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Photo de Simone Lemieux

Des souris et du chocolat

Il y a 2 semaines, j’assistais au congrès annuel de la Société québécoise de lipidologie, nutrition et métabolisme. Cet organisme, duquel je suis membre depuis de nombreuses années, a comme objectif principal de promouvoir la formation, l’éducation et la recherche dans les domaines, vous l’aurez deviné, de la lipidologie –soit l’étude des lipides et de leurs effets sur le métabolisme–, de la nutrition et du métabolisme en santé cardiovasculaire.

souris_chocolat

Au cours de la dernière journée du congrès, plusieurs conférences étaient au programme. L’une d’elles était prononcée par la doctorante Léa Décarie-Spain du Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CRCHUM). Son projet de recherche visait à étudier l’incidence de la consommation de différents types de gras sur le niveau d’anxiété et les symptômes dépressifs chez des souris. Bien que la conférencière ait effectué une excellente présentation, je ne pensais pas vraiment vous en parler. C’est parce que ses résultats se sont retrouvés dans les médias le jour de la Saint-Valentin que je prends quelques moments pour vous raconter cette histoire.

Les détails de l’étude
La recherche effectuée par l’équipe du CRCHUM consistait à évaluer les effets d’un régime riche en sucre auquel on ajoutait soit des gras saturés soit des gras mono-insaturés sur le comportement de souris adultes. La différence entre ces 2 types de gras est bien expliquée ici. Les chercheurs s’intéressaient tout particulièrement aux comportements associés à l’anxiété et à la dépression1.

Pour mesurer l’anxiété, les souris étaient placées dans un labyrinthe comprenant des corridors avec ou sans murs. Ce test du labyrinthe est fréquemment utilisé dans ce type d’études. J’ai appris en écoutant la conférence que la souris perçoit les aires ouvertes comme une menace la rendant vulnérable aux prédateurs. Ainsi, plus le temps qu’elle passe dans les parties du labyrinthe sans murs est court, plus cela indique un niveau d’anxiété élevé chez elle.

Les résultats de l’étude ont démontré que les souris qui consommaient des gras saturés, en plus du sucre, manifestaient davantage d’anxiété que celles dont l’apport en sucre était complémenté par des gras mono-insaturés.

Les symptômes dépressifs étaient également plus évidents chez les souris nourries avec le sucre et les gras saturés que chez celles recevant le régime riche en sucre et en gras mono-insaturés.  Pour votre information, je spécifie que le test utilisé pour évaluer les symptômes dépressifs consistait à placer la souris dans un bocal rempli d’eau, ce qui la force à nager. Plus la souris est découragée et déprimée, moins elle s’acharne à garder la tête hors de l’eau. Le temps passé sans nager serait donc un indicateur de symptômes dépressifs.

En résumé, cette étude suggère qu’un apport élevé en gras saturés chez la souris ajouté à un régime riche en sucre peut provoquer des comportements associés à l’anxiété et à la dépression. Par ailleurs, si vous voulez comprendre les raisons pouvant expliquer ces effets, sachez que les mécanismes potentiellement associés à ce résultat sont bien documentés dans l’article de Mme Décarie-Spain et de ses collègues.

Douteuse transmission de connaissances
La suite de l’histoire c’est que le 14 février dernier, je vois passer dans les médias sociaux un article du journal Le Devoir intitulé «Les gras saturés seraient responsables de symptômes dépressifs et anxieux».  Curieuse, je me mets à lire l’article. Les premières phrases mettent les lecteurs en garde contre le chocolat qu’on pourrait leur offrir en ce jour de la Saint-Valentin, car il pourrait les rendre anxieux et déprimés. Je dois attendre au 75e mot de l’article pour comprendre qu’on parle d’effets observables chez la souris. Je reconnais alors les résultats de l’étude dont je vous ai parlé plus haut et qui sont ensuite décrits dans le reste de l’article.

Je veux être bien claire, je ne cherche surtout pas à discréditer les études réalisées chez les animaux. Elles ont leur place en recherche et permettent de trouver des réponses à certaines questions auxquelles il serait difficile de répondre autrement. Par contre, ça me dérange au plus haut point quand on extrapole des effets observables chez l’animal à l’humain surtout quand il est question de conditions aussi complexes que l’anxiété et la dépression. Il me semble que ce n’est pas difficile d’imaginer que les sources d’anxiété sont probablement bien différentes entre les souris et les hommes.

Et ce n’est pas tout. En plus de nous induire en erreur en créant un raccourci douteux entre la souris et l’humain, on parle de chocolat dans cet article alors que les souris de l’étude n’en ont jamais consommé! Vrai que le chocolat est souvent riche en sucre et en gras saturés, mais on ne sait pas ce qui serait arrivé aux souris si elles avaient effectivement mangé du chocolat. Elles auraient peut-être été super heureuses, qui sait?

Peur et culpabilité au menu
Un autre élément de cet article qui m’a fait réagir est cette quasi-obsession de jouer dans les zones de la peur et de la culpabilité quand on parle des aliments, surtout ceux qui sont reconnus pour être grandement appréciés, comme le chocolat.  Est-ce qu’on ne peut pas nous laisser une seconde tranquilles à savourer le chocolat qu’on nous a gentiment offert à la Saint-Valentin? Eh bien non! Le chocolat, c’est mauvais, ça fait grossir, ça rend anxieux et en plus ça déprime. Sauve qui peut!

Enfin, tout ça pour vous dire d’être vigilant quand vous voyez une nouvelle sur la nutrition. Prenez le temps de la lire jusqu’au bout, car vous pourriez être induit en erreur de façon assez spectaculaire!

1 Décarie-Spain L, Sharma S, Hryhorczuk C, Garcia VI, Barker PA, Arbour N, Alquier T, Fulton S.  «Nucleus accumbens inflammation mediates anxiodepressive behavior and compulsive sucrose seeking elicited by saturated dietary fat». Molecular Metabolism, article sous presse, 2018

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  1. Publié le 26 février 2018 | Par Brochu Jeanne d'arc

    Je vous remercie de vos commentaires sur le sujet. Surtout sur l'étude sur des souris; comment pouvons-nous parler de dépression et d'anxiété chez des souris ?
    Mon mari souffre de dépression depuis plusieurs années!
  2. Publié le 26 février 2018 | Par Vachon

    Je suis entièrement en accord avec vos propos, même si je ne mange pas de chocolat au lait.
    Richard
    Doctorat en biochimie
  3. Publié le 26 février 2018 | Par Ghislaine M.

    Concernant justement le modèle «souris» pour extrapoler chez l'humain, le Dr Jeffrey S. Mogil de l'Université McGill a découvert qu'il fallait tenir compte de l'aspect psychosocial en plus de l'aspect uniquement biologique pour interpréter des résultats de recherche sur la souris.
    Les souris en groupe ne réagissent pas de la même manière que les souris isolées. Les souris femelles ne réagissent pas comme les souris mâles. Une souris avec un groupe étranger ne réagit pas de la même manière qu'avec son groupe social. Une souris accompagnée d'une souris étrangère ne réagit pas de la même manière qu'une souris accompagnée d'une souris de sa fratrie.
    De plus, la plupart des études se font sur une lignée de souris destinée aux études de laboratoire.
    Le Dr Mogil a découvert que même le facteur stress modifie le degré d'empathie des souris.(Eh oui, elles sont capables d'empathie!)
    Alors, comme vous le dites si bien, il faut mettre un double bémol lorsqu'on nous parle d'études sur les souris, surtout en ce qui concerne les médicaments. Lui-même, le Dr Mogil, se questionne sur ses propres recherches.
    Jeffrey S. Mogil est le directeur du Centre Alan-Edwards de recherche sur la douleur à l'Université McGill.

    http://www.chrcrm.org/fr/node/6753
    https://lifeboat.com/ex/bios.jeffrey.s.mogil
  4. Publié le 26 février 2018 | Par Claudine

    Vous avez totalement raison, les médias s’empressent de nous donner des informations peu claires. Moi, j’avais une petite boîte de chocolats. Bien que je fasse attention à mon poids, je me suis permis un morceau par jour et, de cette façon, j’ai fait durer le plaisir pendant plusieurs jours, et ça n’a pas affecté mon poids.😉😁 Tout est dans la mesure...
  5. Publié le 26 février 2018 | Par andré grenier

    C'est tellement bon du chocolat, pourquoi s'en priver? Surtout si le mot «cacao» est premier sur la liste d'ingrédients.

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