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Photo de Martin Dubois

La signature des architectes

Dans le cadre de mon travail, pour l’évaluation patrimoniale d’un bâtiment par exemple, j’ai souvent à identifier les architectes qui ont conçu le projet ou dessiné les plans. Ceci permet d’évaluer si l’immeuble est l’œuvre d’un architecte de renom ou s’il s’inscrit dans une pratique particulière ou dans la production courante de son époque, ce qui peut contribuer à sa valeur. Si certains architectes du passé sont facilement reconnaissables par un design qui leur est propre ou par l’utilisation d’un style en particulier, la plupart sont difficilement identifiables sans qu’on ne voie leur signature sur des documents tels que des plans, devis ou permis de construction. La chose serait si simple si les architectes signaient leur œuvre directement sur le bâtiment, comme le font les peintres sur leur toile!

La signature des architectes Croft et Pelletier sur la façade de la bibliothèque Paul-Aimé-Paiement de Charlesbourg, inaugurée en 2007.

La signature des architectes Croft et Pelletier sur la façade de la bibliothèque Paul-Aimé-Paiement de Charlesbourg, inaugurée en 2007.


Apposer une épigraphe

L’épigraphe est une inscription sur la façade d’un édifice qui peut comporter, notamment, la date de construction et le nom de son architecte (maître d’œuvre). Cette inscription peut être gravée dans la pierre lorsque le lieu le permet, ou inscrite sur une plaque de pierre ou de métal qui est apposée sur la devanture.

Bien que plus courante en sol européen, la tradition d’apposer sur les édifices des épigraphes portant le nom d’architectes est peu répandue en sol nord-américain en général, et au Québec en particulier. Sans avoir fait une recherche exhaustive sur le sujet, j’ai pu remarquer seulement quelques cas d’épigraphes à Québec qui datent toutes d’après la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agirait pour la plupart d’initiatives des architectes eux-mêmes. Par exemple, l’architecte Lucien Mainguy en a laissé plusieurs sur des édifices qu’il a conçus sur le campus de l’Université Laval. D’autres cas plus récents, mais tout aussi rares, ont également été aperçus sur quelques bâtiments publics. Il n’existe pas, à ma connaissance, de programmes ni d’incitatifs pour stimuler cette pratique.

Cela s’explique en partie par la faible culture architecturale de notre société et par la perception que celle-ci a de nos architectes. Bien peu de personnes sont capables de nommer trois architectes d’ici alors que les Européens connaissent beaucoup mieux leurs créateurs et peuvent nommer, au même titre que des écrivains, des peintres ou des sculpteurs, plusieurs architectes qui sont reconnus à l’échelle locale ou nationale. Dans certaines sociétés où les architectes sont considérés comme des créateurs à part entière, il devient plus normal que leurs œuvres soient identifiées et mises en valeur. Ici, les architectes sont bien souvent anonymes et ne prennent pas toujours la place qui leur revient.

Pour remédier à la situation, la Commission de la capitale nationale du Québec a récemment pris l’initiative d’apposer des épigraphes sur certaines œuvres architecturales majeures de la ville. J’ai eu la chance de réaliser pour elle une étude sur 10 architectes significatifs de Québec pour la période 1850 à 1920, tels que Charles Baillairgé, Joseph-Ferdinand Peachy, Eugène-Étienne Taché ou Harry Staveley. À partir de cette étude, la Commission a commencé à graver des noms d’architectes sur certains monuments dans l’espoir que les architectes d’aujourd’hui soient plus enclins à signer leurs œuvres afin de perpétuer cette tradition mettant en valeur leur contribution aux paysages bâtis de la ville. On s’entend que ce ne sont pas tous les bâtiments qui méritent d’être signés. Mais lorsqu’un architecte conçoit une œuvre dont il est fier et s’il a l’impression qu’elle traversera bien les âges, il aurait tout intérêt à la signer pour laisser sa marque personnelle.

Tache

Épigraphe récemment gravée sur la façade de l’ancien palais de justice de Québec (aujourd’hui édifice Gérard-D.-Lévesque), situé au 12, rue Saint-Louis, dans le Vieux-Québec. Il s’agit d’une initiative de la Commission de la capitale nationale lors de la commémoration du 100e anniversaire de la mort de l’architecte Eugène-Étienne Taché, aussi concepteur de l’Hôtel du Parlement.


Cette pratique aurait toutefois avantage à être balisée par l’Ordre des architectes du Québec par exemple, qui pourrait aussi l’encourager auprès de ses membres. L’encadrement de cette pratique est nécessaire, car si les ingénieurs en structure, en électricité et mécanique ainsi que les entrepreneurs et toutes les entreprises qui ont œuvré sur un immeuble veulent apposer leur griffe sur le bâtiment, il ne restera plus de place pour les graffiteurs!

L’architecture est-elle un art?
Dans notre société, l’architecture n’est pas vraiment considérée comme un art. Bien qu’à une certaine époque, les architectes étaient des diplômés de l’école des Beaux-Arts et que leur sens artistique était plus développé, il est difficile aujourd’hui de leur attribuer un statut d’artiste. Surtout que la profession d’architecte est devenue très complexe avec les connaissances techniques requises, les niveaux élevés de responsabilité professionnelle et la gestion des coûts qui sont au cœur de la pratique actuelle. L’architecte d’aujourd’hui est plus proche de l’ingénieur que de l’artiste.

Épigraphe de l’architecte Adrien Dufresne sur la chapelle du Mont-Thabor, 1175,  18e Rue, à Limoilou, 1953.

Épigraphe de l’architecte Adrien Dufresne sur la chapelle du Mont-Thabor, 1175, 18e Rue, Québec (1953).


Il n’est donc pas surprenant qu’aucun droit d’auteur au sens de la loi ne soit rattaché aux œuvres architecturales comme c’est le cas pour les œuvres littéraires, photographiques, artistiques ou cinématographiques pour lesquelles les auteurs et concepteurs sont beaucoup mieux protégés et reconnus. Cela a pour effet qu’au contraire d’un roman, d’un tableau ou d’une sculpture qu’on ne peut en principe reproduire, altérer ou détruire sans l’aval de son auteur, on se permet plus facilement d’altérer, de modifier ou de démolir des bâtiments d’intérêt sans daigner demander l’avis, et encore moins la permission, à l’architecte concepteur d’origine. J’ai été à quelques reprises témoin de situations où des architectes en fin de carrière ont vu certaines de leurs œuvres majeures complètement dénaturées ou démolies. J’y reviendrai probablement dans un prochain billet.

Peut-être que si on prenait l’habitude d’apposer une épigraphe sur les édifices avec le nom du concepteur, on se garderait davantage une petite gêne quand viendrait le temps de dénaturer l’œuvre d’un confrère ou d’un architecte de renom?

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