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Printemps 2010

Samir Ghrib: le ballon de pied en cap

Sur le campus et dans la région de Québec, l'essor fulgurant du soccer doit beaucoup à l'entraîneur-chef du Rouge et Or.

La modestie de Samir Ghrib (Politique 1989) vient d’en prendre pour son rhume! En novembre, l’homme a reçu le titre d’Entraîneur universitaire de l’année au Canada, peu après avoir été couronné quatre autres fois Entraîneur de l’année à l’échelle québécoise ou régionale. Sans compter le titre de Personnalité de l’année en sport et loisir que lui ont décerné Radio-Canada et Le Soleil. «Ça fait quand même beaucoup d’honneurs», reconnaît-il avec un sourire timide.

Peut-être beaucoup d’honneurs, mais pour des exploits qui sont à la hauteur des titres reçus. Dix ans après avoir redonné une équipe de soccer à l’Université Laval, l’entraîneur vient de la mener jusqu’à la grande victoire qui l’a sacrée championne universitaire canadienne. «Notre coupe Vanier à nous», vulgarise-t-il pour les amateurs de football. Samir Ghrib dirige aussi une équipe de la Ligue élite de soccer qui, de son côté, a remporté son championnat provincial. Cette équipe de niveau amateur, le Royal Sélect, compte plusieurs joueurs du Rouge et Or. Comme si ces deux victoires ne suffisaient pas, le Rouge et Or vient, en mars, de remporter le championnat provincial de soccer intérieur.

Qui aurait pu rêver d’un aussi bel avenir en 2002, alors que le Rouge et Or n’avait gagné aucune partie de toute la saison? Peut-être Samir Ghrib lui-même… «Pour moi, un échec veut simplement dire qu’il faut redoubler d’effort», assure-t-il. Et c’est exactement ce goût de l’effort qu’il inculque à ses joueurs. «Samir est un coach qui voit le potentiel de chacun et mise là-dessus: il nous pousse à devenir meilleurs», raconte Alexandre Lévesque-Tremblay, étudiant en droit et capitaine de l’équipe Rouge et Or.

De Tunis à Québec
Confiant que l’effort mène à la réussite, Samir Ghrib l’a toujours été. Sans cette conviction, comment aurait-il pu garder le soccer au centre de sa vie? Dès l’enfance, il porte le ballon rond dans son cœur… ce qui n’est pas rare pour un Tunisien. La difficulté surgit lorsque l’obsession du ballon reste intacte à l’approche de l’âge adulte, à plus forte raison quand l’éducation occupe une place de choix dans votre famille: un grand-père écrivain et ministre de la Culture, une grand-mère syndicaliste, une tante journaliste, des parents qui ont fait des études à l’étranger… Un compromis pointe alors son nez: le Canada. Comme on n’y joue au soccer que l’été, le jeune Samir pourra conjuguer sport estival et études hivernales. La logique semble implacable.

Et ça fonctionne! Entre janvier 1986, moment de son arrivée à Québec à l’âge de 20 ans, et 1989, année d’obtention de son diplôme en science politique, le jeune homme accumule les réussites comme joueur des Caravelles de Sainte-Foy (ligue semi-professionnelle), comme étudiant et comme assistant de cours. Au passage, il tombe irrémédiablement amoureux de la Capitale. Les années qui suivent sont celles de tous les possibles. Il entreprend une maîtrise en relations internationales avec un œil sur la carrière de diplomate, continue de jouer au soccer, acquiert le statut d’immigrant, fait ses premières armes d’entraîneur au Collège François-Xavier-Garneau de Québec et tâte sérieusement du journalisme.

Puis, en 1996, sonne l’heure des choix. Après un an à la station radio de Radio-Canada à Québec, il se voit offrir un poste de journaliste à Ottawa. Quitter sa ville et renoncer à sa nouvelle vocation d’entraîneur? Non. Le sport l’emporte sur tout le reste. «Ce que j’ai choisi de faire alors et ce que je veux encore : développer le soccer masculin dans ma région», affirme-t-il.

Le bâtisseur à l’œuvre
La même année, il fonde son école d’été de soccer pour les 6 à 15 ans et, en septembre, devient entraîneur adjoint au programme sport-études soccer de l’école secondaire Cardinal-Roy, et le restera jusqu’en 2006.Mais régulièrement, vient le hanter son grand regret d’étudiant: ne pas avoir joué pour «son» université, qui avait gommé le soccer de ses disciplines sportives en 1981. «Déjà pendant mes études, se souvient-il, j’allais souvent discuter de la mise sur pied d’une équipe avec les responsables du Peps.»

Samir Ghrib ne lâche pas prise et, en 2000, le Club de soccer Rouge et Or voit le jour. L’entraîneur-chef? Lui, évidemment! Toutefois, malgré les efforts, l’équipe d’étudiants-athlètes ne performe pas. À sa troisième saison, en 2002, elle touche même le fond du baril: 43e au classement sur 43 équipes universitaires de soccer au Canada.

Le découragement n’est pourtant pas au rendez-vous. L’entraîneur-chef propose plutôt une nouvelle  formule dans un document titré «Horizon excellence: à la conquête du championnat canadien». Rien de moins! «Samir est un éternel optimiste, rapporte Emmanuelle Arbour (Physiothérapie 2000), membre du personnel soignant du Rouge et Or soccer. Même quand l’équipe est arrivée dernière, il en a vu le développement possible.»

Une pépinière pour le Rouge et Or
La formule proposée fait vite ses preuves. Depuis 2004, l’équipe réussit année après année à se rendre aux championnats canadiens. L’ingrédient principal de cette formule: un partenariat avec l’Association de soccer de l’arrondissement Beauport de Québec, qui devient en quelque sorte la pépinière du Rouge et Or.

Plus de 500 jeunes de cinq ans et plus font aujour­d’hui partie des clubs de cette Association, dont l’équipe masculine senior AAA, le Royal Sélect, est dirigée par Samir Ghrib. Cette équipe compte d’ailleurs une forte proportion de joueurs du Rouge et Or qui, après un été dans cette Ligue élite, amorcent la saison universitaire au sommet de leur forme. Beaucoup agissent aussi comme entraîneurs des jeunes de Beauport, qui voient des modèles en ces étudiants-athlètes. Le haut calibre de jeu du Royal Sélect incite en outre des adversaires à considérer l’Université Laval lorsqu’ils envisagent de poursuivre leurs études.

Avec un tel noyau de joueurs stables et engagés dans la communauté, les nouveaux s’intègrent plus facilement au Rouge et Or en septembre, qu’ils débarquent tout juste d’un autre continent ou d’une autre région du Québec. «Actuellement, précise M. Ghrib, le Rouge et Or compte 80% de gars natifs du Québec, qui ont commencé à jouer avec un ballon à 4 ou 5 ans.»

Joyeux mélange
Les étudiants étrangers n’y sont pas malvenus, au contraire! «Je le sais pour l’avoir vécu jadis: le soccer est un formidable instrument d’intégration, les joueurs forment une grande famille et je vous jure que, certaines années, nous avons été les champions des accomodements raisonnables», rapporte l’entraîneur.

Par exemple en 2007, alors que quelques très bons joueurs musulmans commençaient chaque pratique sans avoir mangé de la journée, Ramadan oblige. «Quand le soleil se couchait, raconte-t-il, je leur permettais de s’arrêter le temps de prendre un verre de lait et trois dattes. Je dirais que leur détermination à jouer même à jeun a stimulé mes joueurs québécois. C’est d’ailleurs cette année-là que l’équipe s’est rendue en finale canadienne pour la première fois!»

Pas étonnant que le Rouge et Or de Samir Ghrib soit un lieu de tolérance. «Pour lui, un joueur n’est pas seulement un porteur de numéro», témoigne Emmanuelle Arbour. La physiothérapeute raconte que l’entraîneur l’appelle parfois à la maison pour avoir son avis sur un joueur : comment va-t-il? croit-elle que sa blessure influence son moral? est-il bien épaulé par les autres membres de l’équipe? «Il s’intéresse au développement de chaque personne et il tient compte du fait que ses joueurs sont des étudiants-athlètes, pas des professionnels.»

D’ailleurs, lorsqu’il a revu la formule du Rouge et Or en 2003, l’entraîneur a introduit une règle inédite dans le petit monde du soccer universitaire: limiter le nombre de pratiques à deux par semaine. «Tous mes joueurs ont le temps d’avoir aussi une vie sentimentale, une vie sociale et une vie d’étudiant», se félicite-t-il.

Le soccer du futur
Grâce à des personnes comme Samir Ghrib, le soccer connaît un immense succès de participation au Canada et particulièrement au Québec. Entre 1990 et 2007, le nombre de jeunes Québécois pratiquant ce sport a triplé: il est passé de quelque 59 000 à près de 187 000! Dans la seule région de Québec, ils étaient plus de 26 000 l’été dernier.

Chose surprenante, ce sport n’attire toujours pas beaucoup de spectateurs. «En novembre, nous avons joué notre finale provinciale devant 200 blondes, amis et parents de joueurs dispersés dans l’immense stade de football», admet M. Ghrib. «Pour apprécier le jeu, il faut le voir de proche», renchérit Alexandre Lévesque-Tremblay.

Selon André Richelieu, spécialiste du marketing du sport à la Faculté d’administration, il manque autre chose que des stades bien adaptés au soccer pour attirer le grand public: des modèles au niveau national. «En sport, rappelle-t-il, la victoire n’est pas suffisante, elle est nécessaire. Quand le Canada participera avec un peu de brio à la Coupe du monde et aura son Ronaldo comme figure emblématique, le soccer deviendra attrayant pour le public et pour les commanditaires.»

En attendant, victoires et modèles sont bel et bien au rendez-vous sur le campus. Maintenant qu’il a prouvé hors de tout doute que l’Université Laval pouvait avoir un excellent club de soccer et qu’il a travaillé à l’amélioration de toutes les composantes régionales du soccer amateur, l’éternel optimiste caresse un autre rêve: attirer dans la Capitale une équipe masculine semi-professionnelle.

Il se donne aussi un défi à une autre échelle. L’Entraîneur canadien de l’année veut se mettre sérieusement… à l’entraînement de ses deux enfants de 4 et 7 ans.

La reconnaissance de ses succès ne fouette-t-elle donc pas ses ambitions professionnelles? Samir Ghrib ne lorgne-t-il pas un poste d’entraîneur de l’Impact de Montréal? du Real de Madrid? Son rire fuse. «Non, je ne quitterai jamais Québec!»
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