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Photo de Ivan Tchotourian

Éclairages sur le financement participatif en capital

Une nouvelle forme de financement participatif fait désormais partie des possibilités qui s’offrent aux entreprises en démarrage: le financement participatif en capital (equity crowdfunding ou equity-based)1. Je propose de voir les avantages et les inconvénients de ce modèle récemment légalisé, ce qui a modifié les règles de droit des valeurs mobilières en matière de placement.

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Le financement participatif (sociofinancement ou crowfunding) connaît un succès grandissant auprès des entreprises en démarrage. Pour rappel, il s’agit de recueillir des capitaux en sollicitant des sommes d’argent relativement faibles auprès d’un grand nombre de personnes. Le concept de base est simple: par l’entremise de sites Web spécialisés, chaque entreprise peut soumettre un projet aux potentiels investisseurs et consommateurs. En échange des sommes investies, les participants reçoivent généralement une valeur en retour (sauf dans le cadre d’un financement à titre de donateur): dépendant des modèles, cette valeur peut être une récompense, un préachat ou un versement d’intérêts. Ou encore, une prise de participation dans l’entreprise en démarrage.

C’est ce dernier cas de figure qu’on appelle financement participatif en capital et qui permet à toute personne de se comporter comme un investisseur en donnant de l’argent à une entreprise en échange d’obligations, d’actions ou d’autres titres. Dès lors que la valeur des titres augmente, l’investisseur touche des intérêts ou profite de la croissance de l’entreprise.

Une stratégie de financement parmi d’autres
Le financement participatif (en capital ou non) fait partie de la stratégie de financement que toute entreprise doit mettre en place afin d’obtenir les fonds nécessaires pour lancer et développer ses activités. Or, une stratégie de financement n’est pas simple à bâtir pour une entreprise. Trois raisons principales expliquent cette complexité.

  1. Les facteurs à prendre en compte dans le choix du financement sont variables, comme le révèle ce tableau issu d’une présentation de ma collègue de la Faculté des sciences de l’administration, Cécile Carpentier.
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  1. Le financement d’une entreprise en démarrage peut provenir de formes diverses:
  • des fonds provenant de parents, d’amis ou de partenaires commerciaux (capital «convivial»). On parle alors de bootstrapping, de seed money ou de love money;
  • des fonds remis par des anges financiers, des sociétés de capital-risque (privées ou publiques) ou des investisseurs provenant du public par l’entremise d’une émission de valeurs mobilières (capital «propre»);
  • des capitaux obtenus par des emprunts contractés auprès d’institutions financières, de crédit-bail ou de crédit des fournisseurs (capital «emprunté»);
  • des subventions fédérales ou provinciales relevant de différents programmes de soutien.
  1. C’est une évidence, mais il faut la rappeler ici: une collecte de fonds n’est pas toujours nécessaire. Kevin Bresson (son article est à lire!2) rappelle qu’elle peut être inutile quand l’entreprise est déjà rentable, quand l’entreprise n’a tout simplement pas besoin de financement, quand il existe déjà plusieurs autres sources de revenus, quand le fondateur n’a pas le temps de chercher des investisseurs ou quand l’entreprise est dans un marché à petite taille ou ne nécessite pas une grande quantité de fonds. Le financement d’une entreprise n’est qu’un moyen, et non une fin en soi!

Caractéristiques et avantages
Le financement participatif en capital se traduit par l’émission d’une valeur mobilière (un titre, comme une action ou une obligation) en contrepartie de l’apport financier d’un investisseur qui souhaite participer à la croissance future potentielle de l’entreprise. Il y a alors placement effectué auprès d’un très grand nombre de personnes par l’entremise d’une plateforme sur Internet. Pour bien comprendre la petite révolution récente qu’a connue le financement des entreprises en démarrage, revenons 2 ans en arrière.

«Émission» et «placement» sont des mots qui ont des conséquences pour les juristes. C’est la protection du public (l’investisseur) qui est en jeu. L’émission d’une valeur mobilière et le placement qui s’ensuit sont soumis à un encadrement réglementaire strict relevant du droit des sociétés par actions3 et, surtout, du droit des valeurs mobilières. Or, que prévoyait jusqu’à récemment le droit des valeurs mobilières? Les choses étaient simples: une entreprise qui souhaitait collecter des capitaux auprès du public était qualifiée d’«émetteur assujetti»4. Elle devait alors procéder à l’élaboration complexe et coûteuse d’un prospectus soumis au visa de l’Autorité des marchés financiers (AMF), à la rédaction d’une notice d’information et à une inscription comme courtier5. Il n’en allait autrement que si l’entreprise pouvait obtenir une dispense de la part de l’AMF, la plus utilisée étant celle de «l’émetteur fermé». Dans ce dernier cas, l’entreprise ne pouvait alors collecter des capitaux qu’auprès d’un nombre restreint de personnes6.

Avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, le droit des valeurs mobilières n’autorisait le financement participatif qu’en l’absence du placement d’une valeur mobilière.

Le financement en capital pouvait donc se révéler prohibitif pour les petites entreprises en démarrage, limitant d’autant son attrait. Le prospectus et la note d’information sont des documents très volumineux (long et coûteux à préparer) qui présentent l’entreprise, ses finances, ses activités… tout ce qu’elle est. Il fallait donc dispenser les entreprises en démarrage de la réglementation applicable, notamment en ce qui concerne le droit des valeurs mobilières. C’est ce qui a été fait récemment au Canada. Les choses ont été considérablement modifiées depuis la légalisation du financement participatif en capital. Officiellement, le financement participatif est devenu un instrument de collecte de capitaux disponible pour un certain nombre d’entreprises canadiennes. Cette évolution est importante, car le financement participatif en capital répond à des caractéristiques propres et offre des avantages indéniables:

  • Il représente un nouvel outil pour les entreprises en démarrage qui peinent souvent à attirer des investisseurs traditionnels, soit parce que ces entreprises ou leurs projets sont à un stade trop préliminaire, soit parce que leurs besoins de financement sont trop petits –ou les 2.
  • Il offre à une entreprise un accès rapide à des liquidités.
  • Il permet la collecte de fonds par des entrepreneurs peu préparés aux exigences associées à la gestion d’un grand nombre d’actionnaires.
  • Il donne accès à un bassin plus étendu d’investisseurs potentiels non sophistiqués.

Une double dispense
Le financement participatif en capital bénéficie désormais d’un assouplissement du droit des valeurs mobilières: une information moins volumineuse à fournir caractérise ce type de financement. Depuis 2015, plusieurs provinces et territoires canadiens ont instauré 1 ou 2 régimes dits «de dispense de prospectus», destinés à faciliter la levée de capitaux par voie de financement participatif en capital. Pour le Québec, 2 types de dispenses sont applicables7:

  • l’une vise le capital de démarrage pour toute entreprise (émetteurs assujettis et non assujettis): ce régime de dispense est entré en vigueur au Québec avec l’adoption, en janvier 2016, du Règlement 45-108 sur le financement participatif;
  • l’autre est réservée aux entreprises en démarrage (émetteurs non assujettis): ce régime s’applique depuis mai 2015 et fait suite à l’avis multilatéral 45-316.

Pour l’essentiel, chaque campagne de financement participatif en capital menée au Canada doit être faite sur un portail Web spécialement conçu pour ce genre de financement et autorisé à agir par l’AMF. Le rôle du portail se limite essentiellement à recueillir les sommes amassées lors de la campagne, avant de les remettre à l’entreprise émettrice si l’objectif de placement est atteint.

Voici un tableau qui compare les 2 régimes de dispense applicables au financement participatif au Québec: 

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Des dangers à signaler
Le financement participatif est bien séduisant. Pour l’entreprise, il apparaît comme un moyen rapide et peu dispendieux de collecter des capitaux. Pour les investisseurs, le message de souplesse et de simplicité est souvent entendu, tout comme celui de saisir de nouvelles occasions et de possiblement faire fortune. Alors, vraiment idyllique le financement participatif en capital? Je ne le crois pas: le financement participatif en capital comporte plusieurs risques8. Quels sont-ils?

Pour les entreprises:

  1. Lancer une campagne est toute une entreprise en soi (voir les 5 étapes exposées ici).
  2. Se laisser séduire par le financement participatif en capital sans s’en servir comme levier pour trouver d’autres sources de financement.
  3. Subir des restrictions sur le montant des fonds pouvant être recueillis et sur la fréquence des placements.
  4. Consacrer trop d’efforts dans la campagne de financement pour séduire le plus grand nombre d’investisseurs; la limite de l’investissement que chacun peut réaliser impose de faire appel à un grand nombre de personnes pour obtenir le succès escompté.
  5. Ne pas maîtriser les problématiques de gouvernance du fait de l’entrée au capital de centaines de nouveaux actionnaires ayant des objectifs différents. À défaut de maîtriser cela, de futurs conflits au sein de l’entreprise sont à prévoir!

Pour les investisseurs:

  1. Perdre sa mise parce que l’entreprise ne survit pas.
  2. Obtenir un rendement du capital nul, voire négatif: dans une conférence de Mme Cécile Carpentier sur le financement des PME, celle-ci relevait qu’«il est extrêmement rare que les spécialistes et encore moins le public dégagent des rendements satisfaisants de l’investissement dans des PME.»
  3. Avoir de la difficulté à revendre les titres: impossible pendant 4 mois.
  4. Perdre ses fonds parce qu’il y a appropriation frauduleuse.
  5. Participer malgré soi à financer un projet frauduleux ou dangereux.

Mon message est clair: oui au financement participatif en capital, mais avec prudence! Aussi bien pour les entreprises que pour les investisseurs, cette modalité de financement est intéressante, mais nécessite une bonne compréhension de ses rouages. Quelques gestes simples se révèleront utiles. Pour les entreprises: anticiper les problèmes de gouvernance en prévoyant une convention d’actionnaires; identifier précisément ses besoins et se demander si le lancement d’une campagne est indispensable. Pour les investisseurs: comprendre ce qu’est le financement participatif; lire le plus attentivement possible le document d’offre; se renseigner le plus possible sur l’entreprise et le portail; être curieux sur les titres émis.

1 Ce billet est tiré d’une étude que j’ai publiée: Ivan Tchotourian, «Le financement participatif au Canada: légalisation récente du financement en capital», Revue internationale des services financiers/International Journal for Financial Services, 2016, no 4, p. 69-77.

2 Kevin Bresson, #Startup: 6 signes qui prouvent que vous n’avez pas besoin de lever des fonds!, 7 février 2017.

3 N’oublions pas les articles 5 6°, 11, 52 à 80, 118 4°, 155, 158, 451 4° de la loi provinciale visant tous l’émission d’actions.

4 L’émetteur assujetti est celui qui a fait appel publiquement à l’épargne.

5 Voir le Règlement 41-101 sur les obligations générales relatives au prospectus.

6 Article 2.4 du Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus.

7 Pour une synthèse, voir: Gabriel Béliveau, «Le financement participatif en capital: un nouvel outil de prédilection pour les startups?», 9 février 2017, blogue Dunton Rainville Avocats.

8 Par exemple, voir: Autorités canadiennes en valeurs mobilières, «Les risques du financement participatif des entreprises en démarrage».

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