soit à nouveau dans le futur. La nutritionniste Karine Gravel a quant à elle effectué une thèse de doctorat touchant l'alimentation intuitive et utilise maintenant cette approche dans sa pratique (elle est dans la région de Québec).
  3. Publié le 27 octobre 2014 | Par MC

    Dans la région de Québec, il n'y a qu'une seule clinique privée qui offre cette approche que je trouve intéressante. Il serait intéressant que l'Université s'implique et puisse proposer un programme tel que Choisir de maigrir? ou encore s'associer avec les CSSS de la région et le développer davantage.
  4. Publié le 27 octobre 2014 | Par Mélanie

    Billet très intéressant!
  5. Publié le 28 octobre 2014 | Par Simone Lemieux

    @SM
    Merci pour votre témoignage qui décrit très bien le passage d'une alimentation gérée par la tête vers une alimentation guidée par les sens.
  6. Publié le 26 octobre 2014 | Par SM

    Je n'ai jamais autant engraissé que pendant les 2 années durant lesquelles je comptais chaque calorie ingérée. Je mangeais vraiment avec ma tête. Un jour, constatant que rien ne fonctionnait, je me suis découragée et j'ai recommencé à manger «normalement». J'ai perdu 10 livres en un mois. Dans les 2 années qui ont suivi, j'ai commencé à écouter mon corps davantage:
    - Arrêter de manger lorsque je n'ai plus faim.
    - Si je n'ai pas faim à l'heure des repas, manger plus tard lorsque j'aurai faim et non «manger parce qu'il est l'heure de manger».
    - Même chose pour les gâteries. C'est correct d'en manger, mais seulement lorsque j'ai faim et arrêter lorsque je n'ai plus faim.
    - Ne plus manger de dessert automatiquement après chaque repas. Les desserts sont maintenant pour moi des collations. Si j'ai le goût de manger 2 biscuits comme collation au lieu d'une pomme, je le fais.
    - Manger moins de sucre en général, sans m'en priver. L'idée, c'est de diminuer ses envies de sucre à la longue... et ça fonctionne!

    Tous ces principes ne sont pas appliqués qu'avec ma tête, mais en écoutant mon corps. Il m'arrive d'avoir envie d'aliments plus protéinés, plus gras ou plus «glucidés», selon les moments, et je les suis.

    J'ai maigri encore, et je n'ai jamais été aussi mince!
  7. Publié le 25 octobre 2014 | Par Simone Lemieux

    Merci pour cette référence additionnelle qui est effectivement très pertinente.
  8. Publié le 23 octobre 2014 | Par Audrée-Anne

    Merci Simone pour ces propos rafraîchissants et tout à fait... déculpabilisants face à l'alimentation au quotidien. Le livre Mangez! de la nutritionniste Guylaine Guevremont en collaboration avec la journaliste Marie-Claude Lortie rend également accessibles ces principes de l'alimentation intuitive.

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