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Photo de Agnès Blais

Dénonciations de la violence et de l’étouffement de l’expression citoyenne

Russie unie veut faire adopter une loi qui augmentera l’amende pour les «actions de rue illégales». La Douma d’État (la Chambre basse du Parlement russe) a adopté ce projet de loi en première lecture le 22 mai 2012. L’amende passerait de 2000 roubles (65$) à 1 million de roubles (32 400$), à 1,5 million de roubles pour les organisateurs. De plus, la loi interdirait aux participants de cacher leur visage. Cette loi veut étouffer l’activisme d’opposition politique. Il a été très vivant au mois de mai à Moscou, mais réprimé. Voici ce que j’ai vu.

La marche des millions
La marche des oppositions du 6 mai dernier, appelée la marche des millions, à la veille de l’«inauguration» de Poutine, comme on dit en russe, avait bien commencé sur la place Kaloujskaya, et tout au long de la rue Yakimanka. Elle s’est terminée dans la violence et la répression. Récit d’un témoin qui s’est mêlé à la ferveur des manifestants, aux slogans réclamant le départ de Poutine, dénonçant son illégitimité et la corruption, revendiquant des mesures sociales: «Je suis passée de l’enthousiasme au lessivage, à la tristesse».

Diverses interprétations des violences sur la place Bolotnaya à Moscou le 6 mai ont été diffusées dans les médias russes. Sachant que les 1re et 2e chaînes de télévision, les plus regardées à travers le pays, sont fortement contrôlées par le gouvernement, je demandais aux gens: «La manif sera-t-elle montrée à la télé?» «Non, me répondaient-ils, ou alors un tout petit peu, à la fin des nouvelles. C’est important d’en parler à l’étranger. Nous ne recevons que très peu les chaînes européennes.»

Drapeaux et slogans: quelles oppositions?
On entendait scander à répétition: «Le pouvoir des millions, non pas des millionnaires!», «Tricheurs et voleurs, 5 minutes pour dégager!», «À bas le tsar!», «À bas l’autocratie!», «Poutine voleur! Poutine voleur! Poutine voleur!», «Ici, nous sommes le pouvoir!», «C’est NOTRE ville!». Une fanfare entonnait «La guerre sacrée»1.

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Beaucoup de gens étaient venus des régions, comme en témoigne l’immense bannière «Pétersbourg contre Poutine» et en réponse: «Moscou contre Poutine», «Tous contre Poutine», «Un pour tous et tous pour un!». D’autres ont été empêchés de venir, ce que dénonce ce manifestant: «Ils ont supprimé l’express Moscou-Ryazan pour que nous ne puissions pas nous rendre ici».

Le cortège des manifestants se rendait à la place Bolotnaya. La mairie de Moscou y avait autorisé une manifestation de 5000 personnes. Près de 100 000 personnes se sont rassemblées. Beaucoup de drapeaux rouges flottaient (le Parti communiste de Russie, la Russie du travail, le Parti socialiste, le Front de gauche, le Parti social-démocrate de Russie), mais aussi les drapeaux orange du Parti Solidarnost dont la bannière mentionnait: «La solidarité exige le changement. Les changements exigent la solidarité». L’Internationale résonnait avec âme.

Beaucoup de jeunes étaient présents, comme ceux du Groupe d’initiative de l’Université de Moscou Lomonossov (MGY) qui avançaient en tenant des pancartes: «Contre la commercialisation de l’éducation», «Pour la construction de nouvelles résidences. Pour un budget transparent des écoles supérieures» ou ceux du Mouvement socialiste de Russie qui avaient écrit: «La Russie sans Poutine, la Russie pour les travailleurs». À Moscou, les frais de scolarité pour une université publique sont de 4000$ par semestre minimum, le salaire moyen est de 15 000 R par mois (485$) et la pension d’un retraité de 2500 R (80$) par mois, d’où l’extrême pauvreté de ces derniers et la nécessité de compter sur leurs enfants.

Les nationalistes aussi sont venus, mais peu nombreux, moins qu’au défilé du 1ermai. Leur drapeau tsariste noir, blanc et jaune était jumelé à d’immenses drapeaux d’icônes. Un autre mouvement nationaliste, celui de l’Union des citoyens russes, brandissait un faucon blanc stylisé sur fond rouge. Sa devise: nation, liberté, justice. Il marchait avec un troisième mouvement nationaliste nommé Obche Delo (affaire commune).

Il y avait aussi les drapeaux arc-en-ciel des associations de gais, lesbiennes et transgenres. «L’homophobie n’est pas une loi», «Nous n’avons pas choisi la discrimination», affichaient-ils. À Saint-Pétersbourg maintenant, la «propagande homosexuelle» est interdite. Les premières condamnations ont eu lieu et les coupables doivent verser une amende.

Les drapeaux noirs des anarchistes flottaient, impressionnants. «Pourquoi portez-vous un foulard sur le visage?» «Nous avons peur, c’est dangereux». «Ils peuvent nous prendre en photo et la transmettre aux collègues du Centre anti-extrémisme. Ils ont une énorme base de données».

«Nous avons un plan clair et précis: autogouvernement, auto-organisation, solidarité»

 

Bref, les partisans de toutes allégeances, ou simplement des citoyens, dont plusieurs m’ont dit simplement vouloir que la Constitution soit respectée, étaient réunis pour s’opposer au gouvernement.

La place Bolotnaya, qui borde la rivière Moskva, était bloquée par des policiers et des OMON2 à perte de vue, innombrables. Le «Grand pont de pierre» qui mène au Kremlin en était rempli. Les manifestants, dont je faisais partie, ont forcé le passage, puis nous nous sommes retrouvés entre deux rangées de policiers. La situation a dégénéré. Ceux-ci partaient en petits bataillons pour arrêter un manifestant. «La première rangée, ce sont des soldats qui servent dans l’armée. Ils ne sont pas dangereux. Ce sont les OMON en arrière qui sont les plus dangereux», m’a dit un jeune anarchiste. Bilan: 450 arrestations selon la police, 650 selon les manifestants. La suite du trajet: avtozak (le camion de police), OVD (le bureau des affaires intérieures ou poste de police), cour, amende.

Le 7 mai, une marche populaire a eu lieu. Deux cents personnes ont été arrêtées, certaines simplement parce qu’elles portaient le ruban blanc. Depuis, ces marches populaires ont lieu de temps à autre, pacifiquement, un peu sous la forme des «flash mob». Les écrivains sont ainsi descendus dans la rue pour protester pacifiquement le 13 mai lors de la Promenade des écrivains. Et les manifestants ont construit un camp, un peu sur le modèle d’«Occupy».

Occupy Aiby
Du 7 au 12 mai, les opposants ont formé un camp appelé «Occupy AïBy», du nom du poète kazakh dont le monument trône dans le parc Tchistie Prudy. Le campement s’est organisé dans le plus grand calme: nourriture, livres, pamphlets, conférences et information pour défendre ses droits y étaient donnés. À l’horaire:

– Sociologie du mouvement de protestation: droit de cité.
– Écologie et capitalisme.
– La lutte du travail dans les entreprises: le type soviétique.
– Place Tahrir. Comment ont-ils vaincu Moubarak?
– Le Comité des mères de soldats: l’opposition à l’appel illégal dans l’armée. Le passage de la Commission médicale.
– La gestion de l’État dans les intérêts du peuple.
– Que sont les gauches et que veulent-elles?
– Le christianisme et la défense de Pussy Riot. Un prêtre sans importance du patriarcat de Moscou.
– Les femmes dans les protestations.
– La Biélorussie et le Kazakhstan. Expérience de lutte contre la dictature.
– Le rôle de la police dans les protestations sociales.
– Concert de chansons révolutionnaires.

«Ici, nous sommes le pouvoir», «Tant que nous sommes unis, nous sommes invaincus»

 

Un groupe de citoyens du quartier Basmanny a soi-disant déposé une plainte à la cour pour manque d’hygiène et danger. La police a chassé les participants le 12 mai.

Ce dimanche, quelques dizaines de représentants du Parti libéral Yabloko manifestaient contre la loi qui augmentera les amendes pour les manifestations sur la place Pouchkine. D’autres opposants avaient organisé un «défilé blanc» pour vérifier s’il est possible de revêtir la couleur de l’opposition. Le journal Kommersant rapporte une centaine d’arrestations. Les associations gais et lesbiennes aussi manifestaient. Des heurts avec des orthodoxes radicaux ont éclaté et la police a arrêté 40 personnes dans chacun des camps. «C’est notre ville», slogan maintes fois répété, me semble d’une extrême actualité. Hier, la place Rouge était fermée. Devant, une dizaine de camions remplis de policiers qui guettaient. Présence renforcée juste à côté, devant la place des Théâtres où une vingtaine de camions pleins de policiers attendaient. Dans ce parc, lui aussi fermé, des OMON se reposaient au pied du monument de Marx. Le pouvoir se sécurisait sans doute. Des activistes de l’opposition ont demandé aujourd’hui aux autorités municipales un permis pour organiser une manifestation le 12 juin. La deuxième lecture de la loi qui augmenterait les amendes contre les actions de rue illégale aura lieu le 5 juin et elle pourrait être adoptée le même jour… Comment les manifestants pourront-ils encaisser les coûts?

1 Célèbre chant du jour de l’entrée en guerre de la Russie en 1941, lorsque l’Allemagne bombarda la ville de Lviv en Ukraine.

2 Abréviation qui désigne les unités de forces spéciales du ministère de l’Intérieur russe.

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  1. Publié le 5 juin 2012 | Par Sarah Lachance

    Effectivement, on n'en entend pas parler. Merci, c'est très intéressant.
    À quand le printemps russe? bientôt? Ce qui est sûr, c'est que ça ne sera pas seulement une étincelle!

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