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Hiver 2019

Qui a peur des mathématiques?

Équations et calculs vous donnent froid dans le dos? Pourtant, la science des nombres serait plus accessible à tous qu’il n’y paraît.

Sarah, quatrième secondaire, fixe sa feuille d’examen. Ses mains sont moites, son cœur bat la chamade, sa vue s’embrouille… Elle a l’impression qu’elle va perdre connaissance. Elle avait pourtant bien étudié en refaisant tous les problèmes vus en classe. Mais, ce matin, rien ne va plus. On dirait que son cerveau a tout oublié.

Sans le savoir, Sarah souffre d’anxiété mathématique. Ce trouble bien réel toucherait un tiers des jeunes de 15 ans lorsqu’ils tentent de résoudre un problème, révèlent les données récoltées par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), réalisé dans 65 pays. Il se manifeste surtout au début du secondaire, avec les premiers cours d’algèbre, mais peut se développer tôt au primaire, dès l’âge de 6 ans. «L’anxiété mathématique apparaît lorsque l’élève est déstabilisé par un nouveau concept sans lien apparent avec les apprentissages antérieurs, indique Bernard R. Hodgson, professeur au Département de mathématiques et de statistique. Par exemple, quand on introduit les fractions ou encore les “lettres” comme a, b, x et y en algèbre.»

La professeure au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage Lucie DeBlois est du même avis. «Apprendre les mathématiques, c’est remettre en question nos connaissances. Par exemple, quand on apprend la multiplication des nombres entiers, on voit que le produit est plus grand que les deux termes qu’on multiplie. C’est l’inverse avec les fractions.» En effet, pourquoi 2 X 2 = 4 (4 est plus grand que 2), alors que ½ X ½ = ¼ (¼ est plus petit que ½)? Cet illogisme apparent peut contribuer à développer de l’anxiété chez certaines personnes.

L’anxiété mathématique vient en quelque sorte mettre hors d’usage la partie du cerveau nécessaire pour réaliser une opération mathématique. La science tente encore de comprendre ce qui se passe, mais il semblerait que le stress, en monopolisant une partie de l’attention et de l’énergie du cerveau, diminue l’efficacité de certaines facultés comme la mémoire, la pensée critique et la capacité de résolution de problèmes. Ce qui, évidemment, n’est pas sans conséquence. Des notes plus faibles, voire des échecs, qui amènent l’élève à douter de ses compétences et à vivre encore plus d’anxiété. Autre constat: plus les élèves réussissent en maths, plus leur performance est diminuée par un épisode d’anxiété. Certains, comme Sarah, deviennent convaincus qu’ils ne pourront jamais posséder cette matière, fermant, par le fait même, les portes à plusieurs carrières.

Combattre les préjugés
«Tous les gens normalement constitués sont capables de faire des mathématiques, soutient cependant Jean-Marie De Koninck, professeur émérite du Département de mathématiques et de statistique. Tous les enfants ont une affinité naturelle pour les nombres et les formes. Ils apprennent même à compter avant d’écrire. Malheureusement, certains perdent cette capacité à cause de préjugés et d’influences négatives extérieures.»

Les mathématiques sont en effet associées à plusieurs stéréotypes: les maths sont complexes et difficiles à maîtriser, les garçons sont meilleurs que les filles. «C’est faux, s’insurge Bernard R. Hodgson. Partout dans le monde, il y a autant, sinon plus, de femmes que d’hommes qui font leur baccalauréat en maths et qui réussissent bien!» Et les chercheurs sont formels, la bosse des maths n’existe pas! «La réussite en mathématiques ne dépend pas tant de l’intelligence que de la discipline et du travail. Tous les grands mathématiciens expliquent leur succès par leur travail acharné», ajoute Frédéric Gourdeau, professeur au Département de mathématiques et de statistique.

Malheureusement, enseignants et parents transmettent ces préjugés, de façon souvent inconsciente, à leurs élèves et à leurs enfants. Ces adultes sont souvent eux-mêmes angoissés face aux mathématiques. Il y a également au Québec une valorisation sociale à dire qu’on déteste les maths et qu’on n’y comprend rien. On accole d’ailleurs souvent l’étiquette de «nerd» à ceux qui disent aimer les maths et être bons dans cette matière.

Revoir l’enseignement
Bernard R. Hodgson croit également que le système scolaire tel qu’il est conçu peut favoriser l’anxiété chez certains élèves. «Les mathématiques sont une matière obligatoire au primaire, au secondaire et dans plusieurs programmes du cégep et de l’université. De plus, cette matière est souvent utilisée comme outil de sélection pour les études avancées, devenant ainsi une source de stress.»

Par ailleurs, l’enseignement actuel des mathématiques se fait selon une structure cumulative ou une hiérarchisation du savoir: chaque année, les enseignants introduisent de nouvelles notions en tenant pour acquis que les élèves maîtrisent les savoirs appris antérieurement. Mais ce n’est pas le cas pour tous les jeunes. «Si les fondations d’une maison sont fragiles, on ne peut pas construire des étages, explique Frédéric Gourdeau. Pourtant, en mathématiques, on ajoute notion par-dessus notion sur des savoirs fragiles, parce qu’on a une matière à passer.» Pas étonnant que tout s’écroule chez certains!

La situation est particulièrement problématique au secondaire, où les enseignants doivent couvrir beaucoup de matière en peu de temps avec de grands groupes. «Les élèves n’ont pas le loisir d’avancer à leur propre rythme, se désole Jean-Marie De Koninck. Pourtant, certains ont juste besoin de plus de temps.»

Pressés par le programme, les professeurs n’ont pas souvent l’occasion de montrer l’utilité des mathématiques, pourtant un élément essentiel pour apprivoiser la matière. «Les mathématiques sont partout, en arrière du codage, des GPS, de l’intelligence artificielle», mentionne Jean-Marie De Koninck. Les jeunes veulent savoir à quoi serviront leurs cours de mathématiques, mais on ne le leur dit pas.

Pour Lucie DeBlois, c’est un faux pas également que d’enseigner aux élèves à retenir une manière de calculer les équations mathématiques au lieu de leur apprendre à comprendre comment les résoudre. «Analyser les erreurs des élèves permet aussi de cerner s’ils ont compris. Par exemple, le signe = est-il considéré comme la recherche d’un résultat ou comme une égalité?», dit-elle. C’est l’avis aussi de Bernard R. Hodgson. «Pour faire vivre aux jeunes une expérience plus positive et moins stressante, il faut les amener à donner du sens aux opérations mathématiques. C’est d’ailleurs ce qu’on transmet aux futurs enseignants du primaire et du secondaire. Miser sur la compréhension et non sur le “par cœur”.»

Lucie DeBlois conseille par ailleurs aux enseignants de vérifier comment sont assimilés les apprentissages. Dans sa dernière étude, qui a suivi un groupe de 46 élèves du primaire manifestant de l’anxiété, la chercheuse a constaté que ces enfants construisent leurs propres règles mathématiques à l’insu de leur enseignant. Par exemple, ils croient que lorsque le premier nombre donné dans l’énoncé d’un problème mathématique est plus grand que le deuxième, ils doivent obligatoirement faire une soustraction. Ils ne s’attardent pas au contexte du problème. Lorsque ces jeunes constatent que leurs règles ne les mènent pas à la bonne réponse, l’angoisse se déclenche.

Humaniser les mathématiques
Mais il faut aller encore plus loin, croient Jean-Marie De Koninck et Frédéric Gourdeau. Il faut rendre les mathématiques plus humaines, plus sympathiques. Particulièrement auprès des jeunes qui manquent de confiance en eux, car ils sont prédisposés à développer de l’anxiété mathématique.

Le professeur De Koninck suggère de parler du parcours des grands mathématiciens et de leurs échecs. «Eh oui, il y a des échecs en arrière des découvertes mathématiques! Et il ne faut pas hésiter à les exposer.» Les enseignants et les parents, ajoute-t-il, peuvent aussi développer la confiance des élèves en leur faisant découvrir la beauté des mathématiques. «Je suis tombé en amour avec les mathématiques grâce à ma professeure de 5e année du primaire. Elle avait tellement l’air d’avoir du fun avec les chiffres, c’en était contagieux!»

Par exemple, les mathématiques permettent de faire des tours de magie! L’Association québécoise des jeux mathématiques (AQJM), présidée par Frédéric Gourdeau, propose d’ailleurs aux écoles des spectacles et des ateliers de «mathémagie». Le projet SMAC – pour Sciences et mathématiques en action – créé et piloté par Jean-Marie De Koninck offre un autre type de spectacle pour démystifier les maths en s’amusant: le Show Math. Les professeurs De Koninck et Gourdeau l’ont animé à plusieurs reprises devant des jeunes du secondaire et le grand public. Les mathématiciens, assistés de comédiens, y font découvrir plusieurs facettes intrigantes des mathématiques. Comment savoir si quelqu’un a triché en tirant à pile ou face? Par les mathématiques évidemment!

L’équipe de SMAC a aussi conçu Math en jeu, un jeu de société multimédia et interactif pour s’amuser avec les mathématiques. Il suffit de s’inscrire en ligne pour mesurer ses connaissances et ses capacités mathématiques à celles d’internautes de tous âges. Enfin, chaque année, les écoles de partout au Québec peuvent participer à La semaine des maths ou encore envoyer des élèves se mesurer au championnat des mathématiques, le tout organisé par l’AQJM.

«Toutes ces ressources ont le même but, soit rendre les maths amusantes et surtout faire tomber les préjugés», signale Frédéric Gourdeau. Le rêve secret des auteurs de ces initiatives? Que personne ne fasse plus jamais de cauchemar à cause des maths!

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Lisez le témoignage d’un couple de donateurs qui appuient l’enseignement des mathématiques.

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  1. Publié le 30 avril 2019 | Par Daniel Hurtubise

    Bonjour.
    Il ne me semble pas qu’il ait été mentionné la dyscalculie dans l’apport de stress vis-à-vis l’apprentissage des mathématiques. Est-ce que les professeurs mentionnés ont des suggestions ou commentaires à ce sujet?
    Merci.
  2. Publié le 29 avril 2019 | Par Réal Denis

    Très intéressant de voir ces professeurs prendre de leur temps pour les gens.
  3. Publié le 22 février 2019 | Par Sylvie Provencher

    Intéressant cet texte. Toutefois, il serait intéressant de parler davantage des habiletés logico-mathématiques développées dès la petite enfance. Le plaisir de découvrir les chiffres en comptant les marches de l’escalier ou les pois dans l’assiette, celui de mesurer et additionner en faisant une recette ou de diviser en partageant une clémentine se développent dans la famille et au CPE en compagnie d’adultes chaleureux et peut-être aussi en bonne relation avec les mathématiques. Les bases de la pensée mathématique peuvent se développer très tôt par l’entremise du jeu et des situations quotidiennes de la vie. Il me semble que ce serait un bon départ!

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