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Printemps 2007

Gaspésie: cap sur l’espoir

Des professeurs de l'Université ont décidé de parier sur la Gaspésie en s'associant à des projets innovateurs, dont les Gaspésiens sont partie prenante. Espoir à l'horizon.

Suspendu entre ciel et terre dans un escalier du cap Gaspé, un jour du printemps 1999, Laval Doucet se posait mille questions sur l’avenir de ce coin de pays. «“Ce n’est pas possible qu’avec tous nos moyens, nous ne soyons pas capables de faire mieux en Gaspésie”, me suis-je dit en contemplant cette nature grandiose.» L’idée du professeur, aujourd’hui retraité de l’École de service social, a mûri puis a fait des petits.Comme lui, plusieurs collèges refusent de ne voir la région qu’à travers le déclin des pêches ou de l’exploitation forestière. Ils croient qu’un modèle de développement encore en gestation peut émerger des tristes statistiques actuelles.

Préservé de la pollution agricole, car on y a surtout pratiqué l’agriculture de subsistance, et à l’abri des grands développements industriels, ce territoire pourrait devenir un modèle d’application de développement durable. «Ici, nous pouvons rêver d’une terre verte, s’enthousiasme Laval Doucet. Il est clair qu’avec nos méthodes d’exploitation du passé, nous avons frappé un mur. Il faut donc trouver de nouvelles idées, façonner le futur à l’aune du développement durable, en utilisant la forêt autrement et en créant de nouveaux produits.»

Louis Bélanger partage cette vision. Professeur au Département des sciences du bois et de la forêt, ce spécialiste de l’aménagement forestier constate d’un côté que l’exploitation traditionnelle des ressources naturelles menace directement la survie de la région. De l’autre, il croit fermement que les citoyens ont les moyens de changer ce processus. «Les Gaspésiens sont en train de se prendre en main et ça, c’est nouveau, affirme-t-il. Ils peuvent développer le territoire de leur propre initiative, à condition qu’ils parviennent à s’entendre, car la compétition est parfois féroce entre les villages.»

Dans le giron de la Chaire

M. Bélanger ne se contente pas de vœux pieux. Lui et une vingtaine d’autres professeurs sur le campus élaborent projets et idées qui pourraient bientôt tracer un avenir plus rose à la Gaspésie. Des projets qui trouvent leur place dans le giron de la Chaire multifacultaire de recherche et d’intervention sur la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine, créée en 2002.

Cette chaire, c’est le bébé de Laval Doucet qui a su convaincre l’ancien recteur François Tavenas de l’importance pour l’Université de s’impliquer dans cette région. Dotée d’un modeste budget annuel d’exploitation de 100 000$ et placée sous la responsabilité de l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional, la Chaire accueille certaines initiatives et en suscite d’autres. M. Doucet, qui reste titulaire de la Chaire malgré son statut de retraité, parcourt inlassablement les routes du territoire. Au fil des ans, il a tissé des liens dans les villages, a écouté des citoyens décidés à contrer le mauvais sort et a semé des idées. Surtout, il a appris à ne pas tirer sur les fleurs pour les faire pousser plus vite.

L’expérience de Murdochville lui a montré que les entreprises les plus viables naissent parfois de situations en apparence désespérées. «Aujourd’hui, le secteur éolien est en pleine expansion dans cette municipalité, constate-t-il. Toute la Gaspésie en bénéficie, alors qu’on a déjà envisagé de fermer la ville, ce qui aurait coûté une fortune en dédommagements et forcé les gens à quitter leur coin de pays.»

Partisan des solutions à long terme, Laval Doucet considère la Gaspésie comme un terrain idéal pour appliquer les outils d’écologie sociale. Principes fondamentaux: respecter l’environnement et ouvrir les oreilles, comme le suggère l’Agenda 21, le mode de développement durable mis au point lors du Sommet de la Terre de Rio.

L’application de ces principes en Gaspésie commence en septembre 2001, avant même que la Chaire n’ait de statut officiel. M. Doucet débarque alors à Grande-Vallée, non loin de la pointe de la Gaspésie, et y organise des discussions sur l’avenir avec les habitants du village. Peu à peu, les voisins de Cloridorme, de Petite-Vallée et de Sainte-Madeleine se joignent à eux et des comités orientés vers la foresterie, l’architecture et l’agriculture se forment, suscitant bientôt l’intérêt des élus de cette région baptisée Estran.

Pendant ce temps, d’autres professeurs de l’Université apportent leur expertise aux idées qui émergent de cette structure communautaire. Sept d’entre eux viennent d’ailleurs explorer le territoire avec les habitants l’été suivant, tandis que plusieurs étudiants profitent de ce terreau fertile pour faire des stages en service social ou réaliser des thèses. Parmi les multiples propositions débattues par les Gaspésiens de l’Estran, une idée retient l’attention: celle soufflée par Louis Bélanger qui consiste à créer, dans ce coin de pays, un parc d’un type totalement nouveau au Canada.

Un parc nouvelle mouture

Le modèle envisagé s’apparente à celui des parcs naturels régionaux qui constituent 10% du territoire français. Contrairement au parc national Forillon, situé à quelques plongées de baleines, le projet n’exclut pas la présence humaine: le territoire à protéger s’étend sur 600 km2 et compte environ 3000 citoyens, englobant les quatre villages côtiers de l’Estran. Ce projet combine développement économique durable et protection de la nature.

Dans ce parc nouvelle mouture, les agriculteurs cultivent leurs terres ou pratiquent l’élevage, les forestiers vivent de la forêt et les touristes s’extasient sur les beautés du paysage. «L’Estran possède l’un des plus beaux paysages aménagés par l’humain au Québec, s’enflamme M. Bélanger. Les fonds de vallée avec leurs mosaïques agricoles, le contraste entre la mer et la montagne, l’architecture élaborée des maisons de certains rangs: ça vaut vraiment la peine d’être découvert.» Selon lui, la Gaspésie a tout intérêt à miser sur ce potentiel écotouristique remarquable pour concevoir de nouveaux produits du terroir et exploiter la forêt de façon moins industrielle. Le gouvernement voit cette initiative d’un bon œil, car ce type de structure n’existe pas actuellement. Baptisé «paysage humanisé», le projet-pilote pourrait même inspirer d’autres régions du Québec.

Avec l’appui d’étudiants et de professeurs de l’Université, les citoyens du futur parc habité cherchent la meilleure formule. Ils se penchent actuellement sur les règles à mettre en vigueur pour protéger la biodiversité, réfléchissent sur les tracés d’éventuels sentiers pédestres et se demandent quel type d’agriculture répondrait le mieux aux besoins de la communauté.

Concertation et agriculture

Des questions pas si éloignées de celles que se posent les Gaspésiens de la région administrative du Rocher-Percé. Là, la concertation régionale porte notamment sur la «multifonctionnalité» de l’agriculture. Dans cette perspective, l’agriculture n’est plus seulement considérée comme une façon de nourrir la population, mais aussi comme un facteur d’identité et comme une composante de la biodiversité et du paysage. Sans compter que, pour survivre, elle doit rester une activité lucrative dans le contexte mondial actuel.

Déjà, une douzaine d’agriculteurs du bout de la péninsule ont adopté l’idée d’Alain Olivier, professeur au Département de phytologie, qui participe à l’exercice de concertation: en bordure de leurs terres, planter des arbres d’essences nobles, comme des ormes, des frênes ou des pins. Non seulement vont-ils pouvoir en tirer un revenu intéressant un jour mais, en attendant, ils protègent leurs sols de l’érosion et agrémentent le paysage. «La Gaspésie ne peut produire aussi efficacement que le centre du Québec, précise le chercheur, car les terres n’y sont pas aussi fertiles et les conditions climatiques sont difficiles. Par contre, il est possible d’y développer une agriculture biologique ou d’innover dans la manière de cultiver.»

Autre projet issu de cet exercice de mise en valeur de la multifonctionnalité que coordonne en Gaspésie un employé de la Chaire, Bertrand Anel: à la coopérative maraîchère de Val d’Espoir, non loin de Percé, une parcelle de trois hectares a été plantée de sureaux, aux pieds desquels prennent place des rangs de céréale et de pomme de terre. Lorsque les arbustes parviendront à maturité, la coopérative vendra les petits fruits du sureau sur le marché des colorants alimentaires. Déjà, cette expérience agroforestière attire de nombreux curieux.

Encore plus de tourisme

En Gaspésie, le tourisme constitue déjà une véritable richesse, mais il est possible de le développer encore davantage. Le jugement vient d’Yvon Gasse, directeur du Centre d’entreprenariat à la Faculté des sciences de l’administration et membre actif de la Chaire. Dans un sondage qu’il a récemment effectué auprès de 600 entreprises de la région, le tourisme est d’ailleurs clairement apparu comme l’un des secteurs d’avenir.

Selon Yvon Gasse, lui-même Gaspésien de naissance, il faudrait allonger les saisons touristiques et, surtout, convaincre les entrepreneurs de s’associer pour offrir une large gamme d’activités et attirer des touristes d’outre-atlantique. Les marchés extérieurs constituent d’ailleurs une des clés de la réussite en Gaspésie, comme l’a démontré une autre étude réalisée par la Chaire en 2005. Ensemble, suggère M. Gasse, les gens d’affaires pourraient faire la promotion, en Europe et aux États-Unis, de loisirs comme la pêche en haute mer et la longue randonnée ou le ski dans les Chic-Chocs. «Il faut des produits novateurs, car les touristes ne passent pas toute la semaine à admirer le rocher Percé.»

Déjà, plusieurs étudiants de son cours de MBA en création d’entreprise ont plongé. Ils exploitent des gîtes du passant tout en proposant de la pêche au saumon, de l’esca­lade ou du kayak. Le golf constitue aussi une piste intéressante, considère M. Gasse en donnant l’exemple de l’Île-du-Prince-Édouard, destination très prisée des golfeurs.

«La Gaspésie ne doit plus attendre de gros projets pour se développer, estime-t-il. L’expérience a montré que, lorsque ce n’est plus payant, les multinationales s’en vont. Il faut miser sur un développement endogène, en créant des entreprises, des projets propres à la région. Peut-être que, du coup, la Gaspésie deviendra un modèle de développement économique pour les autres coins du Québec.» Bien décidé à donner un coup de main en ce sens, le professeur incite les étudiants de sa faculté à partir en stage, à la découverte d’entreprises gaspésiennes désireuses d’obtenir une étude de marché ou une planification d’affaires.

Des diplômés à l’œuvre

Un de ces anciens stagiaires, Nicolas Roy, dirige maintenant les fumoirs Atkins et Frères, à Mont-Louis. L’équipe de 16 employés importe des saumons de Chine ou de Russie, les fume et les expédie partout dans le monde. Et c’est loin d’être le seul diplômé à avoir entendu l’appel, notamment relayé sur le campus par les Journées Gaspésie-Laval. Cet événement annuel, né il y a sept ans à l’initiative de Laval Doucet, met en contact des employeurs gaspésiens et des finissants.

Gino Arsenault a su, de son côté, profiter du vent de changement qui souffle sur sa région. Alors qu’il étudiait en foresterie, en 1999, le jeune Gaspésien a mis sur pied une entreprise spécialisée dans le multimédia et s’est installé à Gaspé. Aujourd’hui, Azentic communication emploie une quinzaine de personnes et réalise des documents promotionnels, des sites Internet, des cédéroms, essentiellement pour des clients appartenant à de nouveaux secteurs d’activités comme l’éolien et l’écotourisme. «Je pense que, d’ici dix ans, la restructuration économique va être gagnante pour la Gaspésie, souligne cet entrepreneur qui poursuit actuellement, à distance, un baccalauréat en sciences de l’administration de l’Université Laval. Le récréotourisme est en plein essor et même la pêche en haute mer pourrait se développer, que ce soit avec des fermes d’élevage ou autre. Après tout, la demande pour le poisson et les fruits de mer est mondiale.»

(Site Internet de la Chaire)

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L’UNIVERSITÉ LAVAL À PERCÉ

C’est une maison victorienne blanche, en haut de la colline, juste en face du rocher, à Percé. Un lieu d’inspiration et de création où, depuis six étés, se réunissent les amoureux des arts inscrits aux différentes formations offertes par l’École internationale d’été de l’Université Laval. L’École relève de la Faculté d’aménagement, d’architecture et des arts visuels.

Ateliers de photo, classes de maître en arts visuels, en design, en typographie, voilà une partie du menu qu’offre l’École de juin à août. Un menu de cours crédités et de formation continue, concocté par des chefs de talent. L’architecte Pierre Thibault, la photographe de la nature Louise Tanguay, les designers franco-suisse et italien Ruedi Baur et Giulio Vinaccia et le philosophe de l’Université Laval Jean-Marc Narbonne constituent quelques-uns des fidèles de la Villa Fredrick-James, sur le point d’être cédée à l’Université. Directrice de l’École, Marie-Andrée Doran vibre littéralement lorsqu’elle évoque cet endroit exceptionnel. «On sent la force du rocher, celle de la nature, qui pousse à la création.»

Les cours s’appuient sur l’environnement, bien sûr, mais surtout ils se nourrissent de la présence des étudiants. Logés à proximité, ceux-ci se consacrent corps et âme à leur formation. Sans pour autant vivre en vase clos. «Nous ne sommes pas des touristes ici, mais des acteurs bien engagés dans la vie locale», affirme haut et fort la directrice.

Une perception que confirme le maire de Percé, Georges Mamelonet. Très satisfait de l’entente de partenariat signée en 2005 entre la municipalité et la Faculté, il espère bien mettre à profit les connaissances des invités de la Villa et des autres professeurs de l’Université Laval. La municipalité envisage actuellement la mise en place d’un téléphérique entre le sommet d’une montagne toute proche et le centre de la ville. «Un architecte comme Pierre Thibault a peut-être des idées pour bien intégrer ce projet dans le paysage, ou encore pour dissimuler les stationnements en ville», avance M. Mamelonet. Le prochain plan d’urbanisme pourrait également tenir compte des suggestions du professeur d’architecture Pierre Larochelle sur la nécessité de préserver des percées visuelles vers la mer.

Élément incontournable de la vie culturelle de Percé l’été, puisque le public y découvre les travaux des étudiants, la Villa James ouvre aussi ses portes à certains autres programmes universitaires le reste de l’année. Cette année, en mai, elle accueille Tania Martin, professeure de l’École d’architecture et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le patrimoine religieux bâti. Mme Martin y donne un cours de trois semaines à des étudiants québécois et américains. Objectif: mieux comprendre la manière dont les différents cultes religieux se sont partagé le territoire autour de Percé et de Gaspé. «C’est très intéressant d’observer comment certaines paroisses pouvaient abriter à la fois des églises anglicanes et catholiques, souligne la jeune femme. Nous allons nous intéresser à la façon dont les éléments comme l’église, le cimetière et le presbytère s’insèrent dans le paysage gaspésien.»

Ce travail de terrain s’effectuera avec des historiens du coin et avec l’aide de la population locale. Une façon, peut-être, de prolonger le cours dans les mois à venir, puisqu’un étudiant ou un professeur pourrait travailler plus tard sur des projets de reconversion d’édifices religieux, si l’idée sourit aux Gaspésiens sur place.

À partir de 2008, l’ancienne demeure du peintre américain Fredrick James devrait également accueillir pendant deux semaines les étudiants de la maîtrise inter-art, tout juste mise en place par la Faculté d’aménagement, d’architecture et des arts visuels. Cette formation unique, destinée à des artistes désireux de se perfectionner, se donne à distance. Cependant, les étudiants auront le loisir de profiter chaque année d’échanges intenses avec leurs professeurs dans la fameuse villa blanche.

(Site Internet de l’École)

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Pour en apprendre plus sur les chaires et sur une donatrice qui contribue à la Chaire de recherche et d’intervention sur la Gaspésie et les Îles.
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