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Hiver 2006

L’histoire à mur ouvert

Depuis sa participation à la Fresque des Québécois, importante attraction du Vieux-Québec, Marie-Chantal Lachance transforme des édifices tristes en livres d'histoire.

    Les doigts de Marie-Chantal Lachance se souviennent des moindres interstices de certains murs de Québec et de Mont-Joli, de la dureté des pierres de telle façade ou de la texture du béton de cette autre. Chaque année, la jeune femme passe en effet de nombreuses semaines, perchée sur un échafaudage entre ciel et terre, le nez collé au mur à peindre.

C’est à son entreprise, Murale Création, cofondée en 2000, que l’on doit des fresques historiques comme celles du Petit-Champlain, de l’Hôtel-Dieu et de la bibliothèque Gabrielle-Roy, qui changent le visage de Québec. Un art public, jusque-là peu connu dans ce coin d’Amérique du Nord, naît sous les coups de pinceaux des muralistes.

Marie-Chantal Lachance (Arts visuels 1993; Pédagogie pour l’enseignement au secondaire 1994) aime toutes les fresques auxquelles elle a participé, mais elle a une affection particulière pour celle du Petit-Champlain, cette rue autrefois située en bordure du fleuve et de ses chantiers. La murale aux allures de maison de poupées met en scène des personnages populaires et historiques, bien connus des gens du quartier, en présentant les métiers jadis liés au port.

Par exemple, le réparateur de voiles Gustave Guay. «À plus de 90 ans, indique Mme Lachance, il vit encore dans le coin et s’est senti bien honoré de se retrouver dans la fresque aux côtés du draveur Jos Montferrand et du capitaine Bernier, ce grand explorateur des mers polaires.»

La muraliste prend d’ailleurs conscience, au fil des ans, de la valeur identitaire de son travail. Grâce aux fresques, les promeneurs apprennent l’histoire du quartier qu’ils traversent, alors que les citoyens d’un bout de rue se remémorent une page de leur patrimoine et la transmettent à la génération suivante.

Artiste et gestionnaire

La directrice artistique de Murale Création a aussi pris conscience d’un autre fait, plus terre-à-terre: la réalisation d’une fresque demande une bonne dose de lâcher-prise et de modestie. «Notre tâche implique de travailler avec les forces de chacun, explique Mme Lachance d’un ton posé. Les artistes peintres que nous engageons ont souvent tendance à s’envoler, alors que notre métier nous ramène toujours à la réalité, les deux pieds sur terre.»

Elle-même garde les semelles bien au sol, et depuis longtemps. Déjà, lorsqu’elle étudiait à l’École des arts visuels, elle s’occupait de la galerie étudiante. Cela voulait dire choisir des thèmes d’exposition, administrer un budget, publiciser l’événement.

Un rôle de gestionnaire qu’elle a poursuivi quelques années plus tard, après un détour en enseignement, en créant SautOzyeux avec sa grande amie Nathaly Lessard (Arts visuels 1991; Enseignement des arts plastiques 1995). Fondée en 1997, cette entreprise réalise toujours des fresques intérieures pour des particuliers ou des commerces.

Du mur intérieur au mur extérieur il n’y avait qu’un pas, que Marie-Chantal Lachance a franchi en posant sa candidature pour participer à la réalisation de la Fresque des Québécois, située à Place royale. Le maître d’œuvre de cette première grande fresque de la Capitale était la compagnie lyonnaise Cité de la création.

C’est ainsi que l’artiste québécoise a passé quelques semaines à Lyon pour perfectionner ses techniques de peinture en trompe-l’œil aux côtés des experts français, et pour préparer la murale. De retour à Québec, elle a ensuite travaillé pendant trois mois à Place royale, sur la Fresque. Une expérience déterminante qui a amené le duo de Québécoises de SautOzyeux et les Lyonnais de Cité de la création à fonder ensemble Murale Création, en 2000.

Depuis, les contrats s’enchaînent. Plusieurs murs de la ville de Québec sont devenus de véritables livres d’histoire à ciel ouvert grâce à des peintures d’une précision chirurgicale. Tout passant peut ainsi en apprendre davantage sur la pratique de la médecine à travers les siècles grâce à la fresque de l’Hôtel-Dieu, qui court sur deux faces d’un pâté de maisons. Ou encore sur la vie de quartier dans Limoilou, avec le mur du Centre Horizon, qu’on aperçoit du boulevard des Capucins.

Depuis 2003, Murale Création a aussi réalisé une dizaine de fresques à Mont-Joli, où elle en ajoutera cinq d’ici 2008.

Chaque tableau mural représente un énorme travail de préparation. Il faut d’abord choisir un mur, convaincre des partenaires financiers de s’impliquer dans le projet, rassembler un comité scientifique pour déterminer la scène présentée, préparer la surface du mur à peindre pour la rendre résistante aux intempéries et, ensuite, se lancer dans les esquisses et les maquettes.

«Je participe à toutes les étapes, précise Marie-Chantal Lachance. Mes spécialités sont les personnages et les effets trompe-l’œil, mais je m’implique de la première rencontre avec les clients jusqu’à la livraison.» Tous les détails – choix des personnages, costumes et attitudes – doivent être approuvés par des historiens, des citoyens et des commanditaires impliqués dans le projet, ce qui laisse peu de place à l’improvisation.

Enthousiaste et perfectionniste


«Marie-Chantal a un enthousiasme fou et montre un grand respect pour les propositions du comité scientifique», témoigne Denis Angers de la Commission de la capitale nationale du Québec. Alors qu’il représentait son organisme, partenaire de plusieurs projets de fresques, M. Angers a eu l’occasion de voir la jeune femme obtenir des consensus, malgré la divergence des avis émis autour de la table.

C’est le perfectionnisme de cette artiste qui a frappé Jean-Marie Lebel (Histoire 1979 et 1982) alors qu’il donnait son avis d’historien sur différents projets de Murale Création.

«Elle attache une grande importance à l’authenticité du contenu, note l’auteur du guide du promeneur Le Vieux-Québec et chargé de cours à l’Université. Je me souviens du soin qu’elle a mis à reproduire dans le moindre détail le costume des As de Québec (une équipe de hockey disparue en 1965), mais également des efforts qu’elle a déployés pour retrouver une illustration de Jos Montferrand avec sa chemise carreautée pour la fresque du Petit-Champlain.»

Bien décidée à rendre les scènes les plus vivantes possible, la muraliste n’a d’ailleurs pas hésité à mettre sa propre famille en images. Dans la fresque qui fait face à l’Hôtel-Dieu, son père porte son fils Charlou sur ses genoux, tandis qu’elle-même figure, enceinte, non loin de là.

Le succès des fresques

Manifestement, les fresques ne touchent pas seulement les citoyens du quartier où elles se trouvent. Interrogés sur les sites incontournables de Québec par la Commission de la capitale nationale, les visiteurs des quatre coins du monde citent en rafale le Château Frontenac, les fortifications et la Fresque des Québécois.

De plus, selon une évaluation de la Coopérative des marchands du Petit-Champlain, la fréquentation du bas de cette rue a doublé depuis que les touristes peuvent y découvrir la murale sur les activités portuaires d’autrefois. «Québec devient une référence pour ce type d’art public, note Denis Angers. Même des gens de Nashville, aux États-Unis, nous ont contactés pour en savoir plus sur les fresques!»

Consciente de contribuer au patrimoine de demain, Marie-Chantal Lachance aimerait un jour enseigner les techniques de la fresque aux futurs artistes du baccalauréat en arts plastiques, car elle constate que de nombreux jeunes peintres s’intéressent à ce métier qui, pour l’instant, ne s’apprend pas à l’école.

En attendant, elle déborde d’idées pour mieux célébrer l’histoire. «Il faudrait traiter des grandes femmes du Québec et des Amérindiens, lance-t-elle. Je connais une bonne trentaine de murs magnifiques qui ne demandent qu’à recevoir des couleurs, à Québec. Sans compter que le 400e anniversaire de la ville s’en vient!»
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