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Printemps 2006

L’îlot des Palais livré aux archéologues

Grâce au chantier-école de l'îlot des Palais, à Québec, l'archéologie vient enrichir tout un pan de l'histoire mouvementée des débuts de la colonie.

    Nouvelle-France, fin XVIIe siècle. Après une longue et éprouvante traversée de l’Atlantique, un navire marchand français double la pointe occidentale de l’île d’Orléans. Devant lui se dresse le cap Diamant, orné de quelques dizaines de maisons et de bâtiments: Québec, centre de la jeune colonie française en Amérique.

Le capitaine fixe un édifice bien visible qui se profile à droite de la ville nouvelle, au confluent de la rivière Saint-Charles et du Saint-Laurent: le «Pallais» de l’intendant. Relativement modeste, le bâtiment de bois fait sourire par sa prétention de palais, mais l’endroit est incontournable. C’est la plaque tournante du commerce en Nouvelle-France, alors un immense territoire qui court jusqu’au pied des Rocheuses et plonge vers le golfe du Mexique, le long du Mississippi.

«Je préfère parler d’une intendance plutôt que d’un palais, car il s’agit d’un véritable complexe», précise l’archéologue Marcel Moussette, professeur au Département d’histoire et un des premiers artisans des fouilles qui sont menées à cet endroit depuis 1982.

Construit à partir de 1686, le palais est en réalité un édifice multifonctionnel. Il sert de résidence à l’intendant et on y trouve, entre autres, la salle de réunion du Conseil souverain de la Nouvelle-France, les magasins du roi, de même qu’une prison. L’intendance est aussi un lieu de pouvoir car, à l’époque, deux têtes dirigent la colonie. Le gouverneur, qui habite le Château Saint-Louis dans la haute-ville, est responsable des affaires politiques et militaires, tandis que l’intendant voit à l’économie, au commerce et à la justice.

Le site, aujourd’hui connu sous le nom de l’îlot des Palais, connaîtra de multiples fonctions en 350 ans d’histoire. Après la Conquête anglaise, sa vocation d’intendance s’effacera progressivement de la mémoire collective, non sans avoir teinté la toponymie locale. Adossé à la falaise, l’îlot se trouve non loin de la côte du Palais et à quelques pas de la gare du Palais.

Des fouilles menées par des archéologues de l’Université Laval et des dizaines d’étudiants en archéologie ont permis de cerner l’importance des lieux et surtout d’en concrétiser l’histoire. Même si l’analyse et l’interprétation d’une grande partie des découvertes réalisées à ce chantier-école restent encore à faire, les fouilles ont déjà révélé un site d’une richesse exceptionnelle. L’îlot des Palais est un petit condensé d’histoire urbaine, ponctuée d’incendies, de reconstructions et de transformations. Il témoigne de l’évolution d’une ville ainsi que de ses activités industrielles et commerciales sur plus de trois siècles.
 
«À certains endroits, s’exclame Marcel Moussette, nous avons trouvé huit niveaux d’occupation. Pour obtenir des résultats semblables, il faut généralement fouiller des sites européens qui ont une histoire d’occupation de 1000 ans.»

L’histoire rendue concrète

À une histoire connue et écrite comme celle des débuts de la colonie, l’archéologie apporte une vue plus concrète en y ajoutant les objets. Grâce à la mise au jour des fondations du premier palais, on a maintenant une idée plus juste des dimensions du bâtiment que ce qu’en disaient les plans. Ce palais faisait 67 m de longueur, sur trois étages.

Il faut savoir qu’il y avait souvent des différences importantes entre un bâtiment réalisé et les esquisses retrouvées, destinées à obtenir des subsides royaux pour la construction. Par exemple, en 1692, le plan des environs du Palais transmis à la métropole fait état d’un ambitieux bassin pouvant accueillir 300 navires. «Sept ans plus tard, sur une gravure, le bassin est devenu pratiquement une mare d’eau, ce qui semble plus près de la réalité», ironise Réginald Auger, professeur d’archéologie et responsable du chantier-école de l’Université Laval.

Les manuels d’histoire nous rappellent aussi que l’intendance était la plaque tournante de la traite des fourrures. En échange des précieuses peaux, les Français offraient aux autochtones des fusils soigneusement décorés. «Ces ornements étaient très appréciés, comme en témoignent les décorations de fusil transformées en bijoux que d’autres équipes ont trouvés dans des tombes, sur divers sites amérindiens», raconte Marcel Moussette. Or, les fouilles à l’îlot des Palais, dans les anciens magasins du roi, ont mis au jour une imposante collection de ces décorations intactes, ce qui permet d’apprécier la finesse du travail des artisans.

Les archéologues ont également extirpé du sol des médailles religieuses ainsi que des bagues de Jésuites suffisamment bien conservées pour pouvoir en étudier les motifs. Ces objets étaient offerts aux autochtones lorsqu’ils franchissaient une nouvelle étape menant à leur conversion au catholicisme. L’étude des motifs ornant les médailles est le sujet de maîtrise de Caroline Mercier. «On pensait jusqu’ici qu’il s’agissait de symboles religieux, résume-t-elle, mais on en trouve des comparables dans la France rurale de l’époque et qui auraient plutôt un sens profane.» Une histoire à suivre.

Faire parler les vestiges

Le sous-sol de l’ensemble du site renferme bien d’autres vestiges: vaisselle et ustensiles témoignant du passage du Régime français au Régime anglais, gonds, cadenas, etc. De telles pièces permettent de mieux cerner la réalité d’une époque, à condition qu’elles soient en bon état. Dans son laboratoire de restauration et de conservation logé au Petit Séminaire, Lise Jodoin traite tous ces artefacts aux petits oignons.

«L’objectif de notre intervention n’est pas de redonner à tous les objets leur lustre original», explique-t-elle. Tout dépend de l’importance archéologique de la pièce et de son état. La conservatrice mettra plus de temps à restaurer une pièce unique ou qui présente des caractéristiques particulières. «Parfois, précise-t-elle, il est préférable de laisser l’objet dans une partie de sa gangue parce que c’est la seule façon de lui conserver sa forme.»

C’est d’abord un objet archéologique ayant une valeur scientifique qu’il faut protéger, en évitant de l’interpréter trop rapidement et de modifier son allure originale, rappelle-t-elle. Ainsi en est-il d’un vase découvert à l’îlot, auquel il manque plusieurs fragments. «J’assemble seulement les morceaux qui coïncident vraiment; il est impensable de colmater les espaces vacants», explique Lise Jodoin. Une fois l’objet «stabilisé» ou restauré, il sera, selon les besoins, objet d’étude ou d’exposition. Parfois les deux. Tous ces vases, bijoux et autre ferraillerie servent également de collection de référence pour des recherches ultérieures, témoignant des pratiques d’une époque, d’une culture ou encore de techniques de fabrication.

Travail de minutie, la conservation demande parfois des interventions d’urgence sur le site même des fouilles. Lise Jodoin a notamment passé quelques jours à l’îlot pour traiter un plancher de bois du XVIIe siècle, découvert à quatre mètres sous la surface. Gorgé d’eau, le matériau aurait pu subir des dommages irréversibles en raison de sa soudaine exposition à l’air. «En s’asséchant rapidement, explique la spécialiste, le bois aurait fendu et tordu, perdant ainsi une bonne partie de son intérêt pour l’interprétation.»

Les détours de la science

Pour faire parler les objets, il faut souvent prendre de longs détours. Plusieurs disciplines contribuent à leur interprétation, comme l’entomologie, l’écologie et la dendrochronologie. «L’archéologue ne présente pas un One Man Show, insiste Réginald Auger. Il travaille en équipe où se multiplient les disciplines. Une tendance “sciences naturelles” marque l’archéologie moderne.»

Cette tendance trouve écho au chantier-école de l’îlot des Palais, d’autant que le site abonde en vestiges biologiques: noyaux de fruits, fragments de noix, os d’animaux, insectes. «Je n’ai jamais vu autant de matières organiques que lors des fouilles de l’été 2005», rapporte Réginald Auger.

Les premiers habitants jetaient une bonne partie de leurs déchets de table dans les latrines, qui font maintenant l’objet de fouilles. Une fois mis au jour, certains débris prennent le chemin du laboratoire de zooarchéologie de l’Université, où l’on tente, par exemple, d’identifier les ossements d’animaux. Certains restes confirment l’apparition du mouton sur les tables du lieu, à l’époque où Écossais et Irlandais s’y installent.
 
De son côté, Allison Bain, professeure au Département d’histoire, est une spécialiste de l’archéoentomologie. «Nous ne sommes que quelques dizaines dans le monde», mentionne-t-elle. Mme Bain a identifié des restes d’insectes –des coléoptères– qui confirment la présence d’un milieu humide et même marécageux aux environs de l’îlot des Palais. Fin XVIIe siècle, début XVIIIe, nous sommes ici aux limites de la ville de Québec. Tout près, coule la rivière Saint-Charles encore libre de remplissage.

L’archéoentomologie permet d’en apprendre beaucoup sur l’environnement naturel, mais aussi sur certaines pratiques de l’époque. Alison Bain a, entre autres, identifié des restes de la mouche d’Espagne. Aujourd’hui, l’insecte bleuté a une réputation d’aphrodisiaque –le fameux Spanish Fly– mais, à l’époque, ce n’est pas pour stimuler le peuplement de la colonie qu’on l’employait. «Il existe quelques recettes de médicaments incorporant cette mouche, précise-t-elle. On utilisait l’insecte pour accélérer la guérison de plaies et contre le mal de gorge.» La petite bestiole a probablement été importée par les colons pour subvenir à un besoin médicinal.

Découverte moins exotique, les pieux de bois des premières fortifications du palais peuvent également parler d’une époque révolue. Ces billots de cèdre (thuya) sont bien conservés. Ils font présentement l’objet d’une thèse de doctorat par Lydia Querrec du Département de géographie, réalisée en collaboration avec le Centre d’études nordiques qui apporte son expertise en dendrochronologie. Les cercles de croissance et la structure du bois ont beaucoup à dire. «Nous pourrons probablement avoir une bonne idée de la provenance des arbres dont on a fait ces pieux et peut-être même de l’état de la forêt où on les a récoltés, espère Réginald Auger. En plus, les marques laissées par les outils pourront nous révéler certaines techniques de travail des bûcherons de l’époque.»

Le patient décodage du passé

La vie en Nouvelle-France était-elle très différente de celle de la mère patrie? Du point de vue de l’entomologiste Alison Bain, pas vraiment. «On ne peut l’affirmer sans nuance, mais il n’y avait probablement pas beaucoup de différences, avance-t-elle. On avait les mêmes problèmes d’hygiène publique, par exemple avec l’habitude de jeter bien des déchets à la rue. Il était aussi courant, ici comme en France, de sentir un petit crunchy dans le pain.» Les petits insectes donnaient du croustillant à l’ordinaire…

L’îlot des Palais commence à peine à livrer ses secrets. L’aventure n’est pas terminée, car le site est riche d’une multitude de vestiges témoignant de 350 ans d’occupation, donc d’époques, de cultures et d’usages variés. Il reste à tout identifier, à en déduire la signification, à interpréter en établissant des parallèles entre les objets d’ici et d’ailleurs. Un travail de longue haleine auquel les étudiants des cycles supérieurs apporteront une contribution appréciable au fil des stages et des thèses.
 
De déductions en hypothèses qu’il faut vérifier mille et une fois, «l’archéologue travaille lentement», prévient Réginald Auger.

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350 ANS D’OCCUPATION URBAINE

    L’occupation du site de l’îlot des Palais commence en 1669, alors que l’intendant Jean Talon y fait construire une brasserie. L’homme espère ainsi stimuler la culture de l’orge et du houblon tout en réduisant la consommation de vin. Ce dernier, importé de la métropole, était plutôt dispendieux. L’entreprise, qui ne sera jamais rentable, cesse ses activités en 1675.

En 1686, on ajoute une grande section à la brasserie laissée en plan. Le tout formera le premier palais de l’Intendant, adossé à ce qui est aujourd’hui la rue Saint-Vallier Est. L’édifice de bois est détruit par un incendie en 1713. Trois ans plus tard, un second palais de l’Intendant est construit tout en pierre un peu plus au nord, vers la rivière, mais toujours sur le même site. Sur les vestiges du premier palais, on érige les magasins du roi.

En 1725, le second palais est incendié et reconstruit. Il résiste aux échanges de tir entre Anglais et Français, en 1759, mais les environs sont dévastés par le feu lorsque le chevalier de Lévis contre-attaque, en 1760. Il sert ensuite de demeure aux soldats britanniques avant d’être incendié en 1775, alors que les troupes américaines de Benedict Arnold l’occupent.

On érige ensuite, sur le site, un logis pour les cochers et une écurie pour les chevaux du roi. En 1845, un incendie ravage le quartier Saint-Roch et rase tous les bâtiments de l’îlot. Curieux retour des choses, en 1852, Joseph Boswell achète ce qui reste des bâtiments pour ériger une brasserie. On y fabrique d’abord la bière Boswell, puis la Dow jusqu’en 1968.

Terrain vacant, le site sera acheté par la Ville de Québec qui y installera un centre d’initiation à l’histoire dans les voûtes de la brasserie, qui sont en fait les vestiges du second palais. Aujourd’hui, on peut y visiter le centre d’interprétation L’Îlot des Palais, consacré à l’histoire des lieux.

 D’ici à l’été 2008, le site devrait se refaire une beauté puisque la Ville veut le mettre davantage en valeur pour les célébrations du 400e anniversaire de Québec. Le tout reste cependant à préciser.

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CHANTIER-ÉCOLE : FOUILLER POUR APPRENDRE

    Dès 1982, l’îlot des Palais a servi de chantier-école pour les étudiants en archéologie de l’Université Laval. De 1991 à 1999, le chantier s’est déplacé à l’îlot Hunt puis au Domaine Maizeret, avant de revenir à l’îlot en 2000. Chaque printemps, des étudiants de premier cycle y font l’expérience des fouilles. Mais ce qui rend vraiment originale la formule de ce chantier-école est qu’elle permet, en plus, à des étudiants de deuxième cycle d’effectuer un stage de direction d’une fouille archéologique.

«Nous apprenons toutes les étapes d’un chantier de fouilles, de la demande de permis à la rédaction d’un rapport, en passant par la commande du matériel», résume Nathalie Gaudreau, étudiante à la maîtrise. Le tout se fait sous le regard de deux professeurs d’archéologie. «Mais c’est à eux de prendre les décisions: c’est leur chantier», précise Réginald Auger.

D’une durée de cinq semaines, ce stage confère au programme de maîtrise un caractère professionnel indéniable. Au Québec, il faut détenir un diplôme de deuxième cycle pour diriger des fouilles, et le stage lui ajoute de la valeur. «C’est bénéfique, parce que la plupart des employeurs privilégient les diplômés qui ont déjà une expérience», remarque Caroline Mercier. «Même pour poser sa candidature au doctorat, renchérit Étienne Taschereau, l’expérience de terrain est un atout.»

Mais ce travail au chantier-école est exigeant. Il faut, entre autres, apprendre à gérer une équipe de techniciens –pour la plupart des étudiants de premier cycle qui découvrent la réalité d’un chantier de fouilles, avec sa poussière, sa chaleur, ses odeurs… «Ce n’est pas toujours évident de les convaincre de fouiller dans des latrines encore nauséabondes», mentionne Nathalie Gaudreau, qui estime que le stage renforce beaucoup la confiance des apprentis-directeurs.

Ce stage comporte aussi un volet de vulgarisation auprès du grand public qui permet aux étudiants de partager leur passion pour l’archéologie. Et ils en ont à revendre! «Les gens connaissent peu l’archéologie québécoise et encore moins la nature de notre travail, remarque Étienne Taschereau avec un fond de militantisme partagé par ses deux collègues. Mais les échanges sont intéressants et le public acquiert une sensibilité accrue à l’importance du patrimoine archéologique qui les entoure.»

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