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Photo de Agnès Blais

La Bouriatie et sa majesté, le lac Baïkal

En Sibérie, au sud et à l’est du lac Baïkal, bouddhisme, chamanisme et orthodoxie se mélangent constamment. Nous sommes en  terre bouriate1, peuple d’origine mongole qui pratique le bouddhisme tibétain. Arrivés de Mongolie entre les 9e et 10e siècles, les Bouriates se sont mélangés à certaines populations autochtones (Evenki, Kets, Scythian) et en ont fait fuir d’autres, comme les Yakout, plus au nord. Les Bouriates se sont assimilés aux populations locales et sont devenus le groupe ethnique dominant de Sibérie orientale. Le bouddhisme tibétain est arrivé en Bouriatie au 18e siècle et s’est ajouté aux croyances chamaniques. Autrefois, les Bouriates vivaient en tribus, parentèles élargies dirigées par un prince dont le pouvoir était héréditaire. Le «rod», nom de la lignée, est demeuré très important.

Le datsan bouriate d’Aginskoe
Après quelques jours au milieu des gaz des voitures de la ville de Tchita, le datsan bouriate d’Aginskoe me semble un havre de paix. Les datsans sont des monastères d’enseignement bouddhiste. Datant de 1816, le mélange russe-bouddhiste-bouriate de l’architecture du datsan surprend: les maisons de bois russes typiques ont revêtu des couleurs très vives et unies. À l’intérieur, les lamas reçoivent les gens qui leur demandent des conseils ou d’exaucer leur vœu. Bien qu’il y ait la queue à l’entrée, le calme règne. Le plus souvent, les pèlerins devront faire une offrande de nourriture pour les bons auspices. La gueule des dragons bouddhiques est d’ailleurs remplie de «konfety» (bonbons russes). Plusieurs mariés bouriates se succèdent en font tourner les stupas (moulins à prière).

Jusqu’au milieu du 19e siècle, les lamas bouriates devaient étudier au Tibet ou en Mongolie. À partir des années 1860, le datsan d’Aginskoe s’est développé et est devenu un important centre d’études bouddhistes et d’édition en Asie centrale. Beaucoup de traductions du tibétain au mongol, au russe et au bouriate y étaient effectuées.

Les répressions contre la religion bouddhiste et ses représentants ont commencé dans les années 1930. La majorité des lamas du datsan d’Aginskoe ont été fusillés ou envoyés au goulag. L’éducation religieuse bouddhique a pu renaître lors de la perestroïka. Après la chute du régime soviétique, une académie bouddhique a été fondée. Les moines y étudient aujourd’hui la philosophie religieuse, le tantrisme, la médecine tibétaine, l’astronomie, l’astrologie et l’art bouddhique. Plusieurs échanges étudiants sont organisés avec l’Inde et la Mongolie.

Le parc national bouriate d’Alkhanay
Un peu plus au sud, toujours dans le district autonome de Bouriatie, se trouve le parc national d’Alkhanay. Je me réjouissais déjà à l’idée de faire de la randonnée en montagne, mais après l’absence de marcheurs et de possibilités d’excursions, je fais d’autres découvertes. Ma première question en arrivant: «Comment monter au sommet?» Et on me répond: «On ne peut plus y aller, il y a eu un feu et les arbres tombés ont bloqué le chemin». Déception, acharnement, bravoure, y aller quand même… Si seulement j’avais des partenaires aventuriers. Mais ce n’est pas du tout le cas. Les Russes et les Bouriates viennent à Alkhanay pour se baigner dans les sources curatives de l’Archan. Des panneaux indiquent les cuvettes où on se soigne les maux d’estomac, celles pour les yeux, le cœur, etc. L’eau est glacée, atteignant quelques degrés seulement. Il y a grande affluence, de bouddhistes comme d’orthodoxes. Après les bains, ils repartent avec des bouteilles remplies de cette eau minérale curative.

Mon amie Tania et moi dormons dans de petites cabines triangulaires, sans confort ni toilettes. Sous une sorte de cuisine d’été en bois, une babouchka (grand-mère) prépare le met national, les «buzés», de gros raviolis bouriates que l’on mange à la main en perçant d’abord un petit trou dans la pâte pour aspirer le jus de la viande. Elle nous adopte. «Les buzés sont moins chers que dans les buvettes vers les sources, et meilleurs», dit-elle. Puis elle éclate de rire en nous rappelant ce Belge qui ne mangeait pas de viande, inconcevable en Bouriatie. Une famille de 10 personnes arrive. Tous parlent bouriate. Chaque fois, notre cuisinière s’empresse de présenter son invitée du Canada. Puis les employés s’attablent. Un étonnant chamane, immense, s’assoit en face de moi. Il a été militaire, danseur de ballet et est aujourd’hui massothérapeute chamane. Danseur de ballet jusqu’à ce qu’il se casse une jambe, il explique la situation ainsi: «les dieux me réservaient une autre destinée». Il a ensuite bifurqué vers les affaires, mais a fait faillite. «Encore une fois, je faisais fausse route».  Depuis cinq ans, il est chamane et massothérapeute; il a enfin trouvé sa véritable vocation.

Il y a un sentier, bouddhiste. C’est un pèlerinage aux lieux saints de la montagne sacrée Alkhanay. Le sentier forme une sorte de route touristique de la foi. Autour de moi, Russes comme Bouriates démontrent une grande ferveur: ils prient, nouent des tissus aux arbres, laissent des offrandes, jettent des pièces de monnaie, des graines de tournesol. Ils demandent que leurs souhaits de santé, d’amour et de fertilité soient exaucés. Parmi les stations, il y a la petite grotte de la fertilité où les femmes recueillent quelques gouttes d’eau surgie de la pierre et les appliquent sur le ventre pour une fille, sur les reins pour un garçon. La quantité d’offrandes est telle qu’elle laisse une odeur désagréable. Tout autour de la grotte, il y a une profusion de petits vêtements, de jouets et d’actes de naissance, quand le vœu a été exaucé. En rampant à travers la Crevasse des péchés, j’en ai profité pour me débarrasser de mes péchés. La grande arche de pierre, la Porte de Shambala, une entrée vers le paradis spirituel, est, naturellement, la plus impressionnante. On dit qu’elle est reliée à l’île d’Okhon, sur le lac Baïkal, par des fils invisibles.

Lida, une passagère rencontrée dans le minibus, me donne un «khadak», le foulard traditionnel bouddhiste offert en gage d’hospitalité, un bout de tissu bleu à nouer sur un arbre et quelques pièces de monnaie, à jeter dans la rivière. Cette générosité et ces attentions m’ont conquise et rendue heureuse.

L’île d’Olkhon sur le lac Baïkal
Le lac Baïkal, mer sacrée des Bouriates (636 km de long), est l’étendue d’eau douce la plus profonde au monde (1637 m). Immensité plus grande que les 5 Grands Lacs réunis! Il contient à lui seul 1/5 de l’eau douce de la planète. Le lac est magnifique. On croit regarder la mer, puis on se rend compte que l’eau est douce et translucide. Il faudrait créer le bleu Baïkal.

S’y trouve l’île d’Olkhon qui est, elle aussi, considérée par les Bouriates comme l’un des 5 pôles d’énergie chamanique. Là encore, rocher chamanique et pierre de l’amour sont des lieux de dévotion. La steppe, sèche, à l’herbe courte un peu jaune, s’arrête en bas des caps abrupts ou lance ses bras dans une étendue tantôt bleu royal, tantôt turquoise. En plus de la steppe, une forêt de pins sibériens et un petit désert constituent l’environnement, très sec, de l’île. Plusieurs vaches et chevaux paissent. De nombreux «aigles solaires» (l’aigle royal) et faucons planent dans le ciel2. Les poteaux plantés dans la steppe et sur lesquels sont noués des rubans servent de lien avec les morts. Selon la tradition bouriate, les morts sont brûlés dans la forêt et non pas enterrés. Autrefois, ces poteaux se dressaient sur la route, non loin des maisons, mais celles-ci ont été détruites et leurs habitants, chassés lors des collectivisations. À chaque passage sur les terres de sa famille élargie –c’est-à-dire le «rod» entier, soit jusqu’à la 7e génération–, il faut nouer un ruban et raconter sa vie aux ancêtres. Lorsque le poteau n’est plus entretenu et qu’il penche, c’est qu’il n’y a plus de survivants.

À l’époque soviétique, sur l’île d’Olkhon, il y avait un sovkhose dont l’activité principale était l’exploitation de poisson. Contrairement au kolkhoze, qui signifie propriété commune, le sovkhose, bien que très semblable, était entièrement approvisionné par l’État. Aujourd’hui, les habitants d’Olkhon vivent uniquement du tourisme. Il paraît que l’hiver, le lac glacé décline un camaïeu de bleu et qu’au printemps des rhododendrons sauvages fleurissent dans la forêt. Nous parcourons les routes de l’île dans un camion soviétique parfait pour affronter ces montagnes russes. Les routes de Sibérie à travers les steppes sont le plus souvent sans asphalte.

Retour à Irkutsk
Le chauffeur ne me parle pas, ou plutôt en grognant quelques syllabes peu audibles, étant sûr que je ne parle pas russe. Je lui réponds en russe. Il lève un sourcil puis se tait. Sur son tableau de bord, un mini triptyque avec trois saints orthodoxes. Une autre petite icône de son saint, Vassili. Un «chapelet» bouddhiste, une dent «chamaniste». Un paquet de cigarettes Kent et une grande réserve de «kopieki», des petites pièces qu’il lancera religieusement à chaque lieu sacré bouriate, tous devenus depuis longtemps œcuméniques. Pour les Russes, il est obligatoire de lancer une pièce au passage pour avoir de la chance sur la route. Dans les règles, il faut aussi faire une pause d’une minute en s’asseyant avant d’entamer un voyage.

 

1 Dans le casse-tête administratif russe du découpage territorial, il y a la République de Bouriatie, située au sud du lac Baïkal puis qui le borde du côté est, et le district autonome de Bouriatie situé dans le kraï (territoire) de Transbaïkalie. Évidemment, chacune de ces divisions est dotée de pouvoirs différents.

2 Une partie de l’île d’Olkhon est incluse dans le parc national du lac Baïkal instauré en 1986 et qui couvre une étroite bande de la rive ouest du lac. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, le lac Baïkal comprend une faune et une flore très riches (phoque nerpa, loup, ours, renard, zibeline, cigogne noire, mouette argentée).

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  1. Publié le 8 février 2013 | Par Hubert REMAURY

    Bonjour,
    Votre écrit sur les Bouriates m'a beaucoup intéressé. Je pars en Avril, de Toulouse avec ma femme, en tandem. Notre but est de rejoindre l'Asie du Sud Est, par la route, les canaux, les fleuves et le train. Nous allons passer environ 3 mois entre Bouriatie et Mongolie, sur un axe entre Irkoutsk, Oulan Oude, la vallée de la Bargouzyne et Chita pour pouvoir bien appréhender la culture Bouriate. Je cherche pour préparer cette partie du voyage, des renseignements sur cette culture. Pourriez-vous m'indiquer quelques sources bibliographiques, accessibles à deux cyclistes curieux?! Ce qui m'intéresse plus particulièrement, c'est de voir comment et pourquoi les Mongols ont émigré vers la rive Est du Baïkal, et comment cohabitent le boudhisme, le chamanisme et la religion orthodoxe. Et bien évidemment, je suis «preneur» de tous renseignements utiles pouvant éclairer notre périple en terre bouriate.
    Bonne soirée
  2. Publié le 7 septembre 2012 | Par Stéphane

    Bonjour Agnès!
    Ravi de te voir faire ce voyage magnifique que nous avons effectué en... 2000! Ton récit est vraiment plaisant à suivre. Si tu en as l'occasion, donne le bonjour de notre part (notamment de Tug) à Nikita, qui dirige toujours -à ce qu'il me semble- la base sur l'île d'Olkhon, où tu dois certainement dormir. Belle fin de voyage! Nous t'embrassons bien fort, Stef & Katia.

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