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Hiver 2018

Miroir, miroir, suis-je le plus musclé?

L'obsession de l'image corporelle parfaite se conjugue souvent au féminin. Et si cette pression touchait aussi les hommes?

Le cinéma, les médias, même les figurines jouets valorisent une morphologie masculine irréprochable et une musculature fortement développée. Devant ce puissant message envoyé aux hommes, force est d’admettre que la pression pour se conformer à un corps idéal n’est pas l’apanage des femmes. Professeure titulaire à l’École de psychologie, Catherine Bégin s’intéresse à ce phénomène et en explore les répercussions dans ses travaux de recherche.

Les hommes sont-ils touchés comme les femmes par la pression sociale liée à l’image corporelle?
Traditionnellement, le souci de l’image corporelle est associé à la femme. Par contre, depuis les dernières décennies, il inclut aussi les hommes. Nous avons vu s’instaurer tranquillement des images fortes de corps très esthétiques d’hommes au torse dénudé, épilé et très musclé, dans les publicités, les magazines. Le message a pris beaucoup d’ampleur au fil des années et génère une pression importante sur les hommes, les jeunes en particulier. Et ce phénomène n’est pas une question d’orientation sexuelle. Tous sont atteints par cette pression à différents degrés.

Les médias sociaux jouent-ils un rôle?
La grande influence qu’ont le Web et toutes les plate­formes de communication sur nos vies en général s’exerce aussi dans les troubles de l’image corporelle chez l’homme. Les messages véhiculés sont souvent porteurs d’une forte pression sociale, l’exposition des corps parfaits étant très valorisée. Ceux qui s’exhibent le plus sont aussi les plus avantagés physiquement. Les autres s’abstiennent ou se modèrent, ce qui biaise grandement la réalité. Qui plus est, les photos de corps parfaits ne montrent qu’un résultat et ne disent rien des dessous de cette apparente perfection.

Ce souci de l’image se vit-il de la même manière chez les hommes et les femmes?
Non, c’est vécu différemment. Alors que, pour les femmes, il est davantage question de minceur, chez les hommes, la pression de l’image concerne beaucoup la musculature. C’est évidemment la recherche de valorisation, d’estime de soi, la volonté d’être à la hauteur des normes sociales qui motivent les efforts des hommes en quête d’une image corporelle parfaite. Et c’est la musculature qui est le critère le plus important pour eux: elle témoigne de leur force et de leur volonté. Ils veulent un corps sans masse grasse et bien découpé en muscles. À cela s’ajoutent d’autres efforts esthétiques leur permettant de se distinguer, comme l’épilation, les tatouages et les perçages. Toute une industrie s’est développée sur la base de l’image corporelle masculine! L’offre de produits d’hygiène corporelle dédiés aux hommes a explosé au cours des dernières années.

À quoi attribuer la montée de cette norme sociale?
Les hommes n’ont jamais totalement échappé à la pression de l’image. Ils se sont toujours souciés de bien paraître, mais leurs critères et leurs priorités ont changé. Autrefois, la tenue vestimentaire témoignait d’un certain statut, d’une image du succès qu’il était très important de mettre en valeur. Les hommes en tiraient une grande fierté. Puis, au cours des dernières années, des changements sociaux ont entraîné, entre autres, une plus grande égalité des sexes. L’homme autoritaire, pourvoyeur et chef de famille s’est transformé en homme «moderne», plus souple, plus impliqué auprès des enfants et dans les tâches domestiques. Désormais, les activités attitrées autrefois aux femmes sont partagées: l’homme va à la garderie et borde les enfants, il fait du ménage et prépare les repas. Et comme la femme, il prend soin de sa personne, s’entraîne, se soucie de son alimentation et de son apparence. Or, c’est par la musculature que plusieurs hommes ont trouvé le moyen d’exprimer leur virilité. C’est probablement l’explication la plus significative de cette tendance, mais il y en a d’autres.

Comment se traduit cette pression dans le comportement des hommes?
Pour les hommes comme pour les femmes, la morphologie du corps ne permet pas toujours d’atteindre l’idéal désiré. Il y a des hommes qui arrivent à développer un taux élevé de musculature, sans toutefois en être totalement satisfaits. Mais il y a aussi tous ceux qui échouent malgré leurs efforts. Leur recherche du corps parfait entraîne parfois des excès, voire une obsession. Les hommes qui en viennent à cet extrême mettent des choses importantes de côté, comme leur vie amoureuse. Cette quête a des conséquences aux plans relationnel et social, au plan professionnel aussi dans certains cas, puisque leur routine rigoureuse d’entraînement et leur alimentation très stricte accaparent beaucoup de leur temps et de leur attention. Ils s’y consacrent avec une volonté inébranlable. Et les résultats ne sont jamais suffisants; ils en veulent toujours plus! Plus de muscles, moins de graisse, le miroir ne semble jamais pouvoir les satisfaire.

Tout cela a-t-il des conséquences sur leur santé?
Ces hommes en sont très affectés, ils se retrouvent dans une situation de grande anxiété, vivent une pression de la performance disproportionnée. Certains ressentent de la honte et leur estime d’eux-mêmes est à son plus bas. Des troubles dépressifs en découlent parfois. D’autres troubles comme la dysmorphie musculaire et la bigorexie peuvent aussi s’installer. À l’instar de l’anorexie, la dysmorphie musculaire entraîne une perception erronée de son aspect physique: l’homme se voit alors trop gras et peu musclé, alors que la réalité est tout autre. Quant à la bigorexie, elle consiste en une dépendance à la pratique des sports.

Ces effets néfastes sont-ils trop peu connus?
Malheureusement, oui. Chez les femmes, la maigreur extrême est un bon indicateur d’un trouble de l’image corporelle. Mais chez les hommes, les problèmes sont beaucoup moins détectés, puisque les efforts excessifs entraînent souvent, au premier abord, un résultat physique intéressant, bien qu’il cache un problème important. Les hommes qui souffrent de dysmorphie musculaire ou de bigorexie ne voient pas leur situation comme étant néfaste pour leur santé. Au contraire, ils tirent de l’obsession portée à leur corps un sentiment gonflé d’estime d’eux-mêmes, une grande fierté, puisqu’ils attirent les regards et les compliments. Cette forme de déni n’aide pas à déceler ce trouble. Le problème est renforcé par le fait que ces hommes sont généralement incapables d’en parler, de s’ouvrir sur leurs préoccupations et leurs craintes. Il devient alors très difficile d’intervenir auprès d’eux.

Quelles sont les pistes pour mieux y arriver?
L’importance de l’image corporelle chez l’homme est plus étudiée qu’auparavant, mais pas suffisamment. Les chercheurs font face à un problème de taille, celui de travailler avec une clientèle qui n’est pas facile d’accès et pas vraiment consciente du trouble de santé que présente son comportement. Or, il ressort de la littérature actuelle que, poussée à l’extrême, cette problématique s’apparente à l’anorexie mentale, pathologique. Par nos recherches, nous voulons mieux rejoindre ces hommes dont le corps et la tête sont épuisés par cette quête de l’idéal.

Faut-il prévoir plus de sensibilisation?
Des projets ont vu le jour à ce chapitre dans les écoles secondaires. Au collégial et à l’université, il est déjà tard pour intervenir, la pression sociale ayant fait son œuvre. Dans la population en général, il est important que tous comprennent que les problèmes liés à l’image corporelle ne concernent pas que les femmes en quête d’un corps parfait. Ces troubles affectent les deux sexes, et les plus jeunes sont évidemment les plus vulnérables en raison de leur niveau de maturité et de la forte exposition aux messages véhiculant un modèle unique de corps parfait. Ces messages sont très difficiles à comprendre pour eux, car ils mettent en cause des images de corps minces et musclés associés à la bonne santé, ce qui n’est pas tout à fait vrai. Il y a là une forme de cercle vicieux puisque certains, pensant bien faire, vont à l’encontre de l’objectif santé poursuivi en croyant pourtant être sur la bonne voie. Les chercheurs sont confrontés à la difficulté de développer un message clair et cohérent entre l’idée de soigner sa santé par l’exercice et la forme physique, en lien avec la lutte contre l’obésité, et la volonté de valoriser la diversité des corps.

Quelle approche privilégier pour relever ce défi?
Il faut miser sur l’importance d’éviter les extrêmes en tablant sur la modération, et rappeler aux gens d’être à l’écoute de leur corps, de bien interpréter les signes qu’ils en reçoivent. Actuellement, il est difficile pour tout le monde d’être en paix et en harmonie avec son image corporelle et sa relation avec la nourriture. Entre le «ni trop gros ni trop mince», les interprétations laissent peu de place à la nuance. Tout le monde cherche à se sentir mieux et valorisé, mais à quel prix? Dans plusieurs publicités sociales, on a vu des avancées intéressantes du côté de la diversité morphologique, mais ces avancées concernent surtout les femmes. Des deux côtés, les modèles sont beaucoup trop parfaits et inatteignables, ils exigent trop de sacrifices. Peu y arrivent. Quelqu’un peut avoir un léger surplus de poids bien qu’il s’entraîne et fasse attention à son alimentation. La nature est ainsi faite ! Bref, il nous faut travailler à valoriser autre chose que l’esthétisme dans nos messages de santé.

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