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Photo de Ivan Tchotourian

L’exploitation économique des aînés

La protection des personnes aînées fait l’objet d’un intérêt croissant au Québec depuis une trentaine d’années. En revanche, les spécialistes du droit des affaires commencent à peine à s’intéresser à la problématique de la maltraitance des personnes âgées et à ses implications sur la réglementation des professionnels du droit et des services financiers. Parmi les formes d’abus dont peuvent être victimes les aînés figurent par exemple: l’exploitation par les proches, l’arnaque téléphonique, l’abus de confiance lors de transactions financières.

Telephone

Vieillissement et maltraitance
Eh oui, le Québec vieillit! Le plan d’action gouvernemental publié en 2010 l’a exprimé très nettement: «Sur le plan international, le Québec représente, après le Japon, la société où la proportion de personnes aînées passera de 12 à 24% dans le plus court laps de temps, soit 29 ans. De 1986 à 2009, le groupe des personnes âgées de plus de 65 ans y est passé de 657 430 (9,8%) à 1,2 million (14,9%) d’individus alors qu’en 2031, il est prévu qu’il représentera 25,6% de la collectivité québécoise, soit 2,3 millions de personnes.»1

Malheureusement, le vieillissement entraîne avec lui des situations de maltraitance et d’exploitation économique financière comme en témoigne le Guide de référence pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées publié il y a quelques mois: «Au Canada, les 2 seules études populationnelles effectuées auprès des personnes aînées vivant à domicile permettent d’estimer la prévalence de la maltraitance entre 4 et 7% [….] certains auteurs vont même jusqu’à doubler, voire tripler les chiffres sur la prévalence de la maltraitance, ce qui revient à dire qu’entre 8% et 20% de la population âgée demeurant à domicile pourraient vivre de la maltraitance.»2

Vu l’importance du capital financier des aînés, l’augmentation de leur vulnérabilité avec l’avancée en âge et la sophistication des techniques employées pour leur soutirer de l’argent, les interrogations juridiques sont nombreuses: comment le droit appréhende-t-il ou devrait-il appréhender le phénomène de l’exploitation financière des personnes aînées? Qu’est-ce qu’une situation d’exploitation financière? Quel est le lien entre la vulnérabilité et des concepts plus connus des juristes, telles l’incapacité et l’inaptitude? Les outils juridiques sont-ils adaptés? Quels sont les contraintes ou les obstacles susceptibles de freiner les initiatives destinées à contrecarrer l’exploitation financière? Beaucoup de questions, mais encore peu de réponses.

La recherche en droit à l’Université Laval
Face aux enjeux majeurs que soulève le phénomène de l’exploitation financière des personnes aînées, le Groupe de recherche en droit des services financiers (GRDSF) dirigé par Raymonde Crête, professeure à la Faculté de droit, a entrepris un important projet de recherche subventionné par l’Autorité des marchés financiers3. Ce projet mené par une équipe de 13 chercheurs est une occasion unique, pour nous les juristes, d’échanger sur l’état des connaissances, les pratiques existantes et les réformes à envisager avec des personnes d’autres disciplines et venant du terrain.

En plus d’avoir tenu, en mai 2013, le colloque L’exploitation financière des personnes aînées: prévention, résolution et sanction, cette équipe du GRDSF publiera une partie de ses travaux dans un ouvrage collectif qui paraîtra aux Éditions Yvon Blais au cours des prochains mois. Avec la collaboration du Centre d’études en droit économique que je dirige4, le GRDSF a aussi organisé, dans le cadre de ce projet de recherche, plusieurs conférences intéressantes5. Je me propose de revenir sur les enseignements de 2 de ces conférences.

La longévité comme risque
La première s’est déroulée le 28 novembre 2013. Le professeur émérite de  l’Université McGill et professeur invité à la Faculté de droit de l’Université de Montréal Jean-Guy Belley y a analysé le «risque de  longévité» en lien avec une forme particulière d’exploitation, celle de la peur de survivre à son épargne-retraite… Il a mis en lumière l’évolution du financement de la retraite de plus en plus géré par le marché et les risques d’une adhésion de chacun à cette avenue de solution passant par les mécanismes de l’économie financiarisée.

Le professeur a souligné qu’il convient de mesurer pleinement les risques liés à l’intégration contemporaine des instruments d’épargne-retraite dans des portefeuilles de valeurs mobilières. Parmi ces risques, soulignons la simple obligation de moyens plutôt que de résultat à laquelle sont tenus les conseillers en placement et les gestionnaires de comptes individuels ou collectifs de retraite.

Le préjudice moral peu indemnisé
La seconde conférence a eu lieu le 19 février 2014 et a été donnée par Patrick Forget, professeur à la Faculté de droit de l’UQAM. Portant sur l’indemnisation du préjudice lors d’une fraude ou d’une conduite déviante, sa présentation a démontré que le droit actuel était en décalage avec la situation des victimes.

Son étude de la jurisprudence des 20 dernières années lui a permis d’observer que les juges n’indemnisaient que trop peu le préjudice moral, et ce, malgré l’importance des conséquences pour les personnes victimes et de la place du lien interpersonnel de confiance. Ne faudrait-il pas changer la donne à l’avenir? Voilà une belle proposition…

1 Ministère de la Famille et des Aînés, Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées: 2010-2015, 2010, spéc. p. 8.

2 Ministère de la Santé et des Services sociaux, Guide de référence pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées, 2013, spéc. p. 5.

3 Visitez le site du GRDSF

4 Visitez le site du CÉDÉ 

5 Un certain nombre de diaporamas de ces conférences sont disponibles librement sur le site Internet du CÉDÉ.

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