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Fonderie Horne et arsenic: une insoutenable légèreté – 1re partie

Une nouvelle surprenante a fait l’actualité il y a quelques semaines. Radio-Canada nous apprenait que la Fonderie Horne, une entreprise de Rouyn-Noranda, émet 67 fois plus d’arsenic dans l’air que la norme provinciale. Et que ce taux de pollution par contaminants est toléré par le ministère de l’Environnement du Québec.

Photo: Clarius29

Voilà une information qui ne passe pas inaperçue en ce qui concerne la responsabilité sociale des entreprises (RSE)! Je me suis d’ailleurs prononcé sur le sujet à l’émission de télévision RDI Économie animée par Gérald Fillion. J’ajoute dans le présent billet quelques réflexions. Elles sont certes celles d’un professeur de droit qui travaille dans le domaine de la RSE, mais surtout celles d’un citoyen et d’un père qui se veut critique à propos d’une situation qui lui apparaît insoutenable.

Une fonderie connue pour sa pollution
La Fonderie Horne, qui a fait la manchette le mois dernier, possède un lourd passé en matière de pollution1. Au début des années 2000, cette entreprise a été pointée du doigt dans différents rapports et articles pour son niveau de rejet de contaminants dans l’eau et dans l’air. En 2000, «la Fonderie est alors la plus grande émettrice d’arsenic au Canada, loin devant les entreprises qui la suivent»2. Aujourd’hui, les choses ont peu évolué3 bien que – il faut le reconnaître – le niveau de pollution à l’arsenic dont l’usine est à l’origine a progressivement diminué. Son taux d’émission est passé de 1041 ng/m3 en 2000, puis à 500 ng/m3 en 2004 jusqu’à un peu moins de 100 ng/m3 en 20194. Malgré cela, les résultats d’une étude de biosurveillance rendue publique le 15 mai 2019 démontrent que ce chiffre dépasse largement les 3 ng/m3 fixés comme niveau maximum de concentration de contaminants par fixé par le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère (RAA) de la Loi sur la qualité de l’environnement du gouvernement du Québec, en vigueur depuis 2011.

Un problème d’externalité
Pour nourrir mon analyse de cette situation qui provoque, avec raison, l’ire des citoyens de Rouyn-Noranda5, je fais appel ici à un concept économique connu sous le nom d’«externalité». À quoi fait-il référence? Dans une économie de marché, les activités de production ou de consommation font normalement l’objet d’une contrepartie financière. Mais lorsqu’un agent reçoit un service sans payer ou voit, au contraire, son bien-être affecté par une activité sans qu’il soit compensé, les effets de cette activité se situent à l’extérieur du marché, d’où le terme «externalité». Ce concept vise les effets secondaires des activités principales de production ou de consommation ainsi que les relations entre l’émetteur et le récepteur de ces effets externes.

Plus précisément, la pollution par contaminants (une forme de pollution diffuse) générée par la Fonderie Horne représente un cas d’externalité négative du fait que le résultat de ses activités a des effets néfastes sur le bien-être des êtres humains. Comment gérer cette externalité? Deux pistes sont possibles: celle du marché et celle du droit.

La distinction environnementale
Sur le plan du marché, à la lumière des travaux de l’économiste Ronald Coase6 et du théorème qui porte son nom, il est possible de gérer les externalités par contrat et par négociation entre les parties. Ainsi, dès qu’on observe l’apparition de dommages dans une relation de voisinage, les parties doivent s’entendre. Plus précisément, elles doivent décider entre elles laquelle prendra les mesures pour faire cesser ce dommage et quelles seront ces mesures afin que les coûts soient les plus faibles possible.

Cela dit, de telles ententes peuvent comporter des faiblesses, car elles ne s’appuient pas sur l’intervention étatique. C’est là que la piste du droit intervient.

Ainsi, même s’il souffre de maux qui le rendent parfois lent, incertain, voire inefficace, le droit a un rôle important à jouer dans la résolution de problèmes d’externalité, en particulier dans le cas d’externalités de nature environnementale. C’est que les solutions de marché envisagées par Ronald Coase sont difficilement applicables lorsqu’il est question d’environnement, ne serait-ce qu’en raison des coûts de transaction (coût du système, direct ou indirect, lié à un échange économique) qui leur sont associées. L’État (et son bras armé qu’est le droit) apparaît de plus en plus comme «gardien»7 de la nature assumant un rôle fiduciaire en définissant une norme de conduite.

Un droit acquis de polluer?
Dans l’actualité qui porte sur les contaminants produits par la Fonderie Horne, discuter d’encadrement juridique est donc pertinent. D’autant plus que, comme je l’ai déjà mentionné, ce type d’encadrement existe avec le RAA. Cela étant, le problème du taux d’arsenic émis par la Fonderie Horne n’est pas lié à une absence de réglementation, mais bien à l’application de cette réglementation. Ainsi, pour justifier le large dépassement par l’usine de la concentration de contaminant maximale permis par la loi depuis 2011, ou dit autrement, la large tolérance qui lui est octroyée, un des arguments avancés par le ministère de l’Environnement concerne les «droits acquis»8, la fonderie étant en activité depuis une centaine d’années.

Il y aurait un droit acquis de polluer? Surprenante notion que voilà! D’emblée, pour le juriste que je suis, il est clair que dès lors que la loi change, les acteurs doivent s’y conformer, qu’ils soient satisfaits ou non de la réforme, qu’elle soit coûteuse ou non pour l’entreprise. Lorsqu’une période de transition est donnée, elle est exceptionnelle et temporaire.

Une volonté politique discutable
L’argument des droits acquis est-il applicable ici ou s’agit-il d’un faux argument? La notion de droits acquis entre en jeu lorsqu’une situation, qui jusqu’alors était permise ou tolérée par la loi, devient interdite ou est autrement restreinte après l’entrée en vigueur d’une nouvelle disposition législative. Un titulaire de droits acquis va pouvoir, normalement, sans l’entrave de la nouvelle loi, continuer l’état de fait qui existait avant son entrée en vigueur9.

Les activités de la Fonderie Horne répondent-elles à cette logique? C’est ce que nous pourrions penser; l’argument est fortement séduisant. Mais, il se heurte à un obstacle: les tribunaux ne sont pas favorables aux droits acquis en ce qui concerne la protection de l’environnement compte tenu de «l’impact environnemental négatif que le législateur veut contrer en adoptant la norme»10. Or, disons les choses comme elles sont: le Ministère s’est appuyé sur des droits acquis de la Fonderie Horne pour permettre à cette entreprise de polluer plus que la loi ne le permet. Pourtant, il n’existe pas de droit acquis en matière de protection de l’environnement, du moins leur reconnaissance n’est pas si évidente. Pourquoi alors autant de largesse octroyée à la fonderie? Aucune raison, en apparence du moins, ne le justifie.

Y a-t-il alors des solutions possibles et si oui, quelles sont-elles? C’est sur cette interrogation que je me pencherai dans la deuxième partie de ce billet.

1 «Historique des émissions d’arsenic de la fonderie Horne», Radio-Canada, 13 mai 2019.

2 «Historique des émissions d’arsenic de la fonderie Horne», Radio-Canada, 13 mai 2019.

3 Jean-Marc Belzile, «Arsenic: Richard Desjardins déçu que les choses n’aient pas changé», Radio-Canada, 23 mai 2019.

4 Dernier chiffre cité par le ministre délégué à la Santé (Lionel Carmant) à l’Assemblée nationale: Lise Millette, «Arsenic à Rouyn-Noranda: la question rebondit à l’Assemblée nationale», Radio-Canada, 15 mai 2019.

5 Thomas Deshaies, «Arsenic à Rouyn-Noranda: la confiance envers le gouvernement est ébranlée», Radio-Canada, 15 mai 2019.

6 Ronald H. Coase, «The Problem of Social Cost», The Journal of Law & Economics, octobre 1960, vol. 3, p. 1.

7 À ce sujet, voir plusieurs chapitres dans l’ouvrage collectif suivant: Paule Halley et Julia Sotousek (dir.), L’Environnement, un patrimoine commun et son État gardien: aspects juridiques nationaux, transnationaux et internationaux, Cowansville, éditions Yvon Blais, 2012.

8 Sur cette notion, voir Syndicat d’écoles protestantes d’Outremont c. Outremont (Ville), [1951] B.R. 677.

9 Éric Martel, Droits acquis en matière de réglementation municipale en environnement, essai, maîtrise en environnement, Université de Sherbrooke, 2018, p. 6.

10 Éric Martel, Droits acquis en matière de réglementation municipale en environnement, essai, maîtrise en environnement, Université de Sherbrooke, 2018, p. 14.

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  1. Publié le 8 juillet 2019 | Par serge saucier

    À quoi sert l'arsenic en fonderie?
  2. Publié le 23 octobre 2019 | Par Ivan Tchotourian

    Bonsoir, vous avez raison que les droits acquis sont une doctrine qui ne peut tout justifier. Il est incontestable que les compagnies peuvent jouer avec les lois ou, à tout le moins, ont le pouvoir pour négocier des choses. Le rôle du politique est important et sa responsabilité doit être envisagée. Bien à vous, Ivan
  3. Publié le 14 juin 2019 | Par Ivan Tchotourian

    Bonjour chère Doris, l'argument des droits acquis me paraît effectivement critiquable. Il convient de réfléchir à la différence de traitement entre particuliers et compagnies. Ce sentiment est souvent malheureusement confirmé au Québec ou ailleurs. Pour éviter ce phénomène de "déjouer les lois", on ne peut compter que sur la seule morale ou responsabilité sociale. L'État a un rôle à jouer quitte à déplaire aux compagnies. L'enjeu de l'environnement implique que l'État prenne les choses en main, l'urgence est là. J'espère que la 2e partie du billet vous éclairera... Bien à vous, Ivan
  4. Publié le 14 juin 2019 | Par Doris Vaillant

    En résumé, donc, si tu déversais tes eaux usées dans les lacs avant les nouvelles lois d'environnement, tu pourrais continuer comme un droit acquis! Mais non voyons, un particulier ne peut pas, individuellement, gagner sur ce point. Seulement les compagnies peuvent déjouer les lois! Merci pour ce billet et de vous préoccuper des réalités de notre région éloignée et si souvent oubliée. Au plaisir de lire la 2ème partie.

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