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Hiver 2007

Gamme de dos, gamme de maux

Huit Occidentaux sur dix auront un jour ou l'autre mal au dos. Des chercheurs se penchent sur les facteurs de risque de ces maux, sur leurs causes et sur les pistes de traitement.

    Un pont articulé d’une grande complexité, composé de 26 os, 140 muscles et plus de 1000 ligaments. Une prodigieuse structure qui constitue non seulement la plus flexible de nos articulations, mais aussi un couloir blindé qu’empruntent tous les nerfs qui courent entre le cerveau, le tronc et les membres. Une merveille d’architecture et d’ingénierie qui se fait chêne pour l’haltérophile et roseau pour la contorsionniste.

La colonne vertébrale est la Lamborghini des parties du corps humain. Malheureusement, c’est aussi la pièce pour laquelle il y aurait le plus de rappels du fabricant si notre corps était une automobile. Plus de 80% des personnes qui vivent dans les pays occidentaux auront mal au dos au cours de leur existence. Les douleurs à la colonne sont la deuxième cause de consultations médicales, juste derrière le rhume.
 
Les coûts sociaux sont énormes: le tiers des travailleurs québécois sur le carreau sont blessés au dos et leurs indemnisations dépassent 500 millions$. Lorsque tous les coûts sont pris en compte, la facture atteint entre 1 et 2% du produit national brut. Quant aux coûts humains, ils sont incommensurables si on les chiffre en termes de douleurs, de détresse et de désespoir. De toute évidence, notre talon d’Achille se situe quelque part entre la taille et la tête.

Symptôme en quête de maladie

«Le mal de dos est un problème tellement courant qu’on a l’impression qu’il est bien compris, mais ce n’est pas le cas», affirme Clermont Dionne, professeur au Département de réadaptation de la Faculté de médecine. On a longtemps cru que le travail physique ou encore des anomalies anatomiques étaient en cause, mais le travail n’est qu’une partie de l’histoire. Dans la très grande majorité des cas, les examens radiologiques ne révèlent rien d’anormal chez les sujets qui se plaignent de maux de dos. À l’inverse, des personnes qui ont des anomalies à la colonne peuvent ne jamais avoir à composer avec un mal de dos de toute leur vie. «Plus on étudie le problème, plus la nature de la bête se révèle complexe. Il semble que le mal de dos soit, comme la fièvre, un symptôme en quête d’une maladie», constate-t-il.

Rien n’indique que ce fléau soit récent –un papyrus égyptien datant de 3500 ans en décrit un cas et son traitement – ni que son incidence soit en hausse. «Toutefois, les dépenses qu’il occasionne augmentent plus rapidement que toute autre cause d’incapacité», souligne Clermont Dionne. Les critères objectifs pour étudier ce mal aux contours flous font cruellement défaut, ce qui rend hasardeuses les comparaisons entre périodes ou entre pays. À défaut de mieux, les chercheurs se rabattent sur les données provenant des régimes d’indemnisation des travailleurs, une source d’information qui donne un portrait incomplet de la situation dans l’ensemble de la population, et parfois même un portrait faussé.

Ainsi, en 2002, Denis Bolduc, Bernard Fortin et France Labrecque, du Département d’économique, ont démontré que les demandes d’indemnisation pour les maux de dos et autres blessures à diagnostic difficile augmentaient en fonction de la générosité du programme de protection des travailleurs. Consciemment ou non, les travailleurs font moins d’efforts de prévention lorsqu’ils bénéficient d’une bonne assurance ou font des réclamations qui sont à leur avantage en prétendant souffrir de problèmes qui ne peuvent être confirmés objectivement, concluaient les chercheurs.

Les plus de 55 ans aussi

De son côté, Clermont Dionne s’étonnait de l’idée reçue voulant que la prévalence des maux de dos diminue après 55 ans alors que les autres problèmes musculosquelettiques s’accentuent avec l’âge. Avec l’aide de deux collègues britanniques, il a passé en revue une cinquantaine d’études publiées depuis 40 ans pour en arriver à une conclusion beaucoup plus nuancée : les maux de dos bénins se font plus rares en vieillissant, mais les cas graves se multiplient.

L’effet du travailleur en santé expliquerait ces résultats contradictoires, avance-t-il. «La plupart des études sur les maux de dos sont faites auprès des travailleurs. Or, les travailleurs âgés qui ont de graves problèmes de santé quittent le marché de l’emploi, de sorte que ceux qui restent et que nous étudions sont bien portants. Il était important de donner l’heure juste sur cette question, non seulement pour corriger une croyance non fondée, mais aussi pour alerter la société sur l’ampleur du problème qui l’attend avec le vieillissement de la population.»

Malgré leurs limitations, les données provenant des programmes d’indemnisation des travailleurs permettent de mieux cerner les facteurs de risques associés aux problèmes de dos. On sait maintenant que certains travailleurs courent de plus grands risques d’en souffrir : ceux qui manutentionnent de lourdes charges –notamment le personnel infirmier– ou encore les opérateurs d’une machinerie qui soumet le corps à d’intenses vibrations comme le marteau piqueur. Au-delà de ces certitudes, le brouillard s’épaissit. En effet, les maux de dos représentent, bon an mal an, de 20 à 35 % des lésions professionnelles rapportées dans chaque corps d’emploi, qu’il s’agisse de travail administratif ou manuel. «De toute évidence, les exigences physiques du travail ne sont qu’un des éléments qui entrent en ligne de compte », en déduit le professeur.

Ses propres travaux ont d’ailleurs mis en lumière des associations plutôt inattendues entre les maux de dos et certaines variables, notamment le degré de scolarité. Personne ne s’étonnera que les risques de blessures au dos soient moins grands chez les personnes qui enseignent le piano que chez celles qui les déménagent. «Mais l’association entre les maux de dos et la scolarité est vraie même pour des groupes d’emplois qui comportent des exigences physiques comparables», précise le chercheur.

Une autre étude, qu’il a réalisée avec l’étudiante Marise Chénard, a révélé que les femmes au foyer ne récupèrent pas mieux de leurs maux de dos que les femmes qui occupent un emploi à l’extérieur. «Pourtant, le travail officiel est considéré comme un facteur de risque en soi et les femmes qui travaillent à l’extérieur doivent en plus s’acquitter des tâches domestiques», commente le chercheur.

Autre découverte troublante faite par Clermont Dionne et ses collègues Isabelle Leroux, Renée Bourbonnais et Chantal Brisson: les gens qui ont vécu deux événements traumatiques ou plus pendant leur enfance ainsi que ceux qui occupent un emploi combinant une demande psychologique élevée et une faible latitude décisionnelle courent autant de risques de se blesser au dos que les manutentionnaires de lourdes charges! «Il ne s’agit pas forcément de relations de cause à effet, précise M. Dionne. On ne connaît pas les mécanismes en cause, mais les facteurs qui modulent la perception de la douleur, notamment le stress, peuvent jouer.»

Comment guérir?

Cyrille Barrette, du Département de biologie, avance une hypothèse liée à l’évolution pour expliquer l’épidémie de maux de dos qui sévit dans les pays développés: nous passons trop de temps assis. «Nous sommes des Cro-Magnons du XXIe siècle. Nous avons le même corps que ces hommes préhistoriques, un corps conçu pour marcher, trotter, s’accroupir ou s’étendre. Cro-Magnon ne s’assoyait à peu près jamais –il s’accroupissait comme on le fait toujours dans beaucoup de pays de l’hémisphère sud– alors que nous passons 90% de notre vie éveillée immobiles, en position assise. Notre corps n’est adapté ni à cette position ni à la sédentarité.»

La consigne en vogue dans le traitement des maux de dos tend à lui donner raison. Pour venir à bout d’un mal de dos, on recommande maintenant de combiner un programme d’exercices physiques et des traitements dispensés par des spécialistes. Ceci permet de remédier à 90% des épisodes de maux de dos en quelques semaines.

Quant à savoir à quel professionnel de la santé il vaut mieux confier son dos, Clermont Dionne recommande, dans un premier temps, de consulter un médecin pour éliminer les possibilités de fracture ou de cancer. «Par la suite, il faut s’en remettre à une approche et non à une profession. On préconise maintenant une approche multidisciplinaire, qui repose sur des traitements dont l’efficacité a été prouvée scientifiquement et qui est modulée en fonction de chaque patient. Il faut aussi rester actif, être patient et surtout ne pas se décourager. Ce qu’il faut éviter, insiste-t-il, est qu’une simple entorse au dos ne se transforme en douleur chronique qui empoisonne l’existence.»

La douleur comme maladie

Yves De Koninck, de la Faculté de médecine, considère que les douleurs chroniques, comme celles qui sont associées aux maux de dos, ne constituent pas un symptôme, mais une maladie en bonne et due forme. La moelle épinière, ce faisceau de nerfs qui court dans la colonne vertébrale, est le siège d’un mécanisme qui détermine si un signal douloureux en provenance du corps doit être relayé ou non au cerveau. Une perturbation physiologique de ce mécanisme, qui surviendrait à la suite d’une blessure ou d’une maladie affectant un nerf, serait à l’origine de l’hypersensibilité causant la douleur chronique, croit le professeur.

Il y a quelques mois, son équipe du Centre de recherche Université Laval–Robert Giffard a découvert une protéine qui joue un rôle clé dans la cascade de réactions engendrant cette hypersensibilité. Les chercheurs sont maintenant sur la piste de produits capables de bloquer l’action négative de cette protéine. Ces médicaments paveraient la voie à une nouvelle classe d’analgésiques contre les douleurs chroniques, une percée qu’appellent de tous leurs vœux les millions de personnes aux prises avec ce mal.

Entre-temps, Clermont Dionne estime qu’il faut attaquer la tête de l’hydre qui fait le plus de ravages: l’aspect chronique des douleurs dorsales. «Même s’ils ne représentent que 10% des cas, les maux de dos chroniques occasionnent 80% des coûts, en plus d’être éprouvants pour ceux qui en sont victimes. Il faut trouver des façons de repérer le plus tôt possible les cas les plus susceptibles de devenir chroniques.»

Parmi toutes les variables qu’il a étudiées, celle qui s’est révélé le meilleur indicateur de l’évolution d’un mal de dos deux ans après son apparition est le degré de détresse psychologique ressentie par les sujets dans les premières semaines qui ont suivi l’apparition de la douleur. «J’avais peine à le croire moi-même», admet-il. Le chercheur ne suggère pas pour autant d’envoyer en consultation psychologique tous les gens qui ont mal au dos et qui éprouvent une certaine détresse, mais plutôt qu’on leur accorde un suivi plus serré afin d’éviter que leur état ne dégénère. «Pour y arriver, il faut prendre le taureau par les cornes dès les premières semaines. La clé, résume-t-il, est de contrôler la douleur avant qu’elle ne prenne le contrôle de notre vie.»
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