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Photo de Colette Brin

Bien parler du suicide

Quand un drame personnel comme celui de la jeune Marjorie Raymond se transforme en enjeu de société, le travail des médias d’information permet d’encaisser le choc, d’apporter des explications et des éclairages. Il peut même éventuellement inspirer des solutions durables. Mais la couverture en temps réel d’un événement aussi chargé d’émotion est un exercice assez périlleux. 

La mort tragique de cette jeune fille le 28 novembre dernier a soulevé bien des questions sur la détresse et le problème de l’intimidation chez les adolescents et les jeunes adultes. En toile de fond, l’effet amplificateur des médias sociaux, qui ont servi à propager non seulement la triste nouvelle mais aussi des commentaires parfois cruels à l’égard d’une camarade de classe pointée du doigt comme l’«intimidatrice».

Trop de détails?
Certains médias ont diffusé de nombreux détails intimes fournis par les proches de la victime: lettre d’adieu, textos échangés entre la jeune fille et une amie le soir de sa mort, photos… Avions-nous vraiment besoin d’en savoir autant? C’est ce que se demande la journaliste Nathalie Collard. En effet, le ton et la place qu’on donne à ces informations peuvent non seulement heurter notre sensibilité, mais aussi laisser l’impression que les médias exploitent le drame à des fins commerciales.

La frontière entre traitement responsable et sensationnalisme n’est pas facile à tracer, explique Guy Amyot, secrétaire général du Conseil de presse du Québec. Tout en reconnaissant le principe fondamental de la liberté de presse et l’intérêt public de cet événement, l’éthique exige de prendre en considération le risque pour la sécurité physique et psychologique des individus.

Pour éviter l’effet d’entraînement
L’effet d’entraînement, lors de la médiatisation d’un suicide, est solidement documenté par la recherche. Dans la nuit suivant le drame à Sainte-Anne-des-Monts, 23 tentatives de suicide ont été rapportées au Québec comparativement à une moyenne de 3 par jour, signale Sylvie Nadeau, directrice générale du Centre de prévention du suicide de Québec et présidente de l’Association québécoise de prévention du suicide. Elle constate également que le service d’intervention téléphonique a reçu deux fois plus d’appels, dans les 48 heures après l’événement, qu’à la même période l’an dernier.

Il existe plusieurs guides pour la couverture médiatique du suicide, préparés par des spécialistes en santé mentale et en prévention (p. ex.: Association des psychiatres du Canada, ReportingOnSuicide.org, Fédération internationale des journalistes). On recommande généralement d’éviter:

  • Les détails sur la technique utilisée et, de manière générale, l’abondance de détails dans le récit.
  • L’usage du mot «suicide» dans le titre, les manchettes en une.
  • Tout ce qui pourrait contribuer à glorifier l’acte: l’hommage à la victime, les photos, le style captivant ou exaltant, la couverture insistante des funérailles.
  • La simplification des causes du suicide.

Une simple recherche sur Google permet de constater que ces recommandations n’ont guère été suivies dans le cas de Marjorie Raymond. Guy Amyot considère cependant, sans avoir fait une analyse systématique du dossier -le Conseil n’avait reçu aucune plainte à ce sujet au moment où je lui ai parlé-, que c’est surtout la simplification des causes qui pose problème. On a rapidement identifié l’intimidation comme la raison du suicide, sans vraiment explorer d’autres pistes. Il estime également qu’on aurait pu respecter davantage l’intimité de la victime et de ses proches. D’ailleurs, même si ceux-ci se confient de leur propre gré, les journalistes ont la responsabilité de s’assurer de leur consentement libre et éclairé, d’autant que ces personnes n’ont pas l’habitude d’accorder des interviews et qu’elles vivent une expérience éprouvante.

Les guides de couverture suggèrent également aux médias de mettre de l’avant des informations à caractère préventif: solutions de rechange, ressources disponibles, identification des signes avant-coureurs. Guy Amyot constate que certains médias ont fourni de telles informations dans les jours qui ont suivi le drame.

Cet événement hautement médiatisé a sans doute déjà servi à éveiller nos consciences. À plus long terme, on peut espérer qu’il conduira à renforcer et à développer des moyens d’intervention et de prévention, autant en matière d’intimidation que de détresse psychologique. Les médias ne sont pas responsables de trouver ni d’appliquer ces solutions, mais leur façon de rapporter les faits et de les analyser influence certainement le climat social et la qualité de la discussion.

Ce billet fait partie de la sélection 2013 des Meilleurs blogues de science en français parue aux Éditions MultiMondes.

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  1. Publié le 15 décembre 2011 | Par Colette Brin

    Bonjour M. Blanchette,

    Merci pour ces bons mots et bravo pour votre engagement auprès de cet organisme.

    À la suite de ce billet, j'ai reçu plusieurs commentaires de journalistes qui sont très soucieux de couvrir ces sujets de manière responsable. C'est plutôt encourageant.

    Vous avez peut-être entendu parler de cette http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/201112/15/01-4478163-facebook-lance-une-application-pour-prevenir-les-suicides.php" title="Facebook prévention suicide" >initiative récente de Facebook en collaboration avec une association américaine de prévention du suicide.



    Il faut certainement mieux accompagner les jeunes dans leur usage des médias sociaux, mais il y a peut-être lieu aussi de s'y investir à des fins préventives.

    Colette Brin
  2. Publié le 15 décembre 2011 | Par Michel Blanchette

    Je tiens à vous remercier pour la justesse et la pertinence de vos propos!
    Je suis bénévole du CA du Centre de Prévention du Suicide de Québec et je trouve tout à fait juste que l'on doive frapper constamment sur le clou de la prévention et les ressources d'aide plutôt que chercher à faire du sensationnalisme à chaque fois qu'un suicide peut paraître plus «intéressant» à médiatiser... Dans ce cas de Marjorie, la plus grande préoccupation que le cas fait ressortir chez ceux et celles qui ont à cœur la prévention réside dans cette nouvelle utilisation massive des réseaux sociaux par les jeunes et la croissance exponentielle des problématiques qu'une mauvaise utilisation générera éventuellement.
    Nous sommes présentement en campagne de financement dans le but d'accentuer nos programmes de sensibilisation et de prévention «grand public» . Osons espérer que travailler en amont génèrera naturellement davantage de vie...!
    Joyeuses fêtes à vous!
    Michel Blanchette
  3. Publié le 14 décembre 2011 | Par Marie-Claude Lavoie

    Madame Brin,

    Votre regard sur le traitement journalistique d'un événement aussi délicat que celui du suicide est très professionnel. Il considère les enjeux de fond à prendre en compte avant les informations de superficie. Car lorsqu'un tel drame social survient, il importe de mettre l'accent sur l'explication et la prévention du phénomène avant d'en rapporter les moindres détails n'étant pas tous essentiels à sa compréhension.
  4. Publié le 10 décembre 2011 | Par Colette Brin

    Bonjour M. Lévesque,

    Merci pour votre commentaire. J'ai eu au départ la même réaction que vous en voyant cette photo à la une du Soleil. C'est justement ce qui m'a incitée à écrire ce texte.
    Il faut toutefois souligner qu'une ado de 14 ans peut légalement consentir à une interview sans l'accord de ses parents. Cette jeune fille était accompagnée de sa mère et bénéficiait d'un suivi psychologique. Sans avoir tous les détails, rien ne porte à croire que le consentement n'était pas éclairé. D'après M. Amyot, il n'est pas évident que le seul choix de mettre la photo en une aurait mérité un blâme du Conseil de presse.
    Bref, ce n'est pas parce qu'un choix éditorial nous choque ou nous semble de mauvais goût qu'il constitue nécessairement une faute professionnelle.
  5. Publié le 10 décembre 2011 | Par Rodrigue Lévesque

    Je suis entièrement en accord avec les propos de votre article. J'ai été scandalisé en voyant dans le journal La Presse la photo de la jeune fille qui se sentait coupable de la mort de la jeune fille. Si celle-çi a fait des confidences aux journalistes, je ne vois pas la nécessité d'augmenter sa culpabilité en l'identifiant sur la place publique. C'est d'une indécense innommable.
  6. Publié le 9 décembre 2011 | Par Jean-Guy Petitpas

    Merci Mme Brin ça fait du bien de sentir que des personnes pensent encore avec sagesse (recul et maturité) sur des reportages médiatiques trop préoccupés par la rentabilité économique à émouvoir.

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