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La classe moyenne n’est pas en déclin

La taille de la classe moyenne québécoise ne décline pas, contrairement à la situation observée dans d’autres pays où elle est en crise. Pourquoi? Parce qu’au Québec la redistribution de la richesse a permis aux ménages de la classe moyenne de rester à flot malgré une diminution des revenus bruts tirés du travail salarié et du marché, qui est la source de bien des inquiétudes légitimes.

Je définis ici la classe moyenne à l’aide du revenu médian, soit celui qui divise toute la société en deux parts égales. Le revenu médian de marché (salaires, revenus autonomes et de placement) était de 58 100$ en 2008 (la dernière année disponible pour notre étude) dans les ménages comptant deux personnes ou plus, et de 18 300$ chez les personnes seules. Font partie de la classe moyenne les ménages qui ont entre 75% et 150% de ces revenus médians.
 L’analyse que j’ai publiée en 20101 montre clairement que la taille de la classe moyenne québécoise a décliné d’après les revenus de travail et de placements dans les derniers 25 ans. Le seul revenu de travail donnait en effet accès à la classe moyenne à environ le tiers des ménages en 1982 et à un peu plus du quart en 2008. La diminution s’explique cependant par le fait qu’une partie de cette classe moyenne a migré vers le haut et non vers le bas, car la société québécoise compte maintenant plus de ménages à hauts revenus, ce qui n’est pas étranger à la hausse des inégalités déplorée dans de récents rapports.

L’argent qui reste dans nos poches
Mais les revenus de marché ne disent pas tout. L’impôt direct et les paiements de transferts (allocations et revenus versés par l’État) contribuent en effet à corriger le portrait qui vient d’être esquissé. Si l’on considère le revenu disponible après impôts directs –soit l’argent qui reste dans les poches des contribuables– la proportion de ménages faisant partie de la classe moyenne augmente, celle des ménages les moins favorisés diminue, tout comme celle des ménages les plus riches, ce qui illustre l’efficacité des interventions de l’État.

D’après la mesure du revenu disponible, l’estimation de la taille de la classe moyenne monte à 45% en 1982 et à 36% en 2008. Chaque année prise séparément montre que l’intervention étatique favorise l’accès à la classe moyenne, mais la tendance de fond indique toujours une réduction de sa taille.

Quand les enfants quittent le nid
Le portrait change cependant lorsqu’on prend en compte la composition du ménage. Les familles avec enfants présents sont en effet moins nombreuses, il y a plus de couples arrivés à la phase du nid vide –dans leur cas, les enfants qui étaient présents en 1982 ont quitté la maison en 2008– et il faut donc en tenir compte dans nos analyses en pondérant les revenus par le nombre de personnes au sein des ménages. Cette donnée –appelée mesure du niveau de vie– donne l’heure juste sur la question du déclin.

Cette fois, la taille de la classe moyenne québécoise augmente à environ un ménage sur deux, et cette proportion reste assez stable durant les 25 ans étudiés. Donc pas de véritable déclin de la taille de la classe moyenne. Deux autres indicateurs confirment cette lecture: les ressources financières dont disposent la classe moyenne et les chances d’en faire partie.

Une question de perception
Première observation: les revenus moyens (revenus de marché et revenus disponibles) ont fait du sur place entre 1982 et 2008 au sein de la classe moyenne telle que définie, soit autour de 46 000$ pour les revenus de marché et autour de 44 600$ pour les revenus disponibles. Seuls les revenus des classes supérieures ont augmenté réellement, ce qui est une donnée connue qui a cependant son importance, car elle contribue à créer le sentiment d’une dégradation de leur situation relative au sein des ménages de la classe moyenne. Ce n’est donc pas la situation objective elle-même de la classe moyenne qui se dégraderait, mais bien sa situation relative, ce qui a une réelle incidence sur la situation telle qu’elle est perçue par ses membres.

Une question de chance?
Une seconde observation s’impose: les chances d’accès à la classe moyenne, associées à différentes caractéristiques comme l’âge, la scolarité, le type de ménage, la présence d’enfants ou le statut de propriétaire ou de locataire, sont restées bonnes et ont peu changé au fil des ans. C’est là un constat important qui complète le portrait d’ensemble. Par exemple, il y a moins de jeunes ménages au sein de la classe moyenne en 2006 qu’en 1982 –résultat de vingt ans de faible natalité–, mais les chances de ces jeunes d’en faire partie n’ont pas bougé durant ces années, soit une chance sur deux sur toute la période.

Il en va de même pour les ménages faiblement scolarisés: la part des personnes n’ayant qu’un seul diplôme d’études secondaires a diminué, mais celles-ci ont maintenu leur probabilité de faire partie de la classe moyenne, notamment dans le cas des ouvriers qui gagnent de bons salaires dans certains secteurs d’emploi. D’autres caractéristiques sont par ailleurs associées à de meilleures chances d’accès au groupe du centre; c’est le cas des diplômés des ordres d’enseignement postsecondaire et universitaire, un aspect de la question du déclin qui est peu souvent signalé.

Enfin, plusieurs types de ménages sont nettement moins bien représentés au sein des classes moyennes –les retraités, les personnes seules, les familles monoparentales et les ménages sans revenu de marché– mais les dernières statistiques montrent que ces ménages ont quand même amélioré leur chances d’accès aux classes moyennes, notamment dans le cas des retraités. Une partie des retraités vit mieux que ceux d’hier –donc les chances de faire partie de la classe moyenne se sont améliorées globalement pour ces derniers– mais bon nombre d’entre eux restent exclus du rêve d’en faire partie et nombre d’entre eux connaîtront même une détérioration de leur situation arrivés à la retraite.

1 « Mutations des classes moyennes au Québec entre 1982 et 2008» dans Les cahiers des dix, numéro 64, Québec, Les éditions Laliberté, 2010, p. 121-143.

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  1. Publié le 25 février 2012 | Par Régis Bigot

    Merci, Simon, pour cette présentation très claire et convaincante d’une problématique qui fait débat outre-Atlantique également. Ton analyse des effets «redistributifs» sur les classes moyennes vient nuancer une idée très prégnante en France et dans plusieurs pays d’Europe selon laquelle les classes moyennes seraient trop fortement ponctionnées par la fiscalité tout en étant négligées par l’État-providence. Ton propos rappelle fort justement que les prélèvements fiscaux rapprochent une partie des ménages aisés vers le centre de la distribution des revenus, de même que le versement de prestations sociales aux plus modestes les rapprochent aussi de cette médiane. En d’autres termes, l’État-providence contribuerait à renforcer les classes moyennes plutôt qu’il ne les déstabiliserait.

    Le CRÉDOC (Centre de recherche pour l’observation des conditions de vie, Paris, France) s’est associé à Guillaume Osier, chercheur au LIS (Luxembourg Income Study) et au STATEC (Institut National de la Statistique et des Études Économiques du Grand-Duché du Luxembourg) pour mener des analyses similaires à la tienne, dans une perspective internationale. Les résultats détaillés devraient être publiés vers la fin du mois de mars 2012. Sans trop déflorer son contenu, j’indique que cette recherche confirme en grande partie tes conclusions. Le déclin des classes moyennes n’est pas systématique dans tous les pays. Ce mouvement est, certes, dominant dans un grand nombre de nations de l’OCDE, mais dans un tiers des cas que nous avons étudiés, les classes moyennes se maintiennent ou sont plus nombreuses aujourd’hui qu’il y a 30 ans.

    Surtout, dans les pays où la redistribution sociale et fiscale est importante, les classes moyennes sont plus nombreuses que dans les pays où le poids de l’État dans l’économie est faible. Steven Pressman, un chercheur américain, s’était livré en 2006 à ce type de comparaison internationale dans un article très intéressant, et il arrivait aux mêmes conclusions (voir:
    http://www.lisdatacenter.org/wps/liswps/280.pdf. )

    Pour lever tout malentendu, je ne suis en en train de nier le profond malaise des classes moyennes. Bien au contraire, je pense que la pression sur le pouvoir d’achat n’a jamais été aussi forte, en raison à la fois d’une progression très lente des revenus depuis une dizaine d’années, mais également à cause de la forte inflation des coûts liés au logement depuis 1995 (loyers, remboursements d’emprunt, eau, gaz, électricité et autres charges). En France, le revenu des classes moyennes augmente très lentement, tandis que les dépenses liées au logement augmentent très rapidement: d’où cette pression croissante sur le pouvoir d’achat (pour une analyse plus détaillée, voir: http://www.credoc.fr/pdf/Rech/C249.pdf)

    Je me posais plusieurs questions en lisant ton billet, Simon. Quel est l’état de l’opinion publique canadienne sur ces questions? Les Canadiens ont-ils, comme en France, l’impression que la société se polarise de plus en plus? L’imaginaire collectif est-il hanté, comme en France, par le spectre d’une société en sablier, avec de plus en plus de riches, de plus en plus de pauvres et plus personne au milieu (pour un aperçu de l’opinion française à ce sujet, voir par exemple: http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R275.pdf)? Quel regard les Canadiens portent-ils sur le rôle de l’État? Ont-ils l’impression, comme c’est le cas de beaucoup de Français, que les classes moyennes supportent seules le financement de l’État-providence et qu’elles ne bénéficient d’aucune aide en retour? Observe-t-on, sur ces sujets, des spécificités entre le Québec et l’ensemble du Canada? Entre le Canada et les États-Unis?

    Merci en tout cas pour ton billet. Et bonne continuation dans tes recherches!

    Régis Bigot
    Directeur du département «Conditions de vie et aspirations»
    CRÉDOC, http://www.credoc.fr/
    Paris, France
  2. Publié le 19 décembre 2011 | Par Simon Langlois

    @ Pierre
    vos questions sont pertinentes ainsi que les réponses que vous leur apportez !
    Le budget pour le logement et pour les dépenses contraintes a augmenté au sein des classes moyennes. Il en résulte donc certainement une contrainte exercée sur le budget alimentaire. Ce point pourrait être creusé empiriquement, ce que je ferai en 2012.
    La contrainte de temps est aussi fondamentale. Les gens moins fortunés, comme ceux qui font partie du bas de la classe moyenne par exemple, achètent de la nourriture préparée afin de gagner du temps, mais celle-ci n’est pas nécessairement toujours de bonne qualité (friture, pizzas, hamburger, plats cuisinés salés, etc.). La variable «emploi du temps» devra dans l’avenir être prise en compte dans ce type d’analyse, comme le montre l’indice CIW traité dans le premier billet (http://www.blogues.ulaval.ca/simon-langlois/mesurer-le-mieux-etre-cest-possible/). Les gens de classe moyenne ont connu une baisse du revenu de marché, comme je l’ai montré, mais aussi une augmentation des contraintes de temps (transports plus longs, etc.). Or, la redistribution par l’État dont j’ai parlé ne peut pas grand chose sur ce plan.
    En fait, la classe moyenne a radicalement changé en trente cinq ans. Elle est devenu une constellation, une nébuleuse diversifiée, ce qui est en lien avec les phénomènes que vous soulevez. Je traite de ces changements dans le billet http://www.blogues.ulaval.ca/simon-langlois/la-classe-moyenne-change/.
    Votre commentaire est un bon apport à la position du problème des classes moyennes.
  3. Publié le 16 décembre 2011 | Par Pierre Fraser

    Simon Langlois (également mon directeur de thèse) nous dit : « la redistribution de la richesse a permis aux ménages de la classe moyenne de rester à flot malgré une diminution des revenus bruts tirés du travail salarié et du marché […] [1]». Je dois ici avouer que son analyse me pose 4 problèmes, car l’une de mes hypothèses de base à propos de l’obésité repose justement sur l’érosion de la classe moyenne, puisque « moins vous disposez de revenus, moins vous avez la possibilité d’être en santé. »

    Mon analyse ici : http://santeisme.com/2011/12/12/obesite-et-erosion-de-la-classe-moyenne.
  4. Publié le 12 décembre 2011 | Par Simon Langlois

    @ Carl Grenier
    Pourquoi 150% et non pas 125%, par symétrie avec la frontière du bas ? C'est pour tenir compte du fait que les revenus les plus élevés sont davantage dispersés que les revenus les plus bas, assez concentrés. En termes technique, c'est pour tenir compte de l'asymétrie de la distribution des revenus à la droite de la courbe. Cela permet d'avoir une définition plus englobante, plus large de la classe moyenne. Certaines études européennes vont jusqu'à 175%. Le choix dépend donc de l'ampleur qu'on veut donner à la classe moyenne en termes de modes de vie associés aux revenus considérés. Mais si on étire trop la frontières, alors on risque de confondre classes moyennes et classes socio-économiquement très favorisées.
  5. Publié le 12 décembre 2011 | Par Simon Langlois

    @ Rémy Auclair
    Vous avez raison sur toute la ligne. La distance entre le niveau de vie observable dans les classes moyennes et celui qui caractérise les classes socio-économiques supérieures tend à s'accroître comme le montrent les travaux sur la hausse des inégalités. Les ménages situés en haut de la frontière du 150 % -- et encore davantage, les plus riches ( + 250% de la médiane) -- s'en tirent mieux, notamment pour les raisons que vous mentionnez.
  6. Publié le 12 décembre 2011 | Par Simon Langlois

    @ Romaine Malenfant
    Votre commentaire est bien justifié et l'analyse différenciée par genre est importante. La question étudiée ici -la classe moyenne- est abordée du point de vue des ménages, et en ce cas il est difficile de séparer ce qui va aux femmes et ce qui va aux hommes, les deux partageant le même foyer. Par contre, les travaux les plus avancés sur la consommation permettent de séparer les dépenses spécifiques pour les femmes et pour les hommes (en plus des dépenses communes comme le chauffage du logement) dans les budgets familiaux, mais ce sera pour un autre billet, éventuellement, car l'étude reste à faire !
  7. Publié le 12 décembre 2011 | Par Rémy Auclair

    L'accession à la classe moyenne est loin d'être garante d’une situation économique enviable comme cela était le cas au cours de la période des Trente Glorieuses.

    En fait, cette couche dispersée est très défavorisée comparativement aux classes supérieures qui bénéficient largement d’avantages fiscaux (abris fiscaux) qui sont quasi inaccessibles à la classe moyenne. Cette fiscalité à géométrie variable, qui profite largement aux classes supérieures, avec la multiplication des d’abris fiscaux comme les CELI, REER, REA, dividendes, actions accréditives, gains de capitaux, fiducies familiales, dons, options d’achat d’actions et j’en passe, contribue à accroître les inégalités et place la classe moyenne dans une situation relative pour le moins désavantageuses.
  8. Publié le 11 décembre 2011 | Par Romaine Malenfant

    Je lis votre blogue avec intérêt. Les thèmes choisis sont des plus pertinents. Je constate cependant que les analyses proposées tiennent peu compte du genre. La situation des femmes a-t-elle à ce point rejoint celle des hommes sur des dimensions aussi importantes que l'accès au revenu et au mieux-être qu'il soit devenu obsolète d'en parler?
  9. Publié le 11 décembre 2011 | Par Jean-Pierre Beaud

    Merci à Simon Langlois pour cette analyse éclairante qui montre bien le rôle positif de la redistribution orchestrée par l'État dans l'atténuation des effets d'une tendance générale à l'augmentation des inégalités.
  10. Publié le 10 décembre 2011 | Par Carl Grenier

    Merci pour ce texte qui tombe à point ! La définition de la classe moyenne utilisée pour votre étude (revenus entre 75% et 150% du revenu médian) est-elle convenue généralement parmi les spécialistes de la question? Pourquoi est-elle biaisée vers le haut (25% d'écart vers le bas, 50% d'écart vers le haut)?
  11. Publié le 14 décembre 2011 | Par Simon Langlois

    @ Monsieur Davids
    Vous soulevez une question importante sur la manière de traiter de la situation des personnes vivant seules dans ce genre d’études car elles doivent assumer seules les coûts des items consommés. Il faudrait donc, et vous le suggérez avec pertinence, tenir compte des dépenses contraintes ou obligatoires comme le loyer, l’alimentation ou le téléphone. Je le fais dans d’autres travaux sur la consommation des ménages dont je parlerai un jour. À cause de cela, le seuil fixé par l’approche de la médiane donne une approximation trop grossière ou du moins incomplète de la situation des ménages de personnes seules. Je souligne cependant (en réponse à l’une de vos remarques) qu’il faut plus que le salaire minimum dans leur cas pour y avoir accès, car l’indicateur utilisé est le revenu disponible après charges payées. Mais malgré cela, le problème plus général que vous soulevez reste entier. Je vais en tenir compte dans de prochains travaux et grands mercis pour les remarques !
    Je reviendrai prochainement sur la question et je conserve en tête vos interrogations.
  12. Publié le 9 décembre 2011 | Par Stephen J. Davids

    Ainsi, une personne seule dont le revenu annuel était 75% de 18 300$, c'est-à-dire 13 725$, faisait partie de la classe moyenne?? C'est ce qu'on gagnait en travaillant environ 1700 heures au salaire minimum en 2008. Elle vivait où? Dans un 1 1/2 demi sous-sol dans Saint Coin-Coin-des-Marais? Vous appelez ça de la classe moyenne? Et la personne dont le revenu annuel était de 1$ supérieure à 27 450$ (1,5 x 18 300$), vous qualifiez de quoi la classe dont elle faisait partie? Pourquoi est-ce que vous n'analysez pas l'évolution d'un paramètre comme le nombre au-dessus du revenu médian et le nombre en dessous? Ou encore le revenu discrétionnaire qui reste après avoir payer le loyer, l'alimentation, l'habillement et le transport?

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