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Mesurer le mieux-être, c'est possible

La publication du nouvel Indice canadien de mieux-être (ICMÊ), le 20 octobre 2011, vient de révéler un constat étonnant: le bien-être de la population canadienne n’a augmenté que de 11% entre 1994 et 2008, alors que la croissance économique, mesurée par le produit intérieur brut (PIB),  a été de 34%. L’écart est considérable. Le mieux-être n’a pas suivi le développement économique au même rythme.

Devant les critiques adressées au PIB –utile à certaines fins, mais non une panacée–, sociologues et économistes ont développé de nouvelles manières de mesurer le bien-être de la population, de mesurer le bonheur et la qualité de la vie. Le Canada est même en avance sur la France et la Grande-Bretagne qui se sont engagées à construire de telles mesures. L’exercice a été réalisé grâce à la Fondation Atkinson de Toronto, un organisme social-démocrate qui a appuyé l’élaboration de l’indice canadien par des universitaires. J’ai moi-même participé à ce chantier.

Source: Comment les Canadiennes et Canadiens se portent-ils véritablement, 2011


Une vue d’ensemble

Le CIW (de son nom anglais Canadian Index of Wellbeing) ou ICMÊ est la somme de 8 mesures sur autant de dimensions de la vie: scolarisation, niveau de vie économique, engagement démocratique, vitalité de la communauté, santé, environnement, emploi du temps, loisir et culture. Chaque aspect peut être évalué séparément, mais la somme donne la vue d’ensemble sur le niveau moyen de développement social.

Ainsi, le PIB augmentera si on construit plus d’autoroutes, mais les gens vont alors passer plus de temps en voiture sur des routes plus encombrées, être plus stressés, polluer davantage, avoir moins de temps libre pour eux, moins de temps aussi à passer en famille ou avec des amis. Tous ces aspects négatifs seront pris en compte par le nouvel indice de mieux-être.

L’indice de mieux-être est une moyenne. Si on le décompose, on observe que 4 dimensions de la vie en société se sont nettement améliorées en 15 ans, alors que 4 autres ont peu bougé et ont même régressé. Quelles sont-elles?

Quatre aspects gagnants
Le niveau de vie moyen de la population a nettement augmenté (+26%). Des revenus familiaux disponibles en hausse, le chômage en baisse, moins de pauvreté. Ce sont là des résultats positifs de l’État-providence qui distinguent le Canada des USA, bien que l’écart entre riches et pauvres s’accentue.

La vitalité des milieux de vie s’améliore (+21%). Moins de crimes, plus de bénévolat, sentiment de sécurité. La vie démocratique se porte mieux (+19%): plus de femmes en politique, bien que la confiance envers les politiciens soit en régression. Il en va de même pour la scolarisation de la population, dont les indicateurs progressent (+19%).

…mais quatre aspects perdants
Les indicateurs de santé ont progressé moins vite (+6,6%). L’espérance de vie augmente, certes, mais les dépressions ou le diabète sont en hausse, de même que les toxicomanies.

La dimension environnementale a fait du sur place (-0,3%): on recycle plus, mais on pollue davantage et la consommation élargie qui est la nôtre laisse une empreinte écologique considérable.

L’emploi du temps est davantage contraint (-0,6%): heures de travail plus longues, moins de temps en famille et avec les enfants, moins de temps pour le soin des proches et des visites. Il en va de même pour les loisirs et la culture, la dimension qui s’est la plus dégradée (-3%): moins de temps pour les vacances, moins de consommation culturelle, moins de temps passé avec les amis.

Plus d’argent, moins de bonheur?
Oui, nous vivons mieux qu’avant, avec de meilleurs revenus et dans des logements plus confortables, mis à part les exclus de la société d’abondance. Mais cette abondance n’apporte pas avec elle nécessairement le mieux-être dans tous les aspects de la vie. D’importantes sphères de la vie qui contribuent au bonheur quotidien restent à la traîne. Cela donne à penser que le bonheur et le mieux-être n’ont pas nécessairement accompagné la croissance économique bien réelle des dernières 15 années. Nous avons maintenant les moyens scientifiques de mesurer l’écart qui les sépare, et un instrument pour mieux cerner les choix de société qui vont s’imposer dans l’avenir.

 

Pour en savoir plus

Langlois, Simon, «Mesurer scientifiquement le bonheur et la qualité de la vie» dans Miriam Fahmy (dir.), L’État du Québec 2011, Montréal, Boréal, 2010:  143-154.

Conseil consultatif du ICMÊ, Comment les Canadiennes et les Canadiens se portent-ils véritablement (Faits saillants du rapport Indice canadien du mieux-être 1,0), 2011.

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  1. Publié le 6 décembre 2011 | Par Simon Langlois

    Les commentaires de MM Mead, Auclair et Vultur notamment sont fort pertinents et appréciés. Les intiatives de mesurer le bien-être se multiplient et vont contribuer à la réflexion sur les politiques à adopter. Harvey Mead a raison d'insister sur l'importance qu'il faudrait accorder à la dimension écologique. Ce sera le grand défi dans l'élaboration de telles mesures dans les années à venir.
    Il faudra aussi apprendre à penser en termes moins économiques et voir les dimensions sociales. Le bonheur ou le mieux-être ne résident pas nécessairement dans plus de hauts revenus, mais aussi dans le "vivre autrement" ou même la simplicité volontaire, à ne pas confondre avec le dénuement. SL.
  2. Publié le 30 novembre 2011 | Par Harvey Mead

    Le nouvel ICMÊ est certainement intéressant, et avec le temps pourra nous donner un aperçu de notre «progrès». En lisant le document, je suis frappé de noter que, après avoir mentionné les défauts du PIB comme indicateur de progrès, les auteurs de l'ICMÊ soulignent que la croissance est nécessaire pour régler notre endettement. C'est un exemple préoccupant de l'impact de l'omniprésence du PIB comme indicateur, le PIB étant surtout intéressant pour nous montrer la croissance (on son absence...). Les auteurs de l'ICMÊ critiquent le PIB, mais suivent ce qui est implicite dans son usage courant, même si l'ICMÊ comme tel n'a pas de lien direct avec cette question.

    J'ai moi-même publié un livre cette année intitulé L’indice de progrès véritable du Québec (http://multim.com/titre/?ID=343) qui présente le calcul de cet autre indice de notre progrès. L'IPV, qui se distingue nettement de l’ICMÊ, est à peu près le seul indicateur de progrès qui permet de contester le recours omniprésent au PIB comme indice de développement, en prenant comme base l'élément clé du PIB et procédant, en dollars, à des «corrections» qui tiennent compte des externalités. Le résultat est un «progrès» diminué de moitié par rapport à ce que le PIB indique -et cela avant de se pencher sur l'empreinte écologique qui met le tout en question. L'ICMÊ suit un cheminement en parallèle et ne permet pas de lien direct avec le PIB.

    Je suis convaincu que les contraintes écologiques (sans parler des échecs sociaux) rendent illusoire l'idée que nous pourrons continuer avec la croissance, fortement dépendante qu'elle est de ressources et d'énergie: les crises sont déjà là, tout comme la compétition pour des ressources de plus en plus difficiles à trouver et chères à exploiter en termes énergétiques et financiers -et nous sommes déjà en dépassement de la capacité de support de la planète, comme mon calcul de l'empreinte du Québec a montré. Le développement des nouveaux indicateurs, du CIW ou de l'OCDE -et leur utilisation pour guider nos politiques publiques- ne répond pas au besoin crucial, soit la contestation des orientations des économistes conseillers des gouvernements à court terme.

    Quant au nouvel indicateur de l'OCDE, il reste toujours presque sans relation avec la situation des écosystèmes planétaires à laquelle le développement est intiment lié (un seul et plutôt faible indicateur pour l'environnement) et incapable d'incorporer des indicateurs de «soutenabilité», promis pour l'automne mais maintenant reportés au printemps, ou aux calendes grecques.
  3. Publié le 30 novembre 2011 | Par Rémy Auclair

    L'amélioration du bien-être de la population est maintenant un objectif central des pays de l'OCDE.

    Depuis la fin de 2010, l'Australian Treasury a instauré un nouveau cadre permettant de mesurer les progrès réalisés dans ce domaine. Il propose diverses techniques pour mesurer le bien-être en prenant en compte le produit intérieur brut, le revenu intérieur brut, l’indice de durabilité environnementale ou l’indice de développement humain.

    http://www.treasury.gov.au/contentitem.asp?NavId=049&ContentID=2174
  4. Publié le 24 novembre 2011 | Par Rémy Auclair

    @ Mircea

    Le bien-être est multidimensionnel. Il dépend à la fois des ressources économiques comme les revenus et des caractéristiques non économiques de la vie des gens: ce qu’ils font et ce qu’ils peuvent faire, leur appréciation de leur vie, leur environnement naturel, etc.

    Vouloir en faire l'unique résultat de la production économique est une vision aussi limitée qu'en faire le résultat de l'engagement démocratique.
  5. Publié le 24 novembre 2011 | Par Rémy Auclair

    Voici le lien à consulter pour accéder à l'indicateur de l'OCDE: http://www.oecdbetterlifeindex.org/
  6. Publié le 24 novembre 2011 | Par Rémy Auclair

    Récemment, l'OCDE a aussi développé un tel indicateur, «le vivre mieux».

    Construit sur la base de onze critères, (qualité du logement, la vie en communauté, l’importance de la protection de l’environnement, etc.), l’OCDE espère pouvoir mesurer la qualité de vie au sein des États de la zone. La sortie de ce nouvel indicateur s’accompagne d’une évaluation des performances pour chaque pays, ce qui permet de comparer la situation de chacun des membres, ce qui n'est pas rien.

    Cet indicateur découle des travaux de Joseph Stieglitz, notamment le rapport fait pour le compte du président Sarkozy démontrant que le PIB n’est pas suffisant pour mesurer le bien-être des individus.

    Reste maintenant à voir ce que l'OCDE, qui n'est pas vraiment connue pour son intérêt porté sur le bien-être des populations, fera de cet indicateur.
  7. Publié le 23 novembre 2011 | Par Mircea Vultur

    Ce texte a une fonction d’émancipation mentale. Il nous interroge sur le recours universel à l’économisme dans les débats sur les affaires publiques. J’observe que lorsque nous avons à nous prononcer sur une proposition ou sur une initiative, nous ne nous demandons pas si elle est bonne ou mauvaise. Nous examinons si elle est efficace, si elle est bonne pour le PIB, si elle contribue à la croissance. Les considérations de bien-être général, de principes ou celles morales sont souvent évacuées et on se limite, dans beaucoup de cas, à la question des profits et des pertes –questions économiques au sens le plus étroit du terme– qui ne révèlent pas de la condition humaine instinctive, du bonheur individuel. Ce texte nous interroge: Comment à notre époque sommes-nous arrivés à penser exclusivement en termes économiques?

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