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Photo de Simon Langlois

Travail professionnel et individualisation

Le nombre de professionnels est en croissance au Québec et les types de professions se diversifient, notamment à cause de la certification des connaissances par le système universitaire.

Dans un récent article1, j’ai étudié quelle était l’importance relative des professions au Québec, anciennes et nouvelles. Les résultats sont assez étonnants. Ils témoignent des changements en cours dans la stratification sociale de notre société, où les professions libérales ont toujours eu une grande importance, mais aussi de la montée de l’individu comme référence principale dans la modernité avancée.

Professionnalisation accrue au Québec
Il y a environ 300 000 professionnels au Québec en 2012 (contre 70 000 en 1971), soit un peu plus de 7% de la population active. Les médecins et avocats –figure emblématique du professionnel aux XIXe et XXe siècles– ne sont plus seuls dans le décor. De nouvelles professions ont émergé: travailleurs sociaux, psychologues, sociologues, économistes, analystes financiers, sans oublier les professionnels de la culture et des communications, incluant les journalistes.

Ma définition de la profession embrasse-t-elle trop large? Il y a ici matière à débats, c’est pourquoi j’ai pris soin d’expliciter les critères de définition dans le texte donné en référence auquel je renvoie le lecteur.  

Anciens et nouveaux professionnels
Plusieurs constats sont surprenants dans mon étude, comme quoi les observations empiriques restent essentielles pour comprendre notre société en mutation.

La part que représentent les professions libérales traditionnelles est restée stable depuis les années 1970, autour de 40% du total. Le nombre de professionnels œuvrant dans le domaine juridique (notaires et avocats) a augmenté presque 2 fois plus vite que le nombre de médecins et dentistes. Cependant, l’arrivée de nouvelles professions dans le domaine de la santé a redonné un net avantage à ce secteur d’activité.

Les professionnels de la gestion et de la finance sont maintenant aussi nombreux que les professionnels de la santé, alors qu’ils étaient 2 fois moins nombreux il y a 40 ans. Ils ont été des acteurs centraux dans l’émergence de Québec Inc.

Suivent deux groupes presque égaux: les professions en sciences pures et appliquées et les professions en sciences sociales, ces dernières étant en croissance marquée. En sciences sociales, ce sont les professions offrant des services aux personnes qui sont les plus nombreuses (psychologues, travailleurs sociaux, conseillers en orientation, etc.).

Viennent enfin les professions du domaine culturel et des communications (musiciens, acteurs, journalistes, etc.). Ce groupe est encore marginal –ses membres représentent 1 professionnel sur 10– mais une bonne partie d’entre eux ont de la difficulté à vivre de leur art et de leur travail.

La féminisation des professions
La moitié des professionnels sont des femmes. Elles sont largement majoritaires dans le domaine des sciences sociales (2 sur 3) et elles comptent pour la moitié des effectifs des professions libérales (51,4%), un peu moins dans le domaine culturel (47,2%). La proportion de femmes en sciences pures et appliquées (le génie) progresse (22% du total), une part plus élevée que celle à laquelle je m’attendais.

 

Les professionnels, rouages-clés de l’organisation…
Il n’est pas étonnant que le nombre de professionnels ait tant augmenté. L’économie, le système de production, le système politique, le système social et l’État-providence, sans oublier le secteur associatif, fonctionnent sous le mode bureaucratique. Le modèle organisationnel est partout omniprésent et les professionnels sont des rouages-clés au sein des organisations qui ne sauraient fonctionner sans leur expertise.

L’implication des professionnels dans les organisations change cependant leur statut ainsi que la nature de leur travail. Les professionnels d’hier étaient presque tous des travailleurs autonomes (à leur compte) dont le travail était contrôlé par une corporation. Ils jouissaient d’un prestige élevé dans la société et se référaient à la communauté de leurs pairs, soit autant de caractéristiques identifiées par les sociologues pour définir une profession. Une partie de ces attributs leur échappe maintenant qu’ils sont très souvent salariés.

… mais aussi acteurs dans le processus de l’individualisation
Je voudrais insister sur un autre apport des professionnels en soulignant qu’ils sont devenus des acteurs-clés dans le processus d’individualisation. Un grand nombre d’entre eux ont en effet pour tâches de rendre des services aux individus: soins des malades, traitements des blessures de l’âme, conseils juridiques et financiers, design d’intérieur, information, divertissement et spectacles, et j’en passe.

Lire un journal, rédiger un rapport d’impôt, acheter un médicament, aider son enfant en difficulté scolaire, rénover sa cuisine, assister à un opéra, faire de l’exercice physique, acheter une maison ou divorcer: voilà une liste bien incomplète d’activités qui nous mettent en contact avec un professionnel.

Le travail professionnel est devenu un élément central dans la modernité avancée et il a contribué à la montée de l’individu comme référence, à l’individualisation de la vie en société. En retour, la mutation des liens sociaux traditionnels et les exigences nouvelles de la vie en société encouragent le développement de l’expertise professionnelle. Ce lien étroit entre expertise professionnelle et vie individuelle n’est sans doute pas étranger à la forte présence des femmes dans ce type d’activité et dans leur choix de s’engager dans les formations universitaires qui mènent à l’exercice d’une profession.

L’individu contemporain ne peut plus se passer du recours à l’expertise professionnelle dans sa vie courante; pas plus que l’organisation et, plus largement, le système économique développé ne peuvent fonctionner sans elle. Les effectifs des professions sont donc appelés à poursuivre leur croissance et la présence des femmes, de continuer à s’accentuer.

1 Simon Langlois, «La grande mutation des professions au Québec, 1971-2006», Les Cahiers des Dix, numéro 65, 2011, p. 283-303.

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  1. Publié le 1 mars 2012 | Par Simon Langlois

    L'analyse des revenus des professionnels selon les sexes est à faire et vous soulevez des questions intéressantes. Cette étude exigera cependant de tenir compte des heures travaillées, ce qui la rend plus difficile. Les professions offrant des services directs au personnes (en travail social par exemple) ont des moyennes de revenus moindres que les professions de services aux entreprises (en comptabilité ou en droit par exemple), d'après un premier examen des données disponibles dans «beyond 2020» de Statistique Canada. Il en va de même pour les professions dans le domaine culturel et celui des communications (où il y a un peu plus d'hommes que de femmes). Le secteur d'activité, la variable sexe et les heures travaillées combinent leurs effets, ce qui exige un examen sur microdonnées afin d'isoler le facteur «effet propre du genre ou du sexe». Ainsi, on sait que les jeunes médecins (je ne parle pas des résidents) parmi lesquels il y a une majorité de femmes sont moins enclins à travailler de longues heures et donnent une priorité à la conciliation travail-famille. De leur côté, le nombre d'ingénieurs a cru moins vite que les besoins (voir mon étude) et la demande de main-d'oeuvre excède l'offre de diplômés, ce qui pousse à la hausse les revenus. La variable sexe n'est donc pas le seul facteur qui explique les différences globales de revenus observées. Je vais tenter de voir ce qui en est dans les prochains mois afin de répondre à la question très pertinente que vous soulevez. Merci pour votre commentaire.
  2. Publié le 1 mars 2012 | Par SB

    Il serait intéressant de connaître l'échelle de revenus de ces différentes catégories de professionnels.

    J'aimerais savoir entre autres si les femmes professionnelles gagnent moins que les hommes qui exercent la même profession, comme c'est le cas dans le monde du travail en général. Et si les professions majoritairement «féminines» sont moins payantes que les professions majoritairement «masculines». La courbe de croissance du revenu d'une profession comme la médecine, qui se féminise de plus en plus, tend-elle à ralentir par rapport à celle d'autres professions, comme ingénieur, qui restent surtout masculines?

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