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Hiver 2006

Cancer du sein: imaginaire collectif contre vraie vie

Dix ans d'études sur la condition des femmes ayant affronté un cancer du sein: voilà ce qui a permis à l'épidémiologue Elisabeth Maunsell d'ébranler plusieurs mythes populaires.

    T errassée par le cancer, Ashley a subi une intervention chirurgicale qui lui a laissé une horrible cicatrice sur un sein. Sa vie sexuelle s’en trouve réduite à néant et son conjoint la quitte pour une nymphette qui exhibe son opulente poitrine dans un étroit bustier, à toute heure du jour.

Souffreteuse, elle reprend tant bien que mal son travail, mais ses collègues l’évitent et chuchotent dans son dos. Son patron, dont elle a déjà repoussé les avances, choisit une plantureuse et inexpérimentée collègue comme directrice des ventes, poste qui lui était destiné avant sa maladie.

Comble de malheur, Ashley découvre de la marijuana dans les poches de son fils et un test de grossesse dans la chambre de sa fille. Tous ces stress font planer le spectre d’une récidive du cancer sur la tête de notre héroïne.

Ce scénario est caricatural, bien sûr! Il n’est pourtant pas si éloigné des intrigues que nous servent bon nombre de romans Arlequin, films à l’eau de rose et téléromans –ces puissantes dynamos à images qui conditionnent notre perception du cancer du sein.

Depuis 20 ans, Elizabeth Maunsell et son équipe de l’Unité de recherche en santé des populations débusquent les croyances reliées au cancer du sein, les confrontent au vécu de centaines de femmes qui ont combattu ce mal et corrigent patiemment le tableau que l’imaginaire collectif a brossé de cette maladie.
 
Cette longue quête commence au début des années 1980 alors que la diplômée en sociologie se joint à l’équipe de Jacques Brisson, médecin et professeur à la Faculté de médecine, pour réaliser une étude sur les facteurs de risque de la détresse psychologique chez les patientes atteintes de cancer du sein.

Après son doctorat en épidémiologie, elle devient professeure, poursuit ses travaux dans le même domaine et, en 1995, publie une étude aux conclusions spectaculaires et intrigantes: sept ans après un cancer du sein, le taux de survie des femmes est presque 30% plus élevé si elles ont eu un confident pendant les premiers mois qui ont suivi le diagnostic. Tout médicament qui en ferait autant serait accueilli en triomphe par le monde médical.

La table était mise pour l’exploration des autres facteurs psychosociaux qui influencent la qualité de vie des femmes après un cancer du sein. Cette entreprise allait s’avérer une grande chasse aux mythes! En voici quelques-uns, et la réplique que leur a servie l’équipe d’Elizabeth Maunsell, à grands coups de données tirées de la vraie vie.

Le mythe de la mauvaise qualité de vie
«Si je m’en sors, ma qualité de vie sera misérable.»

Les femmes qui survivent à un cancer du sein retrouvent une qualité de vie comparable à celle des femmes de leur âge, a prouvé un suivi de 129 survivantes. Elles ne sont pas davantage hospitalisées, elles ne s’inquiètent pas plus de leur santé et elles ne souffrent pas plus de détresse psychologique que les autres femmes. «Nous avons interrogé ces femmes huit ans après leur diagnostic, mais d’autres études montrent qu’un tel retour à la normale survient même plus tôt, après deux ou trois ans», assure la chercheuse.

Même constat quant à leur appréciation du travail, de leur vie sociale et de leur vie conjugale. Seule ombre au tableau, environ 80% se disent satisfaites de leur vie sexuelle contre 92% dans le groupe témoin.

«Les traitements de chimiothérapie peuvent accélérer la ménopause chez les femmes pré-ménopausées, et la prise d’hormones de remplacement n’est pas recommandée aux femmes qui suivent un traitement pour le cancer du sein, souligne Elizabeth Maunsell. Il faudrait sans doute leur offrir du counseling afin de mieux les préparer aux changements qui peuvent survenir dans leur vie sexuelle.»

Le mythe de la discrimination au travail
«Ma vie au travail ne sera plus jamais la même.»

La rémunération, le pourcentage de travailleuses à temps partiel, le nombre d’heures travaillées, le taux de syndicalisation et le taux de congédiement sont similaires chez les survivantes du cancer du sein et chez les autres travailleuses québécoises. Seule différence relevée: trois ans après le diagnostic, 21% des femmes qui ont survécu au cancer du sein n’avaient plus d’emploi contre 15% chez les femmes du groupe témoin.

Dans la grande majorité des cas, l’arrêt de travail résultait d’un choix personnel, estime toutefois Elizabeth Maunsell. «Il se peut que des femmes qui retournent au travail après un cancer du sein vivent des moments difficiles et qu’elles en attribuent la cause à leur maladie, reconnaît-elle. Cependant, selon les mesures objectives que nous avons utilisées, le cancer du sein n’entraîne généralement pas de discrimination sous forme de changements négatifs ou involontaires dans la situation de travail.»

Le mythe de l’absentéisme
«Je devrai m’absenter souvent du travail.»

Trois ans après leur maladie, les femmes qui ont eu un cancer du sein ne s’absentent pas davantage du boulot que les autres travailleuses. Ce n’est que pendant l’année qui suit le diagnostic que les chercheurs ont noté une grande différence entre les deux groupes. Cette différence s’estompe pendant la deuxième année et disparaît complètement lors de la troisième année. «C’est rassurant pour les femmes qui ont eu un cancer du sein et également pour les employeurs», commente Mme Maunsell.

Le mythe de la récidive
«J’aurais l’esprit plus tranquille si je me faisais enlever tout le sein.»

La mastectomie partielle est associée à moins de détresse psychologique que l’ablation complète d’un sein, chez les femmes de moins de 50 ans. Chez les plus âgées, le contraire prévaut. «Nous ignorons la cause de cette différence, mais l’image corporelle est souvent primordiale chez les femmes plus jeunes», avance la chercheuse.

La mastectomie totale ne protège pas davantage contre une récidive du cancer, précise-t-elle. D’ailleurs, chez les patientes qu’elle a interviewées au cours des 20 dernières années, la proportion de celles qui ont subi une mastectomie partielle est passée de 36% à 82%.

Le mythe du stress

«J’ai vécu tellement d’événements stressants que mon cancer pourrait me coûter la vie.»

Les données montrent qu’il n’existe aucun lien entre le nombre et la gravité des événements stressants survenus dans les cinq années précédant un diagnostic de cancer et le risque de mortalité dans les sept années qui suivent le diagnostic.

«Nos résultats ne signifient pas qu’il n’existe pas de lien entre le stress et l’apparition d’un cancer, précise Elizabeth Maunsell. On n’a pas d’information là-dessus. Par contre, le fait d’avoir vécu de nombreux événements stressants ne semble pas affecter les chances de survie des femmes qui ont eu un cancer du sein.»

Le mythe de l’abandon
«Mon conjoint va me quitter.»

Le taux de séparation à court et à long terme n’est pas plus élevé chez les femmes qui ont eu un cancer du sein. Une analyse plus détaillée révèle même que les séparations surviennent surtout chez les couples dont la relation était précaire avant le diagnostic de cancer.

«Le cancer du sein affecte aussi les couples unis, mais les conjoints qui s’entendent bien au moment de l’annonce de la maladie réussissent à composer avec la situation ou trouvent de l’aide pour y faire face», constate la chercheuse.

En fait, peu de couples jugent que cette maladie a eu un effet dévastateur sur leur relation: dans seulement 1% des cas, les deux partenaires s’accordent à dire que le cancer du sein les a éloignés alors que, dans une proportion de 42%, ils estiment que la maladie les a rapprochés.

La peur et la force

Au cours des dix dernières années, l’incidence du cancer du sein s’est stabilisée au pays. On estime maintenant qu’une femme sur neuf en sera atteinte au cours de sa vie.

Grâce à un dépistage plus serré et à l’amélioration des traitements, la mortalité attribuable à cette maladie a régressé de plus de 2% par année depuis 1993. Le taux de survie s’établit maintenant à 88% sur cinq ans et à 80% sur dix ans. Les statistiques sont encore plus encourageantes lorsque la tumeur est découverte à un stade précoce. Autre élément important, les femmes sortent moins mutilées qu’auparavant de cette épreuve.

Malgré tous ces gains et malgré ses propres travaux qui portent à penser que le cancer du sein «est moins pire que ce qu’on pourrait penser», Elizabeth Maunsell constate que cette maladie fait toujours aussi peur.

Elle-même avoue la craindre davantage aujourd’hui qu’à ses débuts parce que l’âge est un des principaux facteurs de risque et que plusieurs de ses proches ont eu un cancer. «Ma connaissance de la maladie n’est pas que livresque.»

Ses rencontres personnelles avec des centaines de femmes qui ont affronté le cancer du sein lui ont cependant permis d’apprivoiser certaines de ses craintes. «Ce que nous racontent ces femmes est parfois très triste, mais je suis toujours renversée par la force dont elles font preuve. Pour mon équipe et pour moi, ces échanges sont un enrichissement.»
 
Pourtant, insiste la chercheuse, il ne faut pas se leurrer: il n’y a pas de beau cancer.

«Je souhaite ne jamais avoir de cancer, mais si ça devait arriver, je préférerais que ce soit un type de cancer qu’on connaît bien et pour lequel il existe des traitements efficaces. Comme certains cancers du sein.»
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