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La nouvelle stratification sociale ethnique à Montréal

Les allophones de la grande région de Montréal occupent des positions sur le marché du travail nettement moins avantageuses que les anglophones et les francophones. Pendant une bonne partie du 20e siècle, ces derniers ont été concentrés au bas de l’échelle sociale, comme l’avait constaté la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (aussi appelée «commission Laurendeau-Dunton») dans les années 1960. De nos jours, ce sont les immigrants de langue maternelle tierce qui se retrouvent en majorité dans les strates sociales les moins favorisées.

Photo Jean-Michel Villanove

Photo Jean-Michel Villanove

Précision de méthode
Une précision s’impose avant d’examiner les données sur la stratification sociale selon l’ethnicité, tirées de la dernière enquête de Statistique Canada menée lors du recensement de 2011. Celles-ci donnent une vue incomplète de la situation des immigrants nés en dehors du pays, car un certain nombre d’entre eux se trouvent dans le groupe linguistique francophone ou anglophone de par leur langue maternelle, comme c’est le cas des Irlandais ou des Français qui ont immigré au Québec, par exemple. Ainsi, en 2015, le Québec a accueilli 45 000 immigrants dont 9 000 étaient de langue maternelle française.

De même, ces données ne permettent pas d’analyser la situation des personnes de la 2e génération d’immigrants, citoyens nés au Québec ou au Canada —parlant le français ou l’anglais en plus d’une tierce langue—, mais qui peuvent être l’objet de discrimination ou rencontrer des difficultés sur le marché du travail à cause de leur appartenance ethnique. C’est le cas en particulier des minorités visibles. Ces personnes peuvent, dans un certain nombre de cas, avoir donné une langue tierce comme langue maternelle même si elles sont nées au Canada.

Cela dit, les données qui suivent donnent cependant une bonne estimation du statut social des personnes issues de l’immigration dans la région montréalaise, même si nous ne pouvons pas généraliser à l’ensemble, ce qui exigerait un travail complémentaire.

La nouvelle stratification ethnique montréalaise
Premier constat, les immigrants de langue maternelle tierce sont nettement moins bien représentés dans les strates sociales supérieures de même qu’au sein des strates sociales typiques des classes moyennes —notamment chez les infirmières et les enseignants— par comparaison avec les francophones et les anglophones qui ont été l’objet de nos analyses dans les billets précédents.

Deuxième constat, les deux tiers des immigrants nés en dehors du Canada et travaillant dans la région montréalaise se trouvent chez les employés de bureau, les employés dans la vente, les employés dans les services ainsi que chez les ouvriers et les cols bleus alors qu’environ la moitié des Montréalais nés sur place sont dans ces mêmes strates sociales. Cela confirme que les statuts sociaux de ces nouveaux arrivants sont moins élevés que ceux des natifs.

La 3e observation porte sur 2 strates sociales en particulier, soit celles des employés de bureau et des professionnels intermédiaires dans lesquelles les travailleurs de langue maternelle tierce sont en proportion nettement moins plus faible, ce qui exige un mot d’explication. Les emplois dans ces 2 strates sociales demandent souvent des qualifications spécifiques que les nouveaux arrivants n’ont pas, comme le diplôme requis pour pouvoir enseigner, un permis de pratique professionnelle, des connaissances en informatique ou encore une certaine familiarité avec les organisations et les sociétés susceptibles de les employer (grandes banques, sièges sociaux, municipalités, établissements d’enseignement et organisations gouvernementales). On a ainsi souvent déploré la faible représentation des minorités ethniques et visibles dans la fonction publique québécoise dont les règles de recrutement par concours sont souvent complexes.

Les allophones actifs sont par ailleurs surreprésentés chez les ouvriers et les cols bleus, une strate sociale dans laquelle ils sont 4 fois plus nombreux. Ici encore la question des qualifications se pose, notamment pour les réfugiés qui, très souvent, souffrent de déficits de formation et sont alors obligés d’accepter des emplois manuels non qualifiés. Une analyse plus fine montrerait de fortes inégalités au sein de la classe ouvrière elle-même, les immigrants y ayant un statut social moins favorable que les ouvriers francophones ou allophones qualifiés. Les ouvriers nouvellement arrivés n’ont pas, dans la majorité des cas, les certificats de compétence requis pour accéder aux meilleurs emplois chez les cols bleus.

Il faut cependant insister sur une cause majeure qui a été maintes fois avancée pour expliquer le statut social moins élevé des immigrants: la non-reconnaissance des qualifications et des diplômes. Une analyse croisant le diplôme et la formation des personnes actives serait nécessaire pour appuyer cette affirmation, mais les nombreux exemples régulièrement rapportés dans les médias viennent soutenir cette hypothèse très plausible.

Un autre facteur sociologique s’avère important: les réseaux sociaux. Ces derniers jouent un rôle dans l’accès aux emplois, car ils sont des canaux par lesquels circule l’information sur les postes vacants, d’un côté, et sur les candidats potentiels, de l’autre. Or, les immigrants n’ont pas —ou, au mieux, ont peu— accès à ces réseaux qui leur donneraient la bonne information sur les emplois qui leur conviennent ou ne peuvent faire valoir facilement leurs compétences par l’entremise de leurs relations sociales. Ce facteur a une portée sociologique plus grande, car on sait que les réseaux sociaux constituent des facteurs structuraux à prendre en compte pour expliquer aussi la sous-représentation des femmes chez les cadres supérieurs ou encore la sous-représentation des francophones aux plus hauts échelons des entreprises possédées par des anglophones.

Enfin, il ne faudrait pas oublier un dernier facteur, bien réel, mais plus difficile à mesurer: la discrimination dont sont victimes certaines catégories d’immigrants. Cette question mériterait à elle seule de longs développements et des enquêtes précises.

Une stratification sociale bimodale
L’examen du tableau suivant nous invite à formuler un autre constat.

tableau_langue_tierce

On voit en effet que les proportions d’immigrants allophones dans certaines strates sociales se différencient moins de celles des personnes nées au Canada. Autrement dit, les écarts entre les immigrants et les natifs ne sont pas égaux dans toutes les strates sociales alors qu’ils sont plus élevés dans certaines d’entre elles. C’est le cas pour les professionnels, les cadres et les techniciens. Certes, les immigrants sont en proportion un peu plus faible dans ces strates sociales, mais les écarts sont moins importants que dans les autres. Cela s’explique par les politiques canadiennes et québécoises qui accordent davantage de points, lors de la sélection des candidats à l’immigration, à ceux qui ont des qualifications élevées, même si plusieurs d’entre eux rencontrent des problèmes de reconnaissance de leurs diplômes une fois arrivés au pays. Or, malgré les problèmes rencontrés et les facteurs explicatifs exposés plus haut, une partie d’entre eux réussissent manifestement à se classer parmi les cadres, les professionnels et les techniciens, soit dès l’arrivée ou encore après un certain temps.

Il en résulte ce qu’on pourrait appeler le caractère bimodal de la stratification sociale chez ces personnes immigrantes. Une partie d’entre elles ont finalement acquis un statut élevé ou encore ont eu accès à la classe moyenne supérieure, alors que les autres immigrants sont relégués aux strates sociales les moins élevées, soit parce que leur formation n’est pas reconnue, soit pour les autres raisons avancées plus haut.

Les femmes et les hommes se distinguent
La stratification sociale selon l’ethnicité se double de différences importantes selon le sexe chez les personnes de langue maternelle tierce. Les hommes sont davantage représentés chez les cadres supérieurs, chez les professionnels, de même qu’en milieu ouvrier, accentuant le caractère bimodal noté plus haut.

De leur côté, les femmes se concentrent davantage que les hommes chez les professionnelles intermédiaires (infirmières, enseignantes, etc.) et chez les techniciennes, soit, pour le quart d’entre elles environ, dans les emplois typiques des classes moyennes supérieures.

Enfin, on notera des différences importantes selon le sexe dans les autres strates sociales, qui reproduisent la forte stratification selon le sexe qui caractérisait hier encore la majorité francophone/anglophone et qui s’est modifiée ces dernières décennies, comme je l’ai montré dans un billet précédent. Or, les différences entre les femmes et les hommes sont plus fortes chez les immigrants que chez les natifs canadiens et québécois. Les femmes immigrantes sont fortement présentes dans les secteurs des services (les employées de bureau et les employées dans la vente et dans les services personnels) alors que les hommes travaillent en milieu ouvrier en plus forte proportion.

À cause de leur présence dans les positions sociales de classe moyenne, les femmes immigrantes jouent un rôle important dans l’acquisition du statut social du couple ou de la famille au sein de la société d’accueil, un phénomène qui mériterait d’être mieux documenté.

***
Ce billet est le 4e d’une série sur la mutation sociale de la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal de 1971 à 2011. Pour lire les autres billets:

1. Radiographie sociale de Montréal

2. Les femmes changent le visage de Montréal

3. Structure sociale de Montréal: des traces du clivage linguistique

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