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Automne 2012

En avant la musique!

Après avoir révolutionné l'enseignement de multiples domaines de connaissance, la pédagogie bouscule maintenant l'apprentissage d'un instrument.

Photo Marc Robitaille

La doctorante en éducation musicale Ariane Nantel en pleine leçon de piano avec une débutante très déterminée.

Dans le film australien Le Prodige, un jeune génie du piano subit la pression de son père, grand amateur de Rachmaninov, jusqu’à en tomber mentalement malade. Les anecdotes sur la tyrannie des maîtres abondent dans les films portant sur la musique. Ce n’est que du cinéma, bien sûr. Toutefois, cela dénote une conviction assez répandue chez les instrumen­tistes: il faut éduquer l’élève de façon stricte et traditionnelle, en imposant un style de jeu.

Pendant que les enseignants de français ou de mathématiques, par exemple, amenaient le jeune à prendre en main son apprentissage, les musiciens ont longtemps boudé les sciences de l’éducation. Les choses bougent cependant à la Faculté de musique de l’Université Laval, qui amorce une véritable révolution tranquille de la pédagogie instrumentale.

«Dans les universités, la formation pédagogique des professeurs d’instrument est encore très peu développée. Beaucoup d’entre eux considèrent que les élèves se destinent à la performance instrumentale, alors qu’en fait 90 ou 95% vont enseigner», souligne Francis Dubé, qui dirige un programme unique au Québec, la maîtrise en didactique instrumentale. Certains rechigneraient à intégrer la pédagogie à la formation, car cela empiéterait sur le temps consacré à l’instrument. Or, selon le spécialiste, c’est exactement le contraire qui se produit. «Les étudiants du deuxième cycle améliorent leurs répétitions quand ils assimilent des notions de pédagogie au cours de leur maîtrise. Ils apprennent à s’écouter, sans attendre que le professeur leur donne des indications.»

Selon cette méthode, le pédagogue ne donne pas d’indications à l’élève sur la façon d’améliorer le morceau qu’il vient de jouer. Il le questionne. «Qu’entendais-tu quand tu as exécuté ce passage? Que peux-tu dire sur ton tempo, ta sonorité?» En agissant ainsi, il l’aide à s’approprier son apprentissage et à développer sa créativité. En l’encourageant à improviser ou à composer de petits morceaux, il l’associe aussi davantage à la leçon. Et, surtout, il pose des questions fondamentales : quels objectifs la personne veut-elle atteindre en pratiquant cet instrument, et quels moyens met-elle en œuvre pour y parvenir?

Au-delà du conservatoire
Même si cette approche peut sembler banale dans beaucoup de disciplines, elle constitue une petite révolution dans un milieu encore très marqué par la tradition du conservatoire à l’européenne. Selon ce modèle, l’élève apprend par imitation de son maître. Et le maître n’a pas besoin de talent autre que la maîtrise parfaite de son instrument.

Cet héritage marque aussi les styles enseignés dans les facultés de musique et même aux autres niveaux d’études. Le classique occupe toujours une position dominante au détriment du jazz ou des musiques du monde. Du coup, constate Valerie Peters, professeure en didactique à la Faculté de musique, il y a souvent un fossé entre les pièces répétées à l’école et celles que les jeunes écoutent dans leur iPod. «L’enseignement de la musique exclut beaucoup de monde, note celle qui a enseigné plusieurs années au secondaire. Les élèves qui ne s’intéressent pas à la performance ont tendance à abandonner alors qu’ils pourraient se développer autrement. Il faudrait commencer par les pièces que l’élève connaît pour l’amener vers celles qu’il connaît moins.»

La professeure s’apprête d’ailleurs à démarrer un projet de recherche de cinq ans, financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, qui associe psychologues, philosophes et musicologues. Le but est de comprendre le lien entre la musique entendue tous les jours et l’apprentissage, ainsi que son rôle dans le développement de la compétence émotionnelle. En interrogeant les enfants qui apprennent un instrument, en particulier au primaire, les chercheurs s’efforceront de comprendre quel type de pédagogie les motive. Qu’est-ce qui les fait vibrer? Jugent-ils déterminant l’apport des technologies de l’information? Quelle perception ont-ils de l’apprentissage de la musique et est-elle différente de celle des jeunes Israéliens, Brésiliens ou Américains? L’équipe espère que les connaissances qui en découleront permettront aux enseignants de con­cevoir une pédagogie multidisciplinaire pour mieux enseigner leur art.

La musique de la justice
Bien décidée à faire éclater la vision élitiste de cette discipline artistique, Valerie Peters se passionne aussi pour la transmission de la musique dans les milieux défavorisés. Elle travaillera bientôt avec Jeunes musiciens du monde, un organisme implanté à Québec dans le quartier Saint-Sauveur, pour analyser comment la chanson traditionnelle stimule les jeunes enfants et facilite leur développement psychomoteur. La mu­sique favoriserait la justice sociale en rassemblant la communauté autour de mélodies participatives. 

La recherche dans le domaine évolue beaucoup. Des études fondamentales en neurosciences prouvent que l’apprentissage de la musique a un effet direct sur le cerveau. Ainsi, un neurologue allemand a récemment démontré que la région cérébrale associée à l’écoute s’améliore quand des débutants apprennent le piano, et ce, après seulement cinq semaines de pratique. Un article publié l’an dernier dans Nature Neuroscience a révélé que le cerveau humain émet des ondes électriques liées à la mémorisation quand on lui fait entendre dans son sommeil une mélodie apprise juste avant.

Cependant, ces connaissances fondamentales n’ont pas encore beaucoup d’applications pratiques. Il manque un pont entre les disciplines pour que les pédagogues puissent mettre en œuvre ces découvertes. Par ailleurs, les outils disponibles pour aider un élève à travailler son instrument –par exemple, à corriger sa posture grâce à la vidéo– ne sont pas tous éprouvés. Que valent ces nouveautés? Les chercheurs en pédagogie de la musique ont encore bien du travail à faire pour aider les amoureux de la musique à vivre leur passion avec plaisir. 

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Une méthode de piano pour les aînés
Ariane Nantel aurait pu rédiger une énième méthode de piano pour les tout-petits. La musicienne s’est plutôt intéressée à une clientèle négligée par les auteurs de guides pédagogiques, mais très motivée: celle des 65 à 79 ans. Ces amateurs passionnés disposent de temps pour apprendre cet instrument ou le réapprendre s’ils l’ont pratiqué dans leur jeunesse. Sauf que leur enthousiasme se heurte souvent aux exercices techniques qui les rebutent. Ils doivent aussi composer avec des contraintes physiques comme la baisse d’audition, l’arthrite, le manque de souplesse ou le déclin de la mémoire.

La jeune femme, qui vient de déposer sa thèse de doctorat en éducation musicale sous la direction de Louise Mathieu, a conçu une méthode pour aider les élèves âgés à jouer du piano avec plaisir. Réalisant que les aînés préfèrent souvent les airs populaires au classique, elle s’est inspirée des recueils La Bonne Chanson, constitués par l’abbé Charles-Émile Gadbois, très populaires dans les années 1940 et 1950. «Comme j’ai aussi un bac en composition, j’ai fait les arrangements d’une cinquantaine de morceaux de ce recueil pour qu’ils soient plus faciles à exécuter par des débutants», explique-t-elle. Sa méthode s’appuie donc sur ces mélodies du folklore, mais aussi sur des grands classiques tel l’Ave Maria de Schubert.

Ariane Nantel propose chaque morceau en plusieurs versions: selon son niveau de dextérité, l’élève peut exécuter une pièce en laissant les mains dans la même position sur le clavier, en déplaçant seulement une ou encore les deux. Elle suggère aussi des airs qui demandent moins d’extension des doigts pour les gens qui souffrent d’arthrite, ainsi que des exercices d’échauffement. Des fiches explicatives proposent des stratégies d’enseignement pour des élèves un peu durs d’oreille ou à la mémoire défaillante. Bref, son guide se veut un outil pratique pour aider les enseignants à offrir un accompagnement personnalisé aux aînés épris de musique. Il sera mis en ligne au cours de l’automne. 

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Un concert virtuel contre le trac
La pianiste Josiane Bissonnette sait à quel point il peut être stressant d’exécuter un morceau en public. «Certains étudiants en musique ont mal au ventre deux à trois mois avant un examen au Conservatoire, raconte-t-elle. D’autres tremblent quand ils jouent ou ont des trous de mémoire. Beaucoup de musiciens professionnels doivent même prendre des médicaments pour lutter contre l’anxiété.»

L’étudiante au doctorat, qui s’apprête à défendre sa thèse sous la direction de Valerie Peters, vole au secours de ses collègues grâce aux technologies de l’information. Avec la complicité du Laboratoire de muséologie et d’ingénierie et de la culture de l’Université Laval (notamment du technicien Louis-Robert Bouchard), elle a conçu un logiciel destiné à rassurer les interprètes. Cet environnement virtuel s’inspire des programmes qui luttent contre les phobies sociales ou la peur de l’avion. Il permet aux musiciens de s’exposer graduellement à l’objet de leur angoisse grâce à des projections vidéo qui les plongent dans la réalité qu’ils voudraient fuir.

Imaginez la scène. Le pianiste s’installe sur son tabouret. Autour de lui, trois immenses écrans montrent une foule de spectateurs assistant au concert. Un monsieur déroule un emballage de bonbon avec force bruits. Plus tard, une dame sort de la salle en dérangeant plusieurs personnes. Ces situations, a priori banales, constituent des sources de stress très élevées pour des musiciens soucieux de fournir une performance impeccable dans un style de musique où chaque note compte.

Apparemment, un entraînement de plusieurs semaines dans cet environnement virtuel donne des résultats. En 2009, l’étudiante y a plongé neuf participants qui devaient ensuite donner deux vrais concerts. Un groupe contrôle passait la même épreuve en se contentant de répétitions traditionnelles. Les pianistes et guitaristes qui s’étaient installés devant les écrans deux fois par semaine ont éprouvé une anxiété de performance qui diminuait d’un tiers après le deuxième concert. Et souvent leur prestation s’était améliorée, même s’ils savaient parfaitement que le jury sur écran, qui tournait bruyamment les pages de partition, n’existait pas vraiment!

Ce résultat encourageant poussera peut-être Josiane Bissonnette à poursuivre sa recherche. Déjà, le très british Royal College of Music, qui entend développer la technologie virtuelle pour ses étudiants, s’est montré intéressé par le logiciel.

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