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Hiver 2020

Écoles recherchent enseignants

Recrutement, formation, valorisation, quelles mesures doivent être mises en place pour solutionner la pénurie d'enseignants?

Depuis quelques années, la rentrée ramène un même son de cloche dans les écoles du Québec. Les enseignants du primaire et du secondaire sont en nombre insuffisant pour répondre à la demande. Et une hausse du nombre d’élèves est prévue pour au moins 10 ans encore. Si cette réalité constitue tout un défi pour le monde scolaire, elle est peut-être aussi l’occasion d’une refonte bénéfique.

Professeur et doyen du Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage, Fernand Gervais fait partie du comité universitaire qui se penche actuellement sur la problématique qui entoure la pénurie d’enseignants. S’il admet son inquiétude devant la situation, le chercheur demeure optimiste face au virage qu’a entrepris tout le milieu de l’éducation pour cerner cet enjeu.

Qu’en est-il du manque d’enseignants au Québec?
La pénurie de main-d’œuvre est un sujet d’actualité qui touche les employeurs de tout acabit. Loin de faire bande à part, le milieu de l’éducation sonne aussi l’alarme. La situation touche l’ensemble de la province, mais est davantage marquée dans la métropole et sa périphérie, où il y a urgence dans certains cas. De fait, quelques dizaines de classes sont présentement sans titulaire dans la grande région de Montréal. Dans les secteurs de Québec et de Chaudière-Appalaches, on épluche les listes de rappel, on a de la difficulté à recruter des suppléants. Dans d’autres régions, on va carrément chercher des suppléants sur les bancs d’école. En outre, le ministère de l’Éducation prévoit une hausse constante de la clientèle scolaire pour au moins les 10 prochaines années, partout dans la province. Afin de se tenir à jour sur les besoins du réseau, le Ministère doit réévaluer les données très régulièrement, car la situation bouge rapidement.

Comment expliquer cet état de fait?
Le manque d’enseignants s’inscrit dans un contexte particulier généré par un amalgame de facteurs. Les changements démographiques y sont pour beaucoup. En 2002-2003, on a assisté à un mini baby-boom au Québec. Cette hausse des naissances, combinée à l’augmentation du nombre d’immigrants, a entraîné un bond significatif du nombre d’enfants à scolariser, essor pour lequel le réseau de l’éducation n’était pas préparé.

En parallèle à cette multiplication de la clientèle, nous faisons face à des départs massifs d’enseignants à la retraite. S’ajoute à cette vague une pratique de plus en plus courante chez les plus âgés, soit la modulation de leur emploi du temps. En fin de carrière, ils sont nombreux à choisir d’alléger leur charge de travail. Ils prennent des tâches à temps partiel pour se ménager un peu, gagner en qualité de vie et préparer tranquillement leur sortie.

La perte d’attrait des plus jeunes pour la profession est aussi pointée du doigt, non?
En effet, l’intérêt des jeunes générations pour l’enseignement s’est nettement modéré au fil des années en raison, notamment, du statut d’emploi précaire que conservent longtemps les enseignants en début de carrière. Les postes permanents ne sont pas assez nombreux, ce qui crée de l’insécurité financière chez les nouveaux représentants du métier, qui ne savent pas ce qui les attend. À cette précarité s’ajoutent des conditions salariales pas très avantageuses, compte tenu de la charge de travail qui incombe aux enseignants. Sans parler du fait que ce métier s’est grandement complexifié. Pour toutes ces raisons, près du quart d’entre eux quittent la profession au cours des cinq premières années.

En quoi la profession d’enseignant a-t-elle tant changé?
D’abord, elle s’est transformée pour mieux répondre aux besoins de tous les élèves en s’adaptant à leurs différents profils. Les clientèles sont variées, les enjeux multiples diffèrent d’un milieu à l’autre, d’un programme à l’autre, tout comme les outils pédagogiques. On parle désormais de mode d’enseignement collaboratif, de travaux d’équipe, de projets multidisciplinaires, de travaux pratiques, etc.

La multiplication des sources d’information, notamment sur le Web, a aussi transformé le monde de l’enseignement. Avant, les élèves n’avaient que les livres à quoi se référer. Aujourd’hui, ils ont accès à d’innombrables données, qu’ils doivent savoir bien gérer. Leur professeur doit pouvoir leur servir de guide dans cet apprentissage.

En plus de ces éléments, la gestion de classe, un gros morceau dans le quotidien du professeur, s’ajoute à l’enseignement en tant que tel. Tous ces nouveaux aspects du métier gonflent la charge de travail.

Que fait le ministère de l’Éducation pour améliorer la situation de l’emploi en enseignement?
Dans l’immédiat, pour pallier le manque, les commissions scolaires se tournent beaucoup vers des étudiants en enseignement pour faire de la suppléance. Elles recrutent aussi des professionnels du domaine dans d’autres provinces et d’autres pays. Des cours sont offerts à ces personnes pour leur permettre d’obtenir leur brevet d’enseignement. Plus en amont, le Ministère se soucie de la sensibilisation depuis trois ans. Il promet une amélioration notable des conditions salariales des enseignants, ainsi que d’importantes rénovations dans les écoles, afin d’offrir un environnement de travail plus intéressant. Des investissements massifs sous forme de programmes de bourses sont également consentis pour redorer le blason de la profession.

Et du côté de la formation?
La réduction de la durée de la formation a été évoquée par divers intervenants pour remédier à la pénurie d’enseignants. Précisons d’emblée que ce n’est pas une bonne solution. Ce serait l’équivalent de sacrifier la qualité, ce qui n’est pas un compromis acceptable.

D’autres voies existent pour améliorer l’accès à la profession dans le but d’accroître le nombre de diplômés en enseignement. Par exemple, le Ministère entend miser sur la maîtrise qualifiante en enseignement au secondaire (MQES). Celle-ci s’adresse aux candidats qui possèdent un baccalauréat correspondant à une matière scolaire (histoire, sciences, géographie, etc.) enseignée aux élèves du secondaire. Ainsi, pour enseigner sa matière à ce niveau, un étudiant universitaire peut choisir de poursuivre à la MQES plutôt que de devoir entreprendre un second baccalauréat en enseignement. Son diplôme de deuxième cycle lui permet également d’accéder à un meilleur salaire dès son entrée sur le marché du travail. Depuis le début de l’année 2020, ce programme est offert à la Faculté des sciences de l’éducation.

Toujours dans le but de former davantage d’enseignants, notons que l’Université Laval est pionnière dans le développement de formations en ligne, lesquelles favorisent la flexibilité, donc l’accessibilité des apprentissages.

Le milieu universitaire a donc sa part à jouer pour pallier le manque d’enseignants?
Il est évident que le milieu universitaire doit développer toutes sortes de solutions en ce sens. En plus de la formation, notre établissement et notre faculté consentent beaucoup d’efforts à la promotion de la profession d’enseignant auprès des jeunes dans le but d’accroître le nombre d’inscriptions. Et chez nos étudiants actuels, nous œuvrons constamment à hausser le sentiment d’appar­tenance, à développer chez eux la fierté d’être «prof».

Cela dit, valoriser le métier d’enseignant est aussi l’affaire de l’ensemble de la population. Le rôle essentiel dans notre société de ces professionnels, dont le métier est par ailleurs en pleine mutation, doit être mis de l’avant dans l’espace public. Il revient à chacun de participer à ce mouvement.

Y a-t-il, ailleurs dans le monde, des pratiques dont on peut s’inspirer?
Au Québec, on se compare souvent au modèle scandinave. Là-bas, la tendance en éducation est à l’aménagement d’espaces physiques plus modernes et branchés. De plus, le mode d’enseignement y est davantage interactif. Même si, comme je l’ai mentionné, le Québec tend vers ce type de solutions, il accuse encore un certain retard.

Par ailleurs, tandis que, chez nous, seul le baccalauréat est requis pour obtenir un brevet d’enseignant, la maîtrise est exigée en Suède et en Finlande. Cette qualification supplémentaire contribue à valoriser la profession, certes, mais dans l’immédiat, elle n’aiderait pas à régler la pénurie chez nous.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir?
Je vois d’un très bon œil l’importante sensibilisation et tous les efforts entrepris par le ministère de l’Éducation et par l’ensemble du réseau: la valorisation de la profession par des programmes de bourses, l’élargissement des voies d’accès, la rénovation des bâtiments, l’amélioration des conditions salariales, sans compter d’autres initiatives à prévoir pour poursuivre sur cette lancée. Toutes ces actions vont dans la bonne direction, ça ne fait aucun doute.

Oui, nous avons à prendre un virage majeur et incontournable dans le milieu de l’enseignement. Presque tout a changé dans la profession, mais c’est assurément pour le mieux. Car n’oublions pas que c’est dans cet élan qu’ont vu le jour, entre autres, les projets pour lutter contre le décrochage scolaire et les programmes d’études (sports, arts, sciences, profil international, etc.) créés pour mieux répondre aux intérêts des jeunes. Bref, l’éducation est un milieu très dynamique et stimulant. Et bien que les défis et les enjeux dans les écoles se transforment, le métier d’enseignant demeure toujours à mes yeux le plus beau métier du monde.

***

Lisez les témoignages de trois diplômés sur la pénurie d’enseignants dans l’État de Californie, en Allemagne et en Chine.

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  1. Publié le 28 février 2020 | Par Diane Papillon

    Lu avec grand intérêt.
    Souvenons-nous de monsieur J.D. Bélanger qui avait mis sur pied l'école associée.

    Regardons jusqu'où elle a été simplifiée.

    Sommes-nous sur la bonne voie pour parler qualité et engagement des futurs enseignants?

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