Le magazine Contact

La zone d'échanges entre l'Université Laval,
ses diplômés, ses donateurs et vous

Le magazine Contact

Automne 2011

BGL, l’art et l’insolence en trois dimensions

Le trio d'art contemporain BGL présente des oeuvres qui déstabilisent. Public et critiques en redemandent.

Les trois sculpteurs qui forment, depuis 15 ans, le trio de choc en art contemporain qu’est BGL ont leur repère d’artiste dans le quartier Saint-Sauveur, en Basse-Ville de Québec. En juin, lorsque j’ai visité cet atelier qui abrite les délires et les œuvres passées et en devenir de Jasmin Bilodeau (B), Sébastien Giguère (G) et Nicolas Laverdière (L), le lieu s’est révélé un chaos total d’objets hétéro­clites, dont plusieurs accidentés ou non fonctionnels. Seuls les deux premiers membres de BGL y étaient, détendus même en période intense de production, naviguant à travers tous ces objets et me les présentant au petit bonheur. Par exemple cet écran de télévision sur lequel on peut créer de l’art en laissant des traces de doigts, précisait, un brin moqueur, Sébastien Giguère. C’est là tout BGL: du cabotinage et une pratique de l’autodérision qui déstabilise, à l’image de ses œuvres.

Partageant un même amour pour le tangible et la liberté ainsi qu’une grande dose de folie créative, les trois membres du collectif ont travaillé de concert dès le baccalauréat à l’École des arts visuels de l’Université Laval. Ce genre de partenariat s’avère assez inusité dans un monde où la signature personnelle est hautement recherchée. «À l’École, toutes les formes de duo entre nous ont existé», explique Nicolas Laverdière (Arts visuels 1997), joint à Montréal durant la même semaine et seul membre du collectif à avoir obtenu le diplôme qui a échappé aux deux autres faute d’avoir livré un ou deux travaux scolaires. «Vers la fin du bac, poursuit-il, nous avons loué un atelier à côté de l’École et monté ensemble l’exposition des finissants. Sur le carton d’invitation, nous avons d’abord inscrit nos trois noms, mais ça n’allait pas: c’était comme si nous étions trois entités séparées. Alors, ça a donné BGL.»

David Naylor, un de leurs professeurs de l’époque, qui enseigne toujours la sculpture à l’École des arts visuels et suit leur travail avec intérêt, témoigne de cette connivence et de cette complémentarité entre les trois amis –«l’un songeur, l’autre espiègle et le troisième plutôt cool californien», comme il les décrit– tout en affirmant que cette perte d’authenticité individuelle fait la marque de BGL.

Depuis 1996, le collectif a réalisé, à un rythme fou et dans le plaisir, une vingtaine d’expositions exclusives et plus d’une trentaine d’expositions avec d’autres artistes. Souvent à partir de matériaux de fortune, ces grands recycleurs et bidouilleurs devant l’Éternel réussissent chaque fois à proposer des installations ou performances insolites, parfois inquiétantes, qui ravissent le public et suscitent l’adhésion de la critique. Si bien qu’une exposition du collectif est devenue un événement, et que le trio est souvent choisi pour représenter le Québec lors d’expositions collectives au Canada et à l’étranger. Son travail a d’ailleurs fait l’objet d’une très belle monographie, réalisée par la Manifestation internationale d’art de Québec et parue en 2009.

Travailler sans se presser
Au moment de les rencontrer, les trois membres de BGL ne chômaient pas : trois projets devaient être livrés au cours des prochaines semaines. «Nous sommes tout simplement incapables de dire non à une invitation», exagère Sébastien Giguère en mentionnant celle de Nuit Blanche à Paris, ce grand happening en art contemporain qui se tiendra durant la nuit du 6 au 7 octobre dans plusieurs points chauds de la capitale française. L’installation projetée pour l’occasion en est une de bric et de broc dont BGL a le secret et qui a fait sa marque.

Il s’agit d’un ventilateur entremêlé de branches et de divers déchets qui fait ondoyer des rubans de couleur à la façon d’un feu. Ce grand bûcher de l’ère moderne, BGL l’installera dans le gymnase Ronsard, au pied de Montmartre, afin « d’offrir une expérience physique qui chatouillera l’instinct tribal des urbains que nous sommes ».
 
Mais en cette journée de juin, Jasmin Bilodeau et Sébastien Giguère étaient à choisir les matériaux de la sculpture, sélectionnée par concours, qui ornera le hall de la toute nouvelle salle de concert de l’Orchestre symphonique de Montréal inaugurée le 8 septembre. L’œuvre s’intitule, avec humour, Ce sont sûrement des Québécois qui ont fait ça. Elle représente trois immenses ondes sonores d’amplitudes et de formes différentes, faites chacune de cercles concentriques en métal, assemblés les uns aux autres avec du fil. L’absence de Nicolas Laverdière ce jour-là s’expliquait d’ailleurs par le fait qu’il coordonnait, à Montréal, certaines étapes de production de l’œuvre, confiées à des sous-traitants.

Le troisième projet en cours, celui de l’installation qui allait prendre place dans les Jardins du Précambrien pour le 11e Symposium d’art à Val-David, du 16 juillet au 10 octobre, n’était pas encore arrêté. Ça ne semblait pas inquiéter outre mesure les trois compères qui se demandaient s’ils n’allaient pas simplement s’y regarder pousser la barbe!
 
Des touche-à-tout
Semblables à bien des artistes contemporains aux pratiques polyvalentes et éclectiques, les membres de BGL travaillent toutes les matériaux et trafiquent un peu de tout. S’ils ont choisi l’installation, c’est que, fous de la matière, ils aiment recréer des environnements pour mieux laisser les visiteurs s’y immerger. Et puis, créer des installations leur permet d’explorer ce monde tous azimuts, curieux de ce qui s’offre à leur regard : neige, déchets, machines et inventions de toutes sortes.

Au début, les trois artistes avaient une préférence pour le bois, une matière qui leur donnait droit à l’erreur et qu’ils trouvaient à profusion dans le quartier Saint-Roch, alors en grand chantier de revalorisation. Grâce au centre d’artistes L’Œil de poisson, qui lui a donné sa première chance et mis à sa disposition ateliers, outils de travail et techniciens, le collectif a réalisé les im­menses structures de l’exposition Peine débuté, le chantier fut encore (L’Œil de poisson, 1997), dont la maison canadienne et la cabane à sucre. L’année suivante, une résidence d’artistes en sculpture à Saint-Jean-Port-Joli donnait naissance à la rutilante Mercedes et à la piscine en marqueterie de l’exposition Perdu dans la nature (La Chambre Blanche, 1998). De loin, ces œuvres dans lesquelles le visiteur peut pénétrer ont l’air de petits bijoux d’orfèvrerie mais, de plus près, on voit la grossièreté du matériau recyclé. «Nous ne sommes pas de grands techniciens, reconnaît Nicolas Laverdière, mais notre maladresse donne une certaine poésie à notre travail.»

Brouiller les repères
Tout en traitant parfois de sujets troublants comme le gaspillage ou la destruction de la nature, les installations de BGL ont ce don rare de susciter l’émerveillement, notamment grâce aux procédés simples par lesquels ils arrivent à tromper les sens du public. L’exposition À l’abri des arbres (Musée d’art contemporain de Montréal, 2001) en est un exemple remarquable et constitue un jalon essentiel de la carrière de BGL. «Cette expo était un ramassis de fantasmes, raconte Nicolas Laverdière. Nous voulions y faire vivre une multitude d’expériences, bouleverser et remplir de joie. Nous y avons mis beaucoup d’effets d’illusions.»

Pour ce faire, les trois artistes ont brouillé tous les repères et transformé complètement l’espace du musée. Les visiteurs allaient de surprise en surprise, passant d’une morne salle d’attente à un débarras pour aboutir dans une salle de fête, surmontée d’un plafond percé de silhouettes de sapins et contenant des colonnes entières de boîtes enrubannées, une fontaine de flûtes de champagne et des chandelles scintillantes. Pour duper les sens des visiteurs, les artisans de BGL avaient installé, dans une des salles, un immense miroir qui réfléchissait les objets, un effet de symétrie qui se prolongeait un peu plus loin, mais cette fois créé de toutes pièces par la disposition minutieuse de chaque élément de part en part d’un cadre.

Cette capacité de créer des trompe-l’œil avec peu de moyens, on la retrouve d’ailleurs dans l’œuvre baptisée Le Club que BGL avaient créée pour le 400e anniversaire de Québec, en 2008. Des fils invisibles parsemés de carrés bleus ondulaient au-dessus du bassin Louise, dans le Vieux-Port, donnant l’illusion, au loin, d’être la surface de l’eau. À côté, l’œuvre se poursuivait par deux rangées de bicyclettes stationnaires faisant face à des pyramides de coupes, où l’on incitait les visiteurs à pédaler afin de pomper l’eau du fleuve qui jaillissait dans ces fontaines de verre. Une façon toute bglienne d’évoquer l’immobilisme du Québec en matière de préservation de l’eau, et qui semble donner raison à David Naylor lorsqu’il affirme que «le commentaire social est plus marqué depuis cinq ou six ans chez BGL».

Vivre d’art et d’eau fraîche
Après 15 années de carrière et une réussite indéniable, Nicolas Laverdière admet vivre sa condition d’artiste plus sereinement: «Au départ, je trouvais ça futile, faire de l’art. Et puis, j’ai accepté. C’est devenu nécessaire.» Toutefois, les conditions financières restent aussi précaires qu’au tout début. «Nous n’avons aucune certitude concernant notre survie», dit-il en expliquant que tous trois ont développé, en conséquence, un mode de vie peu coûteux.

«Ça prend une sacrée dose de courage pour faire ce métier-là, s’exclame David Naylor. Il n’y a aucun filet. Ils ont beaucoup investi pour devenir ce qu’ils sont. Et puis, maintenant, on n’a plus affaire à des débutants, ils vieillissent: Nicolas perd ses cheveux, Sébastien vient d’avoir un troisième enfant… Ce sont maintenant des artistes de carrière.» Et ils se montrent très généreux envers la relève, ajoute leur ancien prof qui les invite chaque année à venir discuter avec ses étudiants dans l’un de ses séminaires.

«C’est formidable qu’ils s’identifient à Québec et qu’ils y restent, reprend David Naylor. C’est important pour la qualité de la vie artistique et leur présence renforce la crédibilité de ce qui se crée dans la capitale.» Les organismes solidement implantés, comme la Manif d’art et Folie Culture, ainsi que les regroupements d’artistes, comme L’Œil de poisson et le complexe Méduse, sont de vraies mines d’or, selon Nicolas Laverdière, qui salue également des initiatives comme Où tu vas quand tu dors en marchant du Carrefour international de théâtre.

«Nous adorons Montréal», confie-t-il, lui qui est le seul du trio à y travailler et y vivre en partie. «Mais notre famille de travail est à Québec où il y a beaucoup de débrouillardise, ce qui est fondamental à BGL. Et puis, la communauté artistique y est tellement touchante : il s’agit de monde vrai, positif, persévérant et généreux.» Tout comme BGL!

***
Lire le témoignage de trois autres diplômés de l’Université Laval qui pratiquent l’art contemporain, dans leur cas en Allemagne, aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Haut de page
  1. Aucun commentaire pour le moment.