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Printemps 2005

Le cœur a ses raisons

Des professeurs de la Faculté de médecine font l'autopsie d'un mal qui afflige maintenant une personne sur quatre: les maladies cardiovasculaires.

    Plus de 4500 fois par heure, 108 000 fois par jour, 39 millions de fois par an, 3 milliards de fois dans une vie humaine: le cœur est un muscle qui se contracte sans compter. Ce travailleur de l’ombre, doté de son propre centre de contrôle, besogne sans relâche de notre premier à notre dernier souffle. Ses capacités physiologiques sont telles qu’il pourrait donner des leçons d’aérobie à tous les autres muscles du corps.

De la grosseur du poing, cette pompe propulse cinq litres de sang à travers un réseau de 950 km de vaisseaux. En 60 secondes, le cœur fait faire le tour complet du propriétaire à 2500 milliards de globules rouges et à leur précieuse cargaison d’oxygène, essentielle à la vie.

Notre époque fait cependant la vie dure à ce remarquable organe. La sédentarité, la mauvaise alimentation, l’obésité, le tabagisme et l’hypertension se liguent pour encrasser les artères, notamment celles qui alimentent le cœur, obstruant l’arrivée du sang chargé d’oxygène indispensable à son bon fonctionnement.

Privées de ce carburant, les cellules du muscle cardiaque meurent: c’est l’infarctus. De nos jours, les victimes d’attaques cardiaques tardent moins à se rendre à l’urgence et les médecins, qui comprennent mieux cette maladie, disposent d’outils efficaces pour la traiter. Résultat: la mortalité due aux maladies cardiovasculaires est en baisse depuis 20 ans.

Toutefois, même si ces maladies tuent moins qu’avant, elles n’ont pas perdu la guerre pour autant : leur prévalence est en hausse de 40% depuis 1980. Des équipes de la Faculté de médecine, qui ont examiné les répercussions sociales et personnelles de ce fléau, en rapportent des conclusions troublantes.

Au cœur du problème

Le système de santé est-il prêt à faire face à la recrudescence des maladies cardiovasculaires? Peter Bogaty en doute. Il y a quelques mois, ce cardiologue lançait, dans les pages de la revue britannique The Lancet, un appel au retour du sens critique dans le traitement des maladies cardiaques. Les personnes traitées pour un premier épisode d’infarctus ou d’angine subissent fréquemment des interventions chirurgicales, notamment des angioplasties (dilatation des artères), constate le chercheur. De plus, note-t-il, ces personnes reçoivent une multitude de médicaments, dont certains doivent être pris en permanence.

«Ces technologies et ces produits sont très efficaces dans des situations bien précises, mais lorsqu’on étend leur usage à tous les malades, sans sélection, les bénéfices qu’ils apportent sont minimes», conclut M. Bogaty, après avoir passé en revue l’efficacité d’interventions courantes en cardiologie.

À ses yeux, la tendance actuelle dans le traitement des maladies cardiaques fait trois victimes. La première est la rigueur scientifique. La seconde est le patient qui reçoit des traitements inutiles et, par la bande, le malade qui doit patienter des mois pour recevoir un traitement qui lui serait vraiment profitable. La troisième est le système de santé lui-même. «Considérant les coûts élevés de la plupart de ces pratiques et la limite des ressources disponibles en santé, il faut dispenser les soins avec discernement. C’est la seule façon d’assurer la survie de notre système de santé.»

Il n’y a pas que le système de santé qui doive apprendre à composer avec les maladies cardiovasculaires. Les personnes qui en souffrent se voient soudainement confrontées à une nouvelle réalité bouleversante. D’ailleurs, dans l’année qui suit leur retour au travail après l’infarctus, la moitié de femmes et le tiers des hommes souffrent de détresse psychologique, démontre l’étude que Chantal Brisson a menée auprès de 900 personnes. Ces chiffres n’annoncent rien de bon pour l’avenir puisque les stress psychologiques contribuent à la récurrence des maladies cardiaques.

La dépression aussi guette les personnes aux prises avec ces maladies. Heureusement, il existe un moyen simple de s’en prémunir. Pierre Julien et ses collaborateurs ont découvert qu’après des problèmes cardiaques graves, les personnes qui conservent un bon moral présentent des taux d’oméga-3 (des huiles retrouvées dans certains poissons et graines) 10% plus élevés que les patients victimes d’une dépression majeure.

Les carences en oméga-3 enclencheraient donc une boucle infernale: elles favoriseraient l’apparition des problèmes cardiovasculaires et elles mettraient la table aux dépressions, qui elles-mêmes quadruplent les risques de récidives cardiaques.
 
Malgré les effets protecteurs spectaculaires des oméga-3, il faut se garder d’y voir une panacée. Avant eux, d’autres produits avaient suscité de vifs espoirs dans la lutte aux maladies du cœur. C’est le cas de la vitamine E dont les propriétés antioxydantes devaient prévenir la formation de dépôts dans les artères. Une étude à laquelle a participé le cardiologue Gilles Dagenais vient de démontrer que la prise quotidienne de suppléments de vitamine E contribue plutôt à hausser de 13% les risques d’insuffisance cardiaque chez des personnes souffrant déjà de maladies cardiovasculaires.

Le cœur à l’ouvrage

Il n’existe pas de recette infaillible pour bien vivre après un infarctus, mais certains ingrédients semblent incontournables. D’abord, la perte de poids (surtout à l’abdomen) s’impose, a révélé une autre étude menée par Gilles Dagenais. L’équipe internationale qu’il dirigeait a suivi 8800 patients dont l’état de santé s’était stabilisé après une première défaillance cardiovasculaire. Les chercheurs ont établi que, dans les quatre années suivantes, le risque de mortalité était 32% plus grand chez les sujets avec un embonpoint abdominal élevé que chez ceux qui avaient peu de ventre.

Il y a 25 ans, l’exercice physique venait au premier rang des choses que les médecins recommandaient à leurs patients de ne pas faire après un accident cardiaque. Depuis, de nombreuses études ont démontré les bienfaits de l’activité physique pour ces personnes, mais beaucoup de médecins tardent encore à emboîter le pas.

Pourtant, il n’est jamais trop tôt pour mettre le cœur à l’ouvrage. «Les patients sont trop souvent référés en réadaptation une fois que toutes les interventions pharmaceutiques et technologiques ont échoué, remarque Jean Jobin, un spécialiste de la question. C’est plus simple de prescrire un médicament qu’un programme de réadaptation, de sorte que peu de patients en profitent.» Le chercheur déplore cette situation parce que la réadaptation cardiorespiratoire contribue à l’amélioration de la qualité de vie des patients. «En plus, signale-t-il, chaque dollar investi dans ce domaine réduit de 6$ leurs besoins en soins de santé.»

Dans les cas extrêmes où les traitements médicaux et la réadaptation ne donnent pas de résultats, il faut carrément remplacer le cœur; environ 4000 greffes cardiaques ont lieu chaque année dans le monde. Ce précieux organe doit provenir d’une personne en bonne santé… jusqu’au moment de son décès: les victimes de morts violentes sont donc particulièrement prisées.

Contrairement à ce que certains chercheurs prétendaient, la cause de la mort –qu’il s’agisse d’un traumatisme crânien, d’une hémorragie cérébrale ou d’un coup de feu à la tête– n’a pas d’incidence sur la qualité du cœur greffé, a démontré récemment Bernard Cantin. Par contre, le temps écoulé entre l’accident du donneur et le prélèvement de son cœur s’est révélé déterminant pour la survie à moyen et à long termes du receveur, a-t-il constaté après avoir passé en revue 475 cas.

Malgré les prodiges de la chirurgie cardiaque et malgré les progrès dans la mise au point de traitements pharmaceutiques efficaces, tous les experts s’entendent sur un point: la prévention demeure la meilleure arme pour contrer les maladies cardiovasculaires. Sur ce front, le combat est mal engagé. Déjà, le quart de la population doit composer avec des problèmes cardiovasculaires pendant une partie significative de sa vie et le vieillissement de la population risque d’aggraver la situation.

Mais il y a pire. L’obésité et la sédentarité des adolescents font craindre une flambée de problèmes cardiaques dans quelques années. Le poids des données est écrasant: en Amérique, un enfant sur trois a un sérieux problème de poids, la prévalence de l’obésité a triplé en 20 ans et elle progresse toujours. Les enfants qui souffrent aujourd’hui de surpoids ne sont pas condamnés à être gros toute leur vie, mais ils auront énormément de travail à faire pour se dégager des flasques tentacules de l’obésité. L’avenir ne s’annonce pas rose pour le cœur des jeunes obèses.
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