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Hiver 2015

Entreprendre pour apprendre

La communauté universitaire représente un marché privilégié pour plusieurs entreprises étudiantes.

Photo Marc Robitaille

Dans un laboratoire du pavillon Alexandre-Vachon flottent des effluves d’alcool. Que font ces étudiants, leurs verres pleins de houblon, à devancer l’heure de l’apéro? Ils se grisent en plein jour, mais pas à la bière! Plutôt à l’exploration des micro-organismes qui entrent dans sa composition. De leurs recherches est née la microbrasserie Microbroue.

Pour d’autres, c’est le fromage ou le partage-vélo qui inspirera un élan entrepreneurial. D’autres encore s’impliqueront dans des projets bien établis comme la radio ou le Pub universitaires. «Le campus, c’est un marché potentiel de 50 000 personnes, un beau bassin pour l’entreprise étudiante», lance le président-directeur général d’Entrepreneuriat Laval, Yves Plourde.

Si la communauté d’affaires étudiante génère son lot de petites ou grandes réussites et continue à se développer, elle est néanmoins difficile à quantifier: combien de projets, de bénévoles, d’employés? Quels revenus dans l’ensemble, quels budgets? D’abord, la faune qui la compose est mouvante, variée et se réajuste au gré des sessions. Ensuite, à la différence de l’entreprise traditionnelle qui donne priorité à la rentabilité, l’entreprise étudiante est portée avant tout par l’acquisition de connaissances. On n’apprend pas que dans les livres, à l’université! «Rien ne vaut le terrain pour bonifier la théorie vue en classe, juge Yves Plourde. Le pratico-pratique, ça aide à développer et à structurer sa pensée, ça oblige aussi à se frotter à la réalité.»

Vraiment ancré dans la réalité, le monde étudiant des affaires? Oui, avec les avantages d’un milieu protégé, précise la présidente de la Confédération des associations d’étudiants et d’étudiantes de l’Université Laval (CADEUL), Caroline Aubry-Abel. «L’Université est un incubateur, croit-elle, le lieu idéal pour tenter des expériences et tester des idées. Comme les visées des entreprises étudiantes ne sont pas économiques au départ, la peur d’échouer freine moins les initiatives. Les étudiants osent parce qu’ils se disent “Si ça ne fonctionne pas, au moins, on aura appris”.»

L’apprentissage en question peut avoir un lien direct avec le domaine d’études, mais pas toujours. Du moins, pas pour Mélanie Boutin. Détentrice d’une maîtrise en orientation, conseillère à l’emploi à la Faculté des lettres et des sciences humaines, Mme Boutin a assuré la gérance du dépanneur Chez Alphonse, propriété de la CADEUL, durant une bonne partie de ses études. «Ce poste m’a beaucoup apporté sur le plan personnel, s’enthousiasme la diplômée. La clientèle et le personnel du dépanneur étant formés en majorité d’étudiants étrangers, j’ai appris à m’adapter aux différences, à m’ouvrir à d’autres cultures et à mieux comprendre la mienne.» En bonus, celle qui n’avait pas d’intérêt marqué pour la formation et la gestion de personnel s’est découvert un leadership insoupçonné.

De fait, les appelés des entreprises étudiantes ne sont pas que des passionnés du business mobilisés par la bosse des affaires. Le besoin de travailler, le goût de s’impliquer, l’envie de créer sont autant de déclics qui poussent les représentants des lettres, des sciences ou des arts à tenter eux aussi l’aventure.

Une plus-value pour le CV
Au-delà des avantages qu’ils en retirent durant leur parcours universitaire, les acteurs de l’entreprise étudiante affichent-ils une longueur d’avance sur le marché du travail? «Chose certaine, ça attire l’attention dans un CV, assure le directeur du Service de placement de l’Université Laval (SPLA), Richard Buteau. Pour les employeurs, ce genre d’expérience est synonyme d’audace, d’engagement et de réseau de contacts.» D’autant que les recruteurs d’aujourd’hui sont à l’affût d’un profil général plutôt que d’une formation très pointue, ajoute-t-il. Un jeune candidat dont les diplômes ne correspondent pas d’emblée à ceux requis par le poste peut quand même tirer son épingle du jeu.

«De plus en plus de grandes sociétés tablent sur l’ouverture, observe Richard Buteau. Les firmes développent des programmes de recrutement qui attirent des personnes aux portfolios différents. Des formations aussi variées que musique, langue, agriculture ou anthropologie peuvent mener à des postes clés lorsqu’appuyées par une expérience au sein d’une entreprise étudiante. Parce qu’elles trouvent leur application dans une foule de domaines de travail, les compétences associées au leadership sont très prisées.»

Mélanie Boutin confirme: «Mon rôle actuel de con­seillère en emploi consiste, entre autres, à établir des contacts entre employeurs et finissants, à créer des liens avec les directions de programmes. Pour convaincre, recruter, négocier avec tact, mon expérience en gestion au dépanneur étudiant m’est franchement utile.» Des qualités qui servent autant, sans doute, aux travailleurs autonomes? Plus encore, répond Richard Buteau. «À l’ère du Moi inc., note le directeur du SPLA, quelle que soit la sphère dans laquelle on évolue, il faut savoir se vendre, faire valoir ses idées et ses points de vue. Aujourd’hui, mener sa carrière, c’est ni plus ni moins que diriger sa propre PME.» Dans cette optique, les réflexes d’entrepreneur ont la cote peu importe les projets d’avenir.

Un modèle d’affaires à imiter?
L’implication entrepreneuriale à l’université semble porteuse de nombreux avantages. Mais elle n’est pas à l’abri des écueils. Ceux qui s’y frottent doivent bien sûr la conjuguer avec cours, remises de travaux et examens sans nuire à leurs résultats scolaires. Pour Mélanie Boutin, certaines semaines, il s’agissait de jongler avec ses études et 25 heures de présence au dépanneur. «Ça demande organisation et discipline, avoue la diplômée, ce qui me sert encore au quotidien.»

Les entreprises étudiantes comportent aussi des défis particuliers. Leurs budgets, souvent modestes, exigent rigueur et inventivité sur le plan des finances. De plus, employés et membres de l’exécutif y sont de passage le temps de leurs études, soit trois ans en moyenne. Comment assurer la pérennité de l’entreprise? D’après Caroline Aubry-Abel, le sentiment d’appartenance joue ici un rôle de premier plan. «La grande volonté de s’impliquer des participants, souvent bénévoles, compense pour leur rotation continuelle, constate-t-elle. Tout comme le fait de retourner les profits des entreprises à la communauté étudiante. Cette valeur agit comme un incitatif pour cimenter les projets.»

À ce titre, Yves Plourde estime que les mécanismes qui nourrissent la pérennité des entreprises étudiantes mériteraient d’être décortiqués. «À l’heure actuelle, la formation de la relève représente tout un défi pour les dirigeants d’entreprises, rappelle-t-il. Ces derniers auraient peut-être intérêt à tirer enseignement du modèle étudiant.» Des étudiants qui apprennent, pour ensuite inspirer le milieu des affaires: pourquoi pas? Une belle manière de boucler la boucle.

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Entreprenante CADEUL

Formée d’un exécutif 100% étudiant qui supervise jusqu’à 200 employés, la Confédération des associations d’étudiants et d’étudiantes de l’Université Laval (CADEUL) est une figure importante de l’entrepreneuriat sur le campus. En plus des milliers de dollars –45 000$ l’an dernier– qu’elle redistribue à ses 85 associations membres pour soutenir leur esprit d’initiative, la CADEUL chapeaute plusieurs filiales: le Pub universitaire et le dépanneur Chez Alphonse (pavillon Maurice-Pollack), deux succursales du Café l’Équi­libre (PEPS) et l’Exode Café (édifice La Fabrique). Le chiffre d’affaires global de ces entités réunies avoisinait 4,5M$ en 2013.

Pourquoi miser autant sur les projets entrepreneuriaux? «Notre logique, c’est qu’en tant que bénéficiaires de services, les étudiants sont les mieux placés pour savoir ce qui leur convient et pour se donner les moyens de l’obtenir», soutient Caroline Aubry-Abel, présidente de la CADEUL et étudiante en administration des affaires. Récemment, le regroupement étudiant a réitéré cette conviction en acquérant la cafétéria du pavillon Alphonse-Desjardins. Le lancement de Saveurs Campus, qui compte également un service de traiteur, a nécessité l’embauche d’une quarantaine de personnes, principalement des étudiants, et des investissements dépassant le million de dollars. De grosses sommes! «Il y a longtemps que nous souhaitions avoir cette concession, mais le défi était énorme, convient la présidente de la CADEUL. Nous avons dû nous battre contre le scepticisme de plusieurs.»

Afin de mettre son développement au diapason de la communauté universitaire, Saveurs Campus a mené et mène encore de nombreuses consultations auprès de ses usagers. Une cuisine saine, actuelle et équilibrée à prix raisonnable, voilà qui résume les attentes réitérées par les étudiants. Les choix proposés par la cafétéria sont à l’avenant. Au menu au moment d’écrire ces lignes? Osso buco de porc, poulet marocain au thym et citron, morue à l’indienne. Le tout disponible à la carte ou en formule complète à 10$.

Depuis la première assiette servie le 1er juin 2014, l’équipe de la CADEUL est agréablement surprise des succès de son entreprise: jusqu’à 400 repas servis le midi. Saveurs Campus devrait ainsi atteindre, au terme de son premier exercice financier, un chiffre d’affaires d’environ 3M$. Dans les cartons de l’entreprise: étendre ses activités à d’autres pavillons. La reprise du restaurant Le Cercle, au quatrième étage du Desjardins, est aussi au programme. «Nous allons en faire un restaurant de type bistrot à saveur gastronomique qui misera sur la valorisation des produits du terroir», prévoit Caroline Aubry-Abel.

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Boire et manger UL

Plusieurs entreprises du campus optent pour la fabrication d’aliments. Parmi elles, la brasserie Microbroue, une association étudiante de la Faculté des sciences et de génie dont la fondation remonte aux années 1990. «C’est le côté scientifique du brassage de bière qui nous intéresse», précise le co­président Michaël Tourigny.

Le groupe développe actuellement une levure typiquement québécoise qui servira à la fabrication d’alcools d’ici. Histoire de financer sa recherche parascolaire, donc non subventionnée, Microbroue a ajouté un volet commercialisation à ses activités. Depuis 2011, elle met au point des recettes originales de bières artisanales qu’elle vend à l’extérieur du campus. Parmi celles qui ont eu du succès: La Revenante, une IPA à 6,5% d’alcool. Le chiffre d’affaires? «C’est secondaire, élude Michaël Tourigny. L’important c’est l’expérience qu’on acquiert.» Étudiant en pharmacie qui souhaite devenir pharmacien propriétaire, il apprécie les connaissances que lui fournit l’aventure, tant en sciences qu’en gestion.

À la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation aussi, des étudiants fabriquent des aliments. C’est le cas à BrasSTA, l’autre microbrasserie du campus. Sa Rousse et Or est populaire auprès de la clientèle du Pub universitaire et, depuis janvier 2015, une redevance sur chaque pinte est versée à un fonds d’implication étudiante. La Fromagerie du campus, elle, produit 200 kilos de fromage par année. Les Comtois de camembert, Pollack l’emmental et Desjardins en grains sont vendus à des fins d’autofinancement pendant diverses activités étudiantes. Enfin, le comité Le Carnivore produit sur commande une variété de charcuteries, dont des saucisses, des pâtés, des viandes fumées et même du prosciutto.

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Petite coop devenue grande

Avec 31M$ de chiffre d’affaires en 2013, plus de 77 000 membres, 68 emplois à temps plein et 295 à temps partiel, Coop Zone est un fleuron des initiatives étudiantes forgées sur le modèle coopératif. Elle est née sur le campus, il y a près de 30 ans, de la fusion de quelques coopératives désireuses d’offrir aux étudiants du matériel scolaire à prix avantageux. Établie au pavillon Maurice-Pollack, l’entreprise compte aujourd’hui une dizaine d’autres boutiques et points de services, notamment au cégep Limoilou et dans le quartier Saint-Roch.

Si la progression de Coop Zone est impressionnante, elle respecte son orientation de départ, rappelle Bastien Beauchesne, prési­dent du C.A. et étudiant à la maîtrise en affaires publiques. «Les principes coopératifs rejoignent les valeurs chères aux étudiants, comme l’équité, la transparence et le développement durable», constate-t-il, ajoutant que la forte présence d’étudiants au C.A. constitue un maillon fort du développement de l’entreprise. «Ça permet d’être à l’affût des besoins de nos membres.» Prochainement, Coop Zone pourrait ajouter à ses activités actuelles –librairie, vente de matériel d’artiste et informatique– une offre de services alimentaires dans certains établissements scolaires et garderies.

Aussi née à l’Université, la Coopérative des cafés étudiants regroupe 15 cafés facultaires. Fondée en décembre 2006, elle a notamment permis d’accroître le pouvoir de négociation des cafés avec leurs fournisseurs. Quant à elle, la Coop Roue-Libre offre depuis cinq ans des vélos en libre-service sur le campus et propose à ses 1700 membres différentes formations en lien avec la pratique du vélo.

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CHYZ 94,3 dans les ligues majeures

«Oui, une entreprise étudiante, ça peut aller jusque-là !», lance fièrement Simon La Terreur. Le directeur général de CHYZ 94,3 et étudiant à la maîtrise en communication publique évoque le partenariat conclu entre la radio universitaire et les organisations du Rouge et Or football et des Remparts de Québec: depuis septembre 2014, CHYZ est l’unique radiodiffuseur de tous les matchs des deux équipes et de la Coupe Mémorial 2015. Une entente grâce à laquelle la radio a franchi un pas de géant dans l’espace médiatique de la région.

«L’auditoire qui augmente, la visibilité et la reconnaissance qui s’ensuivent, c’est motivant pour toute l’équipe», assure le dirigeant de 12 employés et d’une centaine de bénévoles, pour la plupart étudiants. Et, estime-t-il, jouer dans la cour des grands est formateur pour l’ensemble des artisans de la radio. Les membres de la direction de CHYZ ne sont pas en reste. «Ce qu’on apprend en transigeant avec les grandes organisations sportives et ténors du milieu des affaires n’a pas de prix!» Le nouveau rayonnement de la station, dont le chiffre d’affaires s’établissait à 270 000$ en 2013-2014, lui ouvre les portes d’un marché publicitaire élargi.

«De gros défis, oui, mais autant d’occasions supplémentaires d’apprentissage», se réjouit Simon La Terreur.

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