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Printemps 2005

Dur combat contre la malbouffe

Frites grasses, aliments saturés de sel et de sucre, formats toujours plus grandS: comment lutter contre la malbouffe sans nier son plaisir?

    Lorsqu’il pousse son chariot, à l’épicerie, Angelo Tremblay se met parfois à rêver. Ce professeur en kinésiologie rêve que le magasin se transforme en centre de l’alimentation où une nutritionniste l’accueillerait pour le guider dans ses achats alimentaires, décryptant les étiquettes sur les produits et suggérant des recettes santé. «Un peu à la manière des quincailleries où l’on vous apprend à réparer une vitre cassée», précise-t-il.

En attendant que son souhait se réalise, le chercheur a décidé de proposer un antidote aux messages nutritionnels culpabilisants, trop souvent entendus. Son idée, peaufinée en équipe: offrir des mets préparés qui soient à la fois rassasiants, abordables, savoureux et contenant les éléments nutritifs nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. «Jusqu’à présent, le monde de la nutrition a surtout tenu un discours de restriction, de privation, explique-t-il. Je penche pour une approche plus constructive, sans pour autant affirmer que nous allons gagner.»
 
Après avoir permis de repérer les ingrédients riches en protéines, en vitamines et en minéraux, mais faibles en gras et dotés de bons glucides comme ceux qu’on trouve dans les fibres, la recherche s’est poursuivie autour des casseroles, avec une spécialiste de l’art culinaire. La recette gagnante de l’équipe, selon les papilles des testeurs? «Le pâté chinois fait de patates douces et de légumineuses», répond Angelo Tremblay, avec un sourire gourmand.

Parmi la trentaine d’autres recettes concoctées par les chercheurs, figurent poulet aux épices, sauté de porc aux pruneaux, crêpes au poulet et aux épinards. Des plats qui pourraient bientôt se retrouver dans une épicerie proche de chez vous si les négociations en cours se concluent favorablement.

En fait, c’est en constatant que les personnes désireuses de maigrir avaient bien du mal à modifier leurs comportements alimentaires que le chercheur a commencé à explorer l’avenue des mets rassasiants. Dans son prochain projet de recherche, il va d’ailleurs vérifier si on peut maigrir en s’alimentant avec ses plats préparés. «Lorsqu’une personne perd de la graisse, constate le professeur, son envie de manger s’accentue parce que son corps résiste à la disparition de cette réserve d’énergie. Il faut donc trouver des recettes qui augmentent les performances diététiques au maximum.»

Prisonniers de notre hérédité

Longtemps, les diététistes ont pensé qu’il suffisait d’informer le public des bons gestes alimentaires pour ramener automatiquement l’aiguille de la balance vers le poids santé. Oubliant au passage qu’on ne peut balayer d’un revers de la main un héritage de chasseurs-cueilleurs vieux de deux millions d’années qui nous pousse à manger des aliments contenant beaucoup d’énergie au cas où, demain, la nourriture manquerait! Logé au plus profond du cerveau, dans le lobe temporal, notre centre du plaisir s’activerait ainsi naturellement à l’odeur d’un poulet rôti ou de frites quand on a l’estomac dans les talons.

Cela expliquerait que les sujets d’Angelo Tremblay qui doivent réduire leurs rations caloriques présentent souvent des signes de dépression. Et que les rats de laboratoire de Denis Richard, le directeur de la Chaire de recherche sur l’obésité, préfèrent les biscuits sablés et les chips à leur moulée habituelle lorsqu’ils ont le choix. D’après ce que ce professeur du Département d’anatomie et de physiologie a observé, l’attrait pour les graisses et pour le sucre peut ainsi conduire à l’embonpoint même des individus qui y seraient pourtant peu disposés génétiquement.

Ajoutez à cet instinct un manque d’exercice chronique dans des villes de moins en moins faites pour la marche, des formats de boissons gazeuses ou de portions de frites à la hausse, et vous obtenez un environnement «obésogène», selon l’appellation de Denis Richard.

Les personnes aux prises avec un surpoids courent pourtant plus de risques de développer maladies cardiovasculaires et diabète. Trois branches d’un même triangle infernal sur lequel travaille Simone Lemieux.

Professeure au Département des sciences des aliments et de nutrition, Mme Lemieux s’intéresse particulièrement à une clientèle jusque-là négligée: les femmes ménopausées dotées d’un embonpoint abdominal qui peut constituer un risque pour leur santé. La jeune femme refuse toutefois d’endosser le rôle de la méchante diététiste enjoignant chacune à ranger définitivement leurs caramels mous.

Reste que 15% des Canadiens sont obèses et que le diabète touche maintenant les 45-50 ans. «Je crois qu’il faut éviter les listes d’aliments à proscrire, indique Simone Lemieux. Les messages plates, ça ne pogne pas ! Je rêve de faire découvrir le plaisir lié à une alimentation sans excès, de montrer qu’une mangue peut être aussi jouissante à manger qu’un gâteau au chocolat!» Pour parvenir à ses fins, Mme Lemieux préconise une valorisation de la cuisine comme activité quotidienne autour de plats riches en légumes, comme des soupes, et de mets intégrant les légumineuses –ce qui permet de varier les sources de protéines.

Mère de trois jeunes enfants, elle remarque que dans une société rapide aux activités compartimentées, la cuisine devient de plus en plus un loisir qui s’intègre mal à la vie quotidienne. Autrement dit, on peut très bien suivre un cours sur les sushis le lundi, et acheter des plats surgelés le reste de la semaine…

Sans oublier, souligne Marie Lachance, professeure au Département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation, que la restauration rapide comble parfaitement les besoins de satiété de jeunes en pleine croissance, de même que leur besoin de socialisation. «Vous en connaissez beaucoup, vous, de restaurants qui accueillent avec plaisir une bande d’adolescents bruyants?», demande-t-elle.

Vive la salade!

Paul Boisvert aussi privilégie une approche positive de l’alimentation. Coordonnateur de la formation à la Chaire de recherche sur l’obésité, il a eu la surprise de recevoir, l’an dernier, un appel du directeur de l’école secondaire De Rochebelle, à Sainte-Foy. Dans cet établissement, sévèrement critiqué parce que la malbouffe y était à l’honneur, on voulait prendre un virage santé. Une équipe d’experts –comprenant M. Boisvert, Nathalie Alméras du Département des sciences des aliments et de nutrition, ainsi que deux étudiantes– s’est alors jointe au Comité Action Santé de l’école. Ce comité élargi a concocté différents changements dans l’offre alimentaire, tout en faisant la promotion de saines habitudes de vie.

Résultat: la cafétéria sert aujourd’hui des frites deux fois par semaine plutôt que quatre, le comptoir à salade nouvellement installé remporte un succès fou, et les formats trop imposants de boissons gazeuses ne sont plus distribués dans les machines, où figurent désormais en majorité les jus 100 % fruit, les barres de céréales, etc. «Le Comité réfléchit aussi à l’introduction de plats santé attrayants, comme les fajitas et le chili aux légumineuses,  pour remplacer les populaires hamburgers», raconte Paul Boisvert.

À la Chaire sur l’obésité, on envisage aussi la mise en place d’un comité de vigilance sur la publicité destinée aux jeunes. Composé d’experts et de représentants de la santé publique, ce comité pourrait aider à mieux protéger les jeunes contre la tentation du junk food savamment mis en marché. La législation en matière de publicité est avant-gardiste, mais son application comporte des lacunes importantes, note M. Boisvert.

Cet avis est confirmé par une recherche récente, portant sur les représentations sociales de la nourriture et menée par Marguerite Lavallée (École de psycholgie), Anne-Marie Hamelin (Département des sciences des aliments et de la nutrition) et Estelle Lebel (Département d’information et de communication).

Au cours de cette recherche, Mme Lebel a enregistré la programmation de sept réseaux télévisés québécois pendant une semaine. Elle a ainsi constaté que près d’un tiers des publicités touchant la nourriture s’adressait directement aux enfants, alors que la loi interdit de prendre pour cible les moins de 12 ans et que le code de l’Association des radiodiffuseurs canadiens est sévère à l’égard des produits exclusivement destinés aux enfants. Boissons gazeuses, grignotines, friandises et autre pizzas pochettes n’étant pas exclusivement destinées aux jeunes, elles échappent toutefois aux règles. Pire encore, ces produits qui ne font pas partie du guide alimentaire canadien consituaient 74% de la nourriture annoncée au petit écran.

Ces aliments peu recommandables se retrouvent justement en tête de liste lorsqu’on invite les jeunes à concocter un menu pour un ami a remarqué Marguerite Lavallée dans cette même étude touchant 156 enfants et 104 parents. «Les petits savent très bien que les chips ou les muffins aux chocolat ne sont pas bons pour la santé, mais ils les trouvent tellement bons», s’exclame la psychologue.

Dans leur étude, les trois chercheuses ont également mis en lumière le lien entre les messages publicitaires et les achats familiaux, puisque les enfants avaient tendance à demander à leurs parents des produits vus à la télévision. Ces produits, dont on mousse si efficacement les ventes en s’adressant aux enfants, représentent un marché de 15 milliards$ au Canada.

Difficile de rivaliser avec un tel adversaire simplement en soulignant qu’une orange contient de la vitamine C… Les chercheuses prônent donc une approche active, impliquant les parents, pour modifier les habitudes alimentaires. Par exemple, organiser à l’école des ateliers de cuisine familiaux. Ou encore, suggère Paul Boisvert, tenir des campagnes stimulantes comme ce concours régional 5/30 où les participants doivent chaque jour croquer cinq fruits ou légumes, et accomplir 30 minutes d’exercices physiques.

Face à une industrie alimentaire rompue à l’art du marketing, les partisans d’une saine alimentation n’ont pas le choix d’adopter des moyens de communication un peu plus agressifs que la simple information nutritionnelle.

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LES MÉCHANTS DE L’HEURE: LES GRAS TRANS

    Depuis le début des années 90, de nombreuses recherches ont prouvé la nocivité des gras trans, abondants dans des mets préparés comme les poudres à gâteau, les biscuits, les panures… Ces shortenings et autres graisses végétales solides facilitent la conservation et diminuent le prix des produits. De plus, ils ont longtemps eu la cote parce qu’ils remplaçaient les gras saturés d’origine animale (beurre et suif), alors honnis par les diététistes.

Peu à peu, les scientifiques ont cependant réalisé que les gras trans augmentent considérablement le taux du mauvais cholestérol tout en baissant celui du bon cholestérol, qu’ils limitent la capacité des vaisseaux sanguins à se dilater ou à se contracter et qu’ils nuisent, jusqu’à un certain point, à la protection de la membrane de la cellule.

Le gouvernement a réagi au tollé général et le recours à de telles substances devrait être banni d’ici peu. Fort bien, mais par quoi les remplacer? «On peut leur substituer des gras insaturés, comme l’huile de canola ou d’olive qui provoquent bien moins de mauvais cholestérol», répond Benoît Lamarche, directeur de l’Institut des nutraceutiques et des aliments fonctionnels (INAF).

D’autres solutions sont également envisagées. «Dans notre laboratoire, nous travaillons sur le développement de nouveaux catalyseurs et de nouveaux procédés intégrés générant beaucoup moins de gras trans et de gras saturés que ceux utilisés par l’industrie alimentaires», signale le chercheur Khaled BelKacemi, du Département des sols et de génie agroalimentaire. Ces catalyseurs de nouvelle génération faciliteraient la réaction chimique entre l’hydrogène et l’huile, pour produire, à des prix acceptables, des gras solides et semi-solides stables conformes aux nouvelles normes.
 
Ce dossier réglé, de nombreux autres ingrédients sont encore sur la sellette. Le directeur de l’INAF prévoit ainsi qu’on va bientôt s’en prendre aux sucres ajoutés qui ont envahi les rayons des épiceries. Par exemple, les yogourts n’ont pas cessé de s’alléger en gras, ces dernières années, mais leur pourcentage en sucre a grimpé en flèche. Vous avez dit amélioration?

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QUELQUES CHIFFRES

    Selon Statistique Canada, un Québécois sur deux ne consomme pas les cinq portions de fruits et légumes recommandées par le Guide alimentaire canadien, une proportion qui passe à deux sur trois chez les hommes de 35 à 44 ans. De leur côté, plus de 60% des enfants consomment des hot-dogs et des hamburgers de une à sept fois par semaine, tandis que 20% des 12 à 16 ans mettent les frites à leur menu de trois à six fois par semaine.

Et, signe des temps, la consommation de préparations alimentaires précuites a grimpé de 700% entre 1996 et 2001.
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