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Photo de Simone Lemieux

La génétique, l’alcool et la santé du cœur

Chaque année, plusieurs personnes de mon entourage se surprennent de me voir travailler au mois de juillet. «T’es pas déjà en vacances? Je pensais que l’université, ça finissait au mois d’avril.» Patiemment, je réponds qu’effectivement la session d’hiver se termine à la fin avril et que non je ne donne pas de cours à la session d’été. J’ajoute que les profs d’université sont quand même bien occupés pendant la période estivale, surtout en raison d’une bibitte nommée recherche! Il y a d’ailleurs plein d’articles scientifiques qui s’écrivent et se publient pendant l’été. C’est en faisant mon petit tour de la littérature que je suis tombée sur une étude récente se prêtant bien à cette période de l’année puisqu’on y parle de consommation d’alcool. Car ce n’est pas un mythe: plusieurs études ont démontré que la consommation d’alcool est particulièrement élevée pendant les vacances estivales!

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 L’alcool et la santé
Le lien entre l’alcool et la santé est un sujet délicat. Ainsi que j’en avais brièvement discuté dans un billet précédent, la consommation d’alcool en quantité modérée est bénéfique pour la prévention de certaines maladies chroniques, comme les maladies du cœur, mais est toutefois associée à un risque accru de développer d’autres problèmes, notamment certains types de cancer. Au-delà des maladies chroniques, on sait qu’une consommation importante d’alcool peut avoir des effets nocifs sur différentes sphères de la vie. On peut penser ici aux risques de blessures et d’intoxication associés à une surconsommation d’alcool. Les nombreux effets néfastes de la dépendance à l’alcool sur les plans social, familial et professionnel sont également à considérer.

Afin de baliser les recommandations quant à la consommation d’alcool, les experts se sont entendus sur les termes «consommation modérée» et «consommation à risque». Vous connaissez probablement la définition d’une consommation modérée promue par Éduc’alcool, soit un maximum de 10 consommations par semaine pour les femmes et de 15 pour les hommes, sans dépasser 2 verres par jour pour les femmes et 3 pour les hommes. Quant à la consommation à risque, elle correspondrait à la prise de 4 consommations ou plus par occasion chez les femmes et de 5 ou plus chez les hommes1. Plus la fréquence d’une telle consommation est élevée, plus le risque augmente.

L’alcool et le cœur
Plusieurs études épidémiologiques ont démontré qu’une consommation modérée d’alcool était associée à une réduction de la mortalité liée aux maladies du cœur. En fait, le lien entre la consommation d’alcool et les maladies coronariennes prend la forme d’une courbe en U sur un graphique. Selon ce modèle, un risque plus faible serait donc observé chez ceux qui consomment de façon modérée comparativement à ceux qui ne boivent pas d’alcool ou à ceux qui en ingèrent en plus grande quantité.

Contrairement à d’autres questions en nutrition, les résultats de recherche sur le lien entre l’alcool et la santé coronarienne sont plutôt cohérents. Par contre, certaines interrogations demeurent quant aux variables pouvant expliquer cette association. Par exemple, on sait que certains facteurs génétiques peuvent avoir un effet sur la consommation d’alcool. On sait également que le risque de maladies coronariennes est influencé par la génétique. Se pourrait-il donc que l’association inverse qu’on observe entre la consommation modérée d’alcool et les maladies coronariennes s’explique par des facteurs génétiques et n’ait finalement pas grand chose à voir avec l’alcool en soi? C’est sur cette question qu’une équipe composée de chercheurs provenant de plusieurs centres de recherche aux États-Unis a souhaité faire la lumière.

Étude chez des jumeaux
Pour répondre à cette question, l’équipe du Dr Jun Dai a utilisé les données provenant de plus de 800 jumeaux en santé au moment de leur entrée dans l’étude2. Leur consommation d’alcool a été mesurée au début de l’étude (en 1969), puis mise en lien avec la mortalité pendant la période de suivi qui s’est terminée en 2010.

L’avantage d’une cohorte de jumeaux dans ce contexte de recherche, c’est qu’on peut examiner comment une différence de consommation d’alcool entre les jumeaux d’une même paire se traduit en termes de différence de mortalité. C’est une façon très puissante de contrôler l’effet des facteurs génétiques, mais également celui des facteurs familiaux (attitude des parents envers l’alcool, niveau socio-économique, etc.) auxquels ils ont été exposés.

Les résultats obtenus suggèrent qu’un jumeau qui buvait, au début de l’étude, 10 g d’alcool de plus par jour que son frère a vu son risque de mourir d’une maladie coronarienne diminuer de 10%, ce qui s’avérait une différence significative d’un point de vue statistique. Les résultats étaient similaires quand on considérait la consommation d’alcool non seulement au début de l’étude, mais également celle mesurée en cours de route (en 1981-1982 et en 1986-1987).

Vous vous demandez peut-être si cette étude en arrive également à une relation en U. Pas cette-fois ci, mais ça s’explique. C’est que les «gros consommateurs» de cette cohorte (les 20% qui buvaient le plus) avaient, somme toute, une consommation plutôt modérée, soit 33 g/jour, ce qui équivaut grosso modo à 2 consommations. Donc, pas possible de voir ici ce qui se passe chez de vrais gros buveurs. De plus, il est pertinent de préciser que les résultats étaient les mêmes pour la bière, le vin et les spiritueux. Finalement, quand on considérait la mortalité toutes causes confondues, aucune association n’était observée avec la consommation d’alcool.

Ainsi, les auteurs concluent que les bénéfices associés à la consommation d’alcool quant au risque de mortalité coronarienne sont indépendants des facteurs génétiques et familiaux. Autrement dit, ce n’est pas parce que les gens qui consomment de l’alcool ont un profil génétique spécial ou qu’ils ont eu un environnement familial particulier qu’ils sont protégés des maladies coronariennes. Au dire des auteurs de l’étude, ces résultats proposent fortement que l’alcool en soi ait un effet direct sur la santé coronarienne.

Voici donc un chapitre de plus dans l’étude du lien entre la consommation d’alcool et les maladies du cœur. Ces résultats, bien que très intéressants d’un point de vue scientifique, n’auront vraisemblablement pas de retombées immédiates sur les recommandations relatives à l’alcool. Il serait donc bien étonnant que la bière, le vin et les spiritueux se retrouvent prochainement dans le Guide alimentaire canadien… quoiqu’ils pourraient peut-être prendre la place des jus!

Presque les vacances
Avant de prendre un verre à votre santé pour inaugurer officiellement mes vacances, j’ai encore quelques dossiers sur la table de travail. Un de ceux-ci pourrait vous concerner. En effet, j’ai le plaisir de participer à l’événement grand public «Manger, boire, bouger… en mode santé!», qui aura lieu le dimanche 12 juillet à compter de 14h à la promenade de l’Espace Desjardins au PEPS de l’Université Laval. En compagnie des collègues Jean-Pierre Després, Éric Larose et Benoît Lamarche, je discuterai avec vous du plaisir de faire de l’activité physique et d’adopter de saines habitudes alimentaires. L’entrée est gratuite et vous êtes tous les bienvenus.

Au plaisir de vous y rencontrer et bon été!

1 Thomas, G. Niveaux et profils de consommation d’alcool au Canada (série sur les politiques régissant les prix de l’alcool: rapport 1), Ottawa (Ontario), Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, 2012.

2 Dai J, Mukamal KJ, Krasnow RE, Swan GE, Reed T. Higher usual alcohol consumption was associated with a lower 41-y mortality risk from coronary artery disease in men independent of genetic and common environmental factors : the prospective NHLBI Twin Study. Am J Clin Nutr 2015; 103: 31-39.

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  1. Publié le 13 avril 2017 | Par Simone Lemieux

    Merci pour cette question très pertinente sur le lien entre le stress et la consommation d’alcool. Je dois avouer que je ne suis pas une experte du domaine de la gestion du stress. Par contre, les quelques articles que j’ai lus sur le lien entre la consommation d’alcool et la gestion du stress m’amènent à croire que la consommation d’alcool n’est pas toujours une bonne façon de gérer le stress. Dans ce contexte, il serait surprenant que les effets positifs de la consommation modérée d’alcool sur la santé cardiovasculaire s’expliquent systématiquement par un effet bénéfique de l’alcool sur le niveau de stress.
  2. Publié le 12 avril 2017 | Par M

    Question de béotien: est-ce que l'effet favorable de l'alcool observé pour des consommations modérées pourrait s'expliquer par une plus grande capacité des individus à se détendre, à avoir moins de stress, en ingérant justement de faible quantité d’alcool, par rapport à ceux qui n'en boivent pas du tout? Ce ne serait alors pas l'alcool qui serait directement responsable de l'effet protecteur?
  3. Publié le 14 juillet 2015 | Par Simone Lemieux

    @Micheline Paquet: Je vous remercie de votre commentaire. Concernant les produits Herbamare, vous avez tout à fait raison, la plupart de ces produits contiennent du sel de mer. J'ai vérifié la teneur en sodium et elle est très similaire au sel de table conventionnel.
    Je suis convaincue que vous n'êtes pas la seule à avoir cru que ces produits ne contenaient pas de sodium car leur publicité peut effectivement porter à confusion. En effet, on met beaucoup l'accent sur le contenu en végétaux (céleri, oignons, poireaux, etc.) et on mentionne qu'ils peuvent remplacer le sel de table.
    Sachez cependant qu'Herbamare offre un produit qui est réellement sans sodium et qui est fait à partir de chlorure de potassium. Il s'agit du "Herbamare sans sodium". Sachez aussi que plusieurs recettes maison de «salières sans sel» sont disponibles sur le Web.
    Merci d’avoir soulevé cette question.
  4. Publié le 13 juillet 2015 | Par Micheline Paquet

    Très intéressant et parfois surprenant.

    Je suis allée à la Promenade Desjardins le 12; vous étiez très intéressante et vos confrères aussi. J'ai passé un bel après-midi, merci pour les bons conseils.

    Concernant l'Herbamare de A. Vogel: Sel de mer fin naturel imprégné d'herbes et de légumes frais biologiques.
    Je suis déçue d'avoir utilisé ce produit, moi qui ne mangeais plus de sel depuis 1976.

    Bonne soirée,
    Micheline
  5. Publié le 13 juillet 2015 | Par Simone Lemieux

    @audrey
    Certains chercheurs ont proposé que le jus de fruits était très similaire à l'alcool en ce qui a trait aux effets sur le métabolisme. Plutôt que d'entrer dans ce débat, j'aime mieux traiter le tout avec humour!
  6. Publié le 10 juillet 2015 | Par Audrey Lagacé

    J'aime beaucoup le petit clin d'oeil sur les jus à la fin hahaha!
  7. Publié le 10 juillet 2015 | Par Simone Lemieux

    @Pierre Bilodeau,
    Comme vous le mentionnez, le lien entre la consommation d'alcool et la mortalité toutes causes confondues n'est pas significatif. On peut voir la chose comme vous en disant que, dans ce contexte, la consommation d’alcool de façon modérée ne donne absolument rien. On pourrait aussi se dire qu'une consommation modérée d'alcool n'est pas nuisible. En d’autres mots, on ne gagne peut-être rien, mais on ne perd probablement rien non plus. J’ajouterais que si nous nous contentions de manger exclusivement des aliments pour lesquels il existe des preuves irréfutables démontrant que leur consommation réduit la mortalité, nous ne mangerions pas grand chose!
    Merci d'avoir pris le temps de commenter ce billet.
  8. Publié le 10 juillet 2015 | Par Pierre Bilodeau

    Quand on dit que la consommation modérée d'alcool a un effet bénéfique sur la prévention des maladies cardiaques, il faut comprendre que le mot «bénéfique» est un terme de jargon des épidémiologistes et qu'un effet bénéfique statistique ne signifie pas nécessairement un effet bénéfique physiologique. Il ne faut pas se laisser prendre au piège des mots.

    Si le risque de certaines maladies chroniques est diminué et que celui du cancer est augmenté, c'est peut-être que l'alcool augmente la fluidité du sang, ce qui rend moins probable les accidents cardiaques, mais qui a un effet délétère sur les autres systèmes.

    C'est ce qui explique que la consommation modérée d'alcool n'a aucun effet sur la mortalité toutes causes confondues, ce qui revient à dire qu'on n'y gagne absolument rien.
  9. Publié le 10 juillet 2015 | Par Alexandre Bourque

    Merci Simone, c'est toujours éclairant de te lire!!

    Et l'alcool et l'entraînement... relations très difficiles!!

    Bon été, bien mérité!

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