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Photo de Simone Lemieux

Tempête dans un verre de jus

Peut-être avez-vous été témoin de la saga opposant le jus de fruits au Guide alimentaire canadien? Le 19 mai dernier, un article publié dans le quotidien La Presse1 mentionnait que Santé Canada pourrait retirer le jus du Guide alimentaire canadien. Comme plusieurs, cela m’a fait réagir et je n’ai pas hésité à accorder une entrevue sur le sujet.

Jus-400Le lendemain de mon entretien avec la journaliste du quotidien Le Soleil, des recherchistes de différentes stations de radio et de télé me couraient après alors que je n’étais pas encore levée. On voulait absolument me parler de l’article sur les jus. Avant de répondre, j’ai ouvert mon journal. En voyant l’article «Une nutritionniste à la défense des jus»2 et en constatant que la nutritionniste c’était bel et bien moi, j’ai compris ce qui se passait. Comme j’ai cette fâcheuse tendance à amplifier les choses, je n’ai pu m’empêcher de penser que ce titre accolé à mes propos pouvait renvoyer l’image d’une Simone prête à débarquer dans la rue avec ses pancartes en scandant «Jus, jus, jus! Buvez du jus!». Je suis probablement la seule, du moins j’espère, à avoir eu cette image en tête… Voyons donc plus calmement ce que je pense vraiment des jus de fruits.

Exit le jus!
Depuis que le sucre a repris du galon en tant que démon de l’alimentation, le jus de fruits passe un mauvais quart d’heure. Pour démontrer que le statut «santé» du jus de fruits est totalement injustifié, ceux qui militent pour son retrait du Guide alimentaire canadien le décrivent souvent comme un verre d’eau auquel on ajoute du sucre et quelques gouttes de vitamines.

Qu’on se le dise, nous n’avons pas absolument besoin de jus de fruits pour nous alimenter correctement et, sur cette base, le jus pourrait ne pas faire partie du Guide. Cependant, les éclaboussures que pourrait générer un désaveu soudain du jus de fruits ne sont peut-être pas souhaitables.

Jus et boissons gazeuses: interchangeables?
Ma crainte par rapport à la démonisation du jus est de le voir jeté au cachot avec les boissons gazeuses et autres boissons sucrées. Dans ce contexte, pourquoi se casser la tête et le portefeuille à acheter des jus de fruits? Aussi bien, ou plutôt aussi mal, boire des boissons gazeuses. Si on se fie aux études portant sur les effets respectifs de la consommation de jus et de boissons gazeuses sur le développement de l’obésité abdominale et du diabète de type 2, effectuer une telle substitution serait une bien mauvaise stratégie.

Dans une étude où l’on a suivi plus de 25 000 personnes sur une période de près de 11 ans, on constate que la consommation d’une boisson gazeuse par jour augmente de 21% le risque de développer le diabète de type 23. De son côté, la consommation d’une portion de jus de fruits est associée à une augmentation du risque de 1%, ce qui n’est pas statistiquement significatif.  De façon similaire, dans une étude réalisée auprès de plus de 2 000 personnes suivies sur une période de 10 ans, on rapporte que la consommation de boissons gazeuses, mais pas celle de jus de fruits, est associée à un risque accru de développer de l’obésité abdominale4. Les résultats de cette étude suggèrent aussi que de remplacer une boisson gazeuse par un jus de fruits serait associé à une diminution significative du tour de taille. Dans ce contexte, on ne veut certainement pas que les gens soient tentés de troquer leur jus de fruits pour des boissons gazeuses.

Au-delà de ces résultats d’études, d’autres différences existent entre le jus de fruits et les boissons gazeuses. Par exemple, le contexte de consommation est souvent très différent. A-t-on l’habitude de s’écraser dans son fauteuil avec un sac de chips et un litre de jus d’orange?

Les fruits entiers: un meilleur choix
Même si je suis «la nutritionniste qui défend les jus», je tiens à dire haut et fort que la consommation de fruits entiers est à privilégier. Les fruits présentent une qualité nutritionnelle plus intéressante que les jus, notamment en raison de leur teneur en fibres plus élevée. Ils auraient aussi des avantages importants au regard de la capacité de satiété. Des études ont d’ailleurs démontré que les fruits étaient plus rassasiants que les jus de fruits. Les fibres pourraient jouer un rôle dans cet effet, mais il y a plus que ça, puisque cet avantage des fruits par rapport au jus est observé même quand les jus sont enrichis en fibres5. Il semble que les aliments liquides auraient un moins bon pouvoir rassasiant que les aliments solides. Il serait donc «plus facile» de surconsommer des calories quand on les boit que quand on les mange.

La suite des choses
Santé Canada mentionne qu’une analyse de la littérature s’impose avant de prendre des décisions liées à l’avenir du jus de fruits. Dans l’analyse de la situation, il sera également important de considérer la consommation actuelle de jus des Canadiens afin de voir dans quelle mesure elle est problématique et de cibler des groupes de notre population qui seraient plus susceptibles d’en consommer de trop grandes quantités. Nous aurons d’ailleurs prochainement des données fraîches par l’entremise de l’Enquête de santé dans les collectivités canadiennes qui est en cours.

Les dernières données sur la consommation alimentaire des Canadiens (en 2004) ne semblaient pas faire état d’une consommation abusive de jus de fruits chez les adultes, celle-ci variant entre 76 et 176g en moyenne par jour selon le sexe et le groupe d’âge. Par contre, les enfants et les adolescents en consommeraient de manière plus importante (entre 147 et 200g par jour). Rappelons qu’un verre de jus de 125 ml (environ 130g) correspond à une portion de fruits selon le Guide alimentaire canadien.

Si j’avais une prédiction à faire, je dirais que les jus de fruits demeureront dans le Guide. Je pense cependant que des indications plus précises seront émises pour mieux baliser leur consommation. Dans la version actuelle du Guide alimentaire canadien, il est mentionné «Consommez des légumes et des fruits de préférence aux jus», ce qui demeure assez vague. La «nutritionniste à la défense des jus» mentionnait d’ailleurs qu’on pourrait peut-être en venir à limiter la consommation de jus de fruits à une portion par jour. Si les auteurs du Guide choisissent cette direction, ils devront cependant faire attention à la façon dont sera transmis le message. L’expérience nous montre que les messages restrictifs sont souvent mal reçus et peuvent avoir des effets pervers. C’est donc une histoire à suivre. En attendant, je vais aller préparer mes pancartes! 

Note: Par souci de transparence et puisque certains de mes collègues nutritionnistes en ont fait état sur les réseaux sociaux à la suite de la publication de l’article du Soleil du 21 mai, je tiens à mentionner que j’ai fait partie d’une équipe de recherche financée de façon conjointe par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et les Industries Lassonde inc. Cette subvention a pris fin en 2012. Je vous laisse le soin de juger si mes propos manquent d’objectivité ou favorisent indûment un discours pro-jus.

1 Pour lire l’article, cliquez ici.

2 Pour lire l’article, cliquez ici.

3 O’Connor L, Imamura F, Lentjes MA, Khaw KT, Wareham NJ, Forouhi NG. «Prospective associations and population impact of sweet beverage intake and type 2 diabetes, and effects of substitutions with alternative beverages.» Diabetologia 2015 May 6.

4 Funtikova AN, Subirana I, Gomez SF, Fitó M, Elosua R, Benítez-Arciniega AA, Schröder H. «Soft drink consumption is positively associated with increased waist circumference and 10-year incidence of abdominal obesity in Spanish adults.» J Nutr 2015; 145: 328-334.

5 Flood-Obbagy JE, Rolls BJ. «The effect of fruit in different forms on energy intake and satiety at a meal.» Appetite 2009; 52: 416-422.

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  1. Publié le 22 juin 2015 | Par Françoise Ruby

    Excellente réflexion, livrée avec humour par quelqu'une qui assume parfaitement ses positions parce qu'elle connaît la nutrition à fond et dans tous ses recoins.
  2. Publié le 22 juin 2015 | Par Lisa

    Merci pour cet article!
    Plutôt que de vous imaginer avec une affiche qui dit «Jus, jus, jus! Buvez du jus!», je vois vos pancartes disant «modération», «le bon sens est #1», «arrêtez l'étiquetage des aliments comme bon ou mauvais».
    Les médias aiment la controverse. Cela peut faire penser aux diététistes qu'ils ont à adopter une approche ennuyeuse pour l'alimentation et la nutrition. Je crois qu'il vaut mieux dire la vérité sur les aliments qui font l'objet de controverse (par exemple pro-gluten, pro-produits laitiers, etc.). J'ai hâte de lire votre prochain article!

    (Thank you for this article! Rather than imagining you with a sign saying "Juice! Drink Juice", I see your signs saying "moderation", "let common sense prevail" and "stop labelling foods as good or bad".
    The media loves controversy. This can make dietitians think they have to take a boring approach to food and nutrition. I believe in stating telling the truth about food no matter how "controversial" it may be (example pro-gluten, pro-dairy, etc). I look forward to reading your next article.)

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