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L’égalité entre les sexes: acquis et paradoxes

L’idée d’égalité entre les femmes et les hommes est désormais acquise au sein des sociétés occidentales développées et elle est entrée dans les représentations sociales dominantes. Bon nombre d’enquêtes l’ont montré. Mais comme les changements sociaux s’accompagnent toujours de paradoxes, souvent inattendus, il en va de même pour la représentation sociale de l’égalité entre les sexes, qui en offre un exemple fascinant.

Expliquer la montée de l’égalité
Je rappellerai d’abord pour mémoire pourquoi la valeur égalité entre les sexes est largement acceptée chez une forte majorité d’individus:
1) les femmes ont eu massivement accès à l’éducation supérieure;
2) les femmes travaillent à l’extérieur du foyer en majorité;
3) les idéologies dominantes ont bien changé et sont maintenant plus libérales en matière de mœurs et de valeurs;
4) l’autoritarisme de l’État et de l’homme a régressé.

La condition féminine a changé dans le contexte plus général de la montée de l’individu comme référence. L’individu –celui qui écoute SA musique sur SON iPod ou dans SA voiture en se rendant à SON travail après avoir déposé SON enfant à la garderie dans le but de gagner SON revenu dans le cadre de SA carrière– a en effet remplacé, dans la société de consommation, la famille traditionnelle comme référence dominante. Cet individu, qui est aussi bien une femme qu’un homme, est en lien avec d’autres –les liens sociaux existent toujours, c’est entendu!–, mais il ne se définit plus comme subordonné à un rôle prescrit par la tradition. C’est là le changement majeur qui a marqué la condition des femmes, mères de famille certes pour la majorité, mais d’abord personnes autonomes et non enfermées dans leurs rôles maternels ni leurs rôles d’épouses soumises à leur mari, juridiquement ou autrement.

Par ailleurs, des changements structuraux importants ont favorisé l’émergence de l’égalité entre les sexes comme valeur dominante depuis 40 ans. D’abord, la baisse de la fécondité (autour de deux enfants par couple depuis les années 1970 au Québec) a joué en faveur du traitement égal entre filles et garçons dans les foyers. Ensuite, les cohortes de personnes traditionnellement sexistes et plus âgées ont été remplacées par de nouvelles ayant une représentation plus égalitaire des rôles. Enfin, la scolarisation plus poussée a encouragé l’émergence et la diffusion de valeurs nouvelles, plus libérales et égalitaires, dans l’ensemble de la population.

Nouvel essentialisme égalitaire
L’essentialisme égalitaire entre les sexes («les femmes et les hommes sont égaux») a remplacé l’essentialisme traditionnel sur les rôles sexuels («les hommes travaillent à l’extérieur et les femmes élèvent les enfants») qui marque encore bien des cultures sur la planète. On le voit au Québec dans les débats autour du voile islamique et des accommodements raisonnables: l’égalité entre les femmes et les hommes est non négociable, elle est une valeur fondamentale de notre société, etc. C’est devenu le mantra officiel rappelé dans tous les discours. Les crimes d’honneur, les mariages arrangés par les familles, la séparation des femmes et des hommes dans l’espace public (objet de débats en Israël) et autres comportements du genre, réprouvés depuis longtemps déjà, apparaissent encore moins acceptables dans le contexte égalitaire.

La société réprouve désormais qu’un travail soit moins bien rémunéré parce que plus souvent effectué par des femmes.

À noter que l’égalité entre les femmes et les hommes s’accorde avec ce qu’on pourrait appeler un «différentialisme égalitaire» –avec des différences entre les sexes comme le montre la division du travail– qui ne doit cependant pas générer d’inégalités. Si les femmes s’impliquent davantage dans les soins aux personnes, il est inacceptable que ce type de travail soit moins bien payé parce qu’effectué le plus souvent par des femmes.

Le néoconservatisme menace-t-il l’égalité entre les sexes?
On objectera que le néoconservatisme gagne du terrain –aux États-Unis et au Canada, mais aussi au Québec–, ce qui risque de menacer les acquis du féminisme et notamment la valeur de l’égalité entre les sexes, comme l’illustre la mommy war aux É.-U. opposant les femmes qui valorisent le rôle de la mère au foyer et celles qui concilient travail salarié et maternité. Cette menace n’est qu’hypothétique parce que les raisons qui amènent les acteurs sociaux à valoriser l’égalité entre les sexes sont trop fortes et que les changements structuraux évoqués plus hauts militent en faveur du respect de cette valeur acquise et bien ancrée, un peu comme le vote aux élections démocratiques est maintenant une valeur incontournable.

Une étude américaine récente1 faite à partir des enquêtes du programme de recherche General Social Survey apporte une réponse intéressante à la question posée sur la menace du néoconservatisme: l’égalité entre les sexes peut très bien coexister avec le retour à des valeurs plus traditionnelles. Rester à la maison pour élever les enfants est en effet un choix de vie tout à fait conciliable avec la valeur d’égalité entre les sexes. Ce comportement en apparence traditionnel est adopté plus souvent par les femmes pour des raisons variées et compréhensibles au sens de Max Weber: moins de stress sur les routes, moins de tension entre travail et famille, joie de voir grandir ses enfants, valorisation du rôle maternel par choix, etc. Ce comportement dit traditionnel n’est pas nécessairement inspiré par la tradition sexiste puisqu’il est aussi adopté par un nombre grandissant –et appelé à augmenter– de pères dans les pays ayant mis de l’avant les congés parentaux. Ces nouveaux pères au foyer sont encore marginaux, mais ils illustrent les nouvelles raisons que certains parents ont de rester au foyer avec leurs jeunes enfants. Et ajoutons que la valeur d’égalité entre les sexes est bien ancrée dans les couples, que la mère participe au marché du travail ou non.

Éviter l’amalgame
Autrement dit, de nouveaux comportements peuvent s’apparenter, mais en surface seulement, à des comportements traditionnels et donner l’impression d’un retour en arrière qui, en fait, n’en n’est pas un. L’amalgame doit être évité entre modèle traditionnel (et sexiste) venant du passé et nouveau modèle en émergence.

Le penseur Alexis de Tocqueville –dont je citerai souvent le nom dans ce blogue!– avançait que les mêmes causes ne produisent pas nécessairement les mêmes effets partout et toujours dans les sociétés. Appliquons la même logique à notre argument sur l’amalgame: des comportements identiques ne relèvent pas nécessairement les mêmes causes, surtout lorsqu’on examine des phénomènes changeant dans le temps comme la prise en charge des enfants. Les mères contemporaines (et de plus en plus de pères) qui restent au foyer avec les enfants ne le font pas pour les mêmes raisons que leur grand-mère ou que la femme immigrante qui débarque d’Afghanistan, encore marquée par la division sexuelle du travail.

Un paradoxe tocquevillien: plus grande sensibilité aux inégalités qui persistent
On rétorquera –et ce «on» inclut évidemment bien des féministes– que rien n’est encore gagné, qu’il reste d’importantes inégalités entre les femmes et les hommes, qu’il ne faut rien prendre pour acquis, etc. Or, ces remarques illustrent fort bien un autre paradoxe de type tocquevillien: à mesure que les inégalités diminuent, à mesure qu’un problème social régresse, les individus sont davantage sensibles aux inégalités qui persistent, aux problèmes sociaux qui perdurent. La violence envers les personnes diminue dans nos sociétés, mais on est davantage sensible à la violence qui perdure.

Il en va de même pour la condition féminine. Les attitudes sexistes sont en nette régression d’après les enquêtes, et nous sommes davantage choqués par celles qui subsistent. Ce paradoxe explique aussi qu’on soit davantage sensibilisé à la faible présence des femmes dans les hautes sphères de la finance et dans les grands conseils d’administration. Peu de gens avancent publiquement une explication essentialiste à cette sous-représentation («les femmes ont moins d’aptitudes à diriger» ou autre). Au contraire, les femmes en autorité dans des institutions prestigieuses –Christine Lagarde au FMI, Virginia Rometty, PDG d’IBM, ou Monique Leroux chez Desjardins– sont la preuve du contraire et leur exemple rend de moins en moins acceptable la sous-représentation féminine dans les hautes sphères. Même chose en politique.

Plafond de verre?
L’une des explications les plus courantes offertes pour expliquer les inégalités auxquelles font encore face les femmes dans plusieurs domaines est celle du plafond de verre qu’elles ne parviendraient pas à briser. Cette explication n’en n’est pas une –pas plus que ne l’était la «vertu dormitive de l’opium» d’autrefois pour expliquer l’effet de cette drogue!– et elle est en tout cas bien peu sociologique.

Les inégalités qui persistent s’expliquent plutôt par des causes bien réelles et un jeu de facteurs identifiables: les hommes de pouvoir choisissent d’abord d’autres hommes dans leurs réseaux qui contiennent peu de femmes, des préjugés continuent d’exister envers les femmes lorsque vient le temps de combler des postes de pouvoir, les femmes manquent d’information, la double tâche (travail et famille) touche surtout les femmes, etc. Autant de facteurs sur lesquels il est possible d’agir.

Que conclure?
Les grandes valeurs qui fondent nos sociétés développées –la liberté de religion, le choix démocratique des élus, le respect de la propriété privée, le respect de la vie humaine– ont mis du temps à être reconnues comme inviolables. Des siècles, dans la majorité des cas. Mais une fois établies, ces valeurs demeurent et il est impossible de revenir en arrière. Il en est de même pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Cela ne veut pas dire que ces valeurs soient respectées partout et toujours, même dans les pays qui les ont adoptées. Lorsqu’on s’en écarte, des individus et des mouvements sociaux luttent pour les réaffirmer –pensons aux indignés de Wall Street ou à ceux que révolte la corruption des mœurs publiques au Québec– et ces valeurs inspirent les revendications de citoyens dans les pays où elles ne sont pas encore pleinement reconnues.

1 «The end of the gender révolution? Gender role attitudes from 1977 to 2008», American Journal of Sociology, juillet 2011, 259-289.

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  1. Publié le 17 avril 2016 | Par Emmanuel

    Bonjour Professeur,
    Je suis Emmanuel, étudiant en 2e année de thèse de psychologie du travail et des organisations. J'effectue des travaux pour expliquer la faible représentation des femmes aux postes décisionnels dans le monde entier, et particulièrement dans les pays africains. J'ai une question pour vous. J'aimerais savoir comment évoquer le facteur de l'implication au travail, surtout chez des cadres féminins, pour expliquer la sous-représentation des femmes aux postes managériaux? Je serai très ravi d'avoir une réponse de votre part.
  2. Publié le 3 février 2012 | Par Daniel Côté

    Il s'agit d'un très bel article qui nuance bien, je crois, le paradoxe de l'égalité et de la différence. Je voudrais juste commenter un court passage où il est écrit que «Rester à la maison pour élever les enfants est en effet un choix de vie tout à fait conciliable avec la valeur d’égalité entre les sexes». Si, en effet, de plus en plus de femmes (ou d'hommes) le font par choix et non par contraintes ou obligations (norme sociale et culturelle), il faut considérer que l'un des deux conjoints qui fait ce choix se met tout de même dans une situation de vulnérabilité et de dépendance financière vis-à-vis l'autre conjoint. En cas de séparation, les conséquences peuvent être un peu plus tragiques pour la personne qui a quitté son emploi. Égalité et liberté de choix, peut-être, mais ça ne rime pas nécessairement avec autonomie et indépendance.
  3. Publié le 19 janvier 2012 | Par Mircea Vultur

    Merci encore à M. Langlois pour cette analyse claire et éclairante. J’ajoute un mot sur la question du «plafond de verre» comme explication véhiculée des inégalités auxquelles font face les femmes dans la société d’aujourd’hui. Ce type d’explication est justement très peu sociologique pour ne pas dire idéologique, et c’est, à mon avis, une fausse piste de croire qu’il réfère à des inégalités réelles. Le «plafond de verre» est construit par une démarche générale qui consiste à déduire directement des inégalités statistiques les injustices sociales. Le raisonnement est fondé sur l’hypothèse qui suppose a priori qu’il existe des injustices sociales à l’égard des femmes, et l’on déduit des inégalités statistiques observées la preuve de ces injustices dont on suppose préalablement l’existence. On choisit par exemple les chiffres qui montrent la proportion forte d’hommes dans les lieux de pouvoir pour confirmer l’injustice de la société à l’égard des femmes sans toutefois tenir compte des autres statistiques qui donnent aux femmes une large majorité, par exemple dans l’enseignement ou, dans certains pays, dans la magistrature ou qui indiquent que les métiers les plus pénibles sont exercés surtout par des hommes. L’interprétation de la relation statistique comme relation causale n’est pas soumise à une réflexion sociologique approfondie et, pour beaucoup de partisans du «plafond de verre», la justice sociale semble se traduire dans l’égalité des statistiques. Cette démarche n’invalide-t-elle pas la démarche sociologique même, à moins que l’on considère que les femmes et les hommes sont indépendants de leur famille, de leur culture, de leurs aptitudes, de leurs préférences?
  4. Publié le 18 janvier 2012 | Par Annie Cloutier

    Votre billet, en ce qui concerne la partie sur le choix de certaines mères (et pères, de plus en plus) de la classe moyenne d'être à la maison auprès de leurs enfants pendant quelques années va tout à fait dans le sens des résultats de ma recherche de maîtrise (Mères au foyer de divers horizons culturels dans le Québec des années 2000: représentations en matière de choix, d'autonomie et de bien-être). Comme elle vient tout juste d'être produite au sein du Département de sociologie de l'Université Laval, que vous dirigez, il me semble pertinent de vous en offrir ici le http://ariane2.bibl.ulaval.ca/ariane/?from=noticedetail&index=TI&requete=M%C3%A8res%20au%20foyer%20de%20divers%20horizons%20culturels%20dans%20le%20Qu%C3%A9bec%20des%20ann%C3%A9es%202000%20[ressource%20%C3%A9lectronique]%20:%20repr%C3%A9sentations%20en%20mati%C3%A8re%20de%20choix,%20d%27autonomie%20et%20de%20bien-%C3%AAtre%20/" >lien.
  5. Publié le 18 janvier 2012 | Par Hélène Périvier

    Un très bon texte même si je ne suis pas aussi optimiste que toi et pas d'accord sur certains points (même si le cas du Québec est peut être spécifique).
    Que le mouvement de «retour au foyer» ne puisse pas s'interpréter comme un simple retour en flamme du néoconservatisme, peut-être et même très certainement, dans le sens où les motivations des femmes qui retournent au foyer aujourd'hui ne sont pas les mêmes que celles des femmes des années 1950.
    Pour autant, les normes de genre sont encore structurantes de ces choix et c'est pourquoi je n'analyserais pas ces mouvements comme étant «égalitaires», sinon on verrait autant d'hommes que de femmes faire ces choix de «repli sur la famille». Or, on ne voit pas, en tout cas pas pour la France (mais c'est peut-être le cas au Canada) à l'heure actuelle de mouvement perceptible d'hommes qui s'investissent dans leur vie de famille (il y en a, certes, mais ce n'est pour l'instant pas statistiquement significatif). Du coup, j'interpréterais plutôt ce mouvement que tu décris comme une recomposition des normes de genre conservatrices qui pèsent sur les choix des femmes et sur leur autonomie (quoi qu'on en dise); et plus ou moins selon leur niveau d'éducation… les normes de genre marquent encore fortement de nombreuses sociétés (ex.: Allemagne, Italie, JAPON!!!!)
    Plus globalement, Lego (grande marque de jouet) sort sa gamme «girly»! Non seulement les jouets sont roses violets et tournent autour de la mode, la cuisine, etc., mais en plus il n’y a quasiment rien à construire, donc on prend les petites filles pour des idiotes… Alors que les Lego dit «de garçons» mobilisent un effort de construction important (vaisseau Star Wars par exemple).
    Pour un propos plus étayé sur l'illustration du renforcement de la sexualisation des jouets de l’éducation en général, voir le travail de la sociologue Marie Duru-Bellat (et en particulier le texte sur son blogue sur les jouets dits de filles: http://alternatives-economiques.fr/blogs/duru-bellat/2012/01/10/des-%c2%ab-lego-%c2%bb-a-la-rescousse-pour-former-de-%c2%ab-vraies-%c2%bb-petites-femmes%e2%80%a6/#comment-17" >).">http://alternatives-economiques.fr/blogs/duru-bellat/2012/01/10/des-%c2%ab-lego-%c2%bb-a-la-rescousse-pour-former-de-%c2%ab-vraies-%c2%bb-petites-femmes%e2%80%a6/#comment-17).
    Quand tu parles de «différentialisme égalitaire», il me semble qu'il s'agit là d'un voeu pieux: peut-il y avoir segmentation sans hiérarchisation? Je pose la question soulevée par de nombreuses chercheuses, depuis longtemps: peut-on penser masculin et féminin, et même femme et homme, sans mettre l’un au-dessus de l’autre? Voir le concept de valence différentielle de l'anthroplogue Françoise Héritier et d'autres (notamment Christine Delphy). On aimerait que cela soit possible, mais l'exemple des jouets d'enfants me rends peu optimiste.
    Par ailleurs, puisque tu parles d'«acceptation généralisée de la valeur égalité entre les sexes», il faudrait savoir ce que les gens entendent par «égalité» (une organisation traditionnelle du couple peut être perçue comme égalitaire par certains et pas par d'autres). Voir sur ce point le travail de la politiste Réjane Sénac et son excellent livre L'ordre sexué (paru aux PUF) et voir également les travaux de Maxime Parodi sur la perception des inégalités entre les sexes (in Les discriminations entre les femmes les hommes, Revue de l'ofce, n° 114, 2010).
    Il me semble que l'autonomie économique et la liberté réelle de l'individu est indissociable de l'égalité: or, la femme au foyer est dans une situation de dépendance (même si cette dépendance est partielle, car en cas de séparation le juge accorde une compensation).

    Autres commentaires
    Je dirais que la valeur «égalité entre les sexes» est désormais politiquement correcte, dans le sens où effectivement on trouve peu de gens pour affirmer que «les femmes sont inférieures aux hommes et qu'elles n'auraient pas les même droits», mais pour la mise en oeuvre effective de l'égalité (et ce qu'on entend par «égalité» encore une fois), ça c'est une autre histoire, me semble-t-il: la parité en politique ou l’accès aux sphères économiques décisionnelles en sont des bons exemples; sans intervention de la loi rien ne bouge et sans sanction juridique rien ne bouge non plus (y compris dans un pays comme la Norvège, égalitaire s'il en est, qui a dû en 2009 appliquer une loi très contraignante pour imposer le quota de 40% de femmes présentes dans les conseils d'administration des grandes entreprises!). Le problème est que l'égalité appelle, et même exige, le partage du pouvoir économique, politique et familial. Or ceux qui l'ont le plus souvent n'ont pas du tout envie de le céder, quelle que soit leur sympathie à l'égard de la valeur égalité...
    Autre point sur lequel je ne te rejoins pas, c'est quand tu parles de «valeur maternante» par choix des femmes au foyer, car en disant cela on sous-entend que les mères qui travaillent n'assument pas leur rôle maternel et au passage les pères en général non plus! Moi, je crois surtout que c'est un retour déguisé du néoconservatisme.
    Enfin, la référence à Tocqueville est évidemment stimulante, pour autant sa vision de l'égalité entre les sexes est loin d'une égalité réelle. Il me semble (sans être une spécialiste, donc je suis prête à entendre une leçon sur ce point) que Tocqueville ne pense pas l'égalité entre le sexe comme l'égalité en général, chacun et chacune à sa place! Il parle d'ailleurs «d'espèce d'égalité entre les femmes et les hommes» (cf. chapitre 7, livre 2 de De la démocratie: «Il y a des gens en Europe qui, confondant les attributs divers des sexes, prétendent faire de l'homme et de la femme des êtres, non seulement égaux, mais semblables...»; et aussi le ch. 10: «Comment la jeune fille se retrouve sous les traits de l'épouse»; et encore: «Vous ne voyez point d'Américaines diriger les affaires extérieures de la famille, conduire un négoce, ni pénétrer enfin dans la sphère politique»; encore et je m'arrêterai là: «Ils (les Américains) ont pensé que toute association pour être efficace devait avoir un chef et que le chef de l'association conjugale était l'homme». Alors je reviens à mon interrogation déjà évoquée plus haut: peut-on penser l'égalité dans ce cadre? À mon sens, non, mais à débattre.
  6. Publié le 16 janvier 2012 | Par Simon Langlois

    @ Simon Laflamme
    La question est bien sûr fort pertinente. Oui, c'est en effet un risque que la division sexuelle du travail «nouveau type» ne se transforme en rôle stéréotypé dans l'avenir, mais les raisons qui ont conduit à ce nouvel arrangement dont je parle sont assez fortes pour ne pas remettre en question -dans un avenir prévisible tout au moins- le nouvel essentialisme égalitaire entre les sexes (mot savant, mais qui dit bien ce qu'il veut dire). À plus long terme, on ne le sait pas, et de toute façon, nous serons morts (dixit Keynes!).
  7. Publié le 16 janvier 2012 | Par Simon Laflamme

    Pour l'essentiel, je vous suis dans votre propos sur l'égalité des sexes; il m'a plu de retrouver le paradoxe tocquevillien -on ne se rappelle pas suffisamment cette importante observation. J'ai trouvé, toutefois, que vous aviez bien confiance en l'avenir sur le destin de l'égalité entre les sexes. Si je vous suis sur le fait que même le choix de rester à la maison pour la femme, aujourd'hui, ne relève pas d'une logique ancestrale d'inégalité, sans m'associer à un féminisme a priori, je ne suis pas persuadé que les conditions sociales ne peuvent pas évoluer dans le temps de telle sorte que l'égalitarisme régresse.
  8. Publié le 12 janvier 2012 | Par Simon Langlois

    Pierre Fraser a raison d'amener la notion de réseau (objet de ma thèse de doctorat soutenue en 1980!) et surtout, de faire référence aux technologies, celles-ci jouant un rôle clé dans le processus d'individualisation dont je parlais. Mais attention, la notion de réseau ne doit pas être confondue avec celle de fluidité au sens de Baumann. Les réseaux sont en fait des «structures de relations non officielles» pour reprendre les mots de Vincent Lemieux. Les relations sociales, qui constituent un réseau, ne sont pas institutionnalisées (comme les relations de rôle dans une organisation: étudiant ou professeur), mais elles sont quand même structurées d'une certaine façon (réseau plus ou moins dense ou complet chez les uns ou les autres, etc.). Le réseau est un «potentiel de relations» (Vincent Lemieux): les amis des amis des amis, cela fait beaucoup. Cela explique aussi pourquoi les femmes en affaires ou en politique ont une faible présence aux plus hauts niveaux. Discrimination, certes, mais aussi réseau moins dense, moins connecté à celui des «old boys networks» si typique des hauts lieux de pouvoir en affaires ou en politique.
  9. Publié le 12 janvier 2012 | Par Pierre Fraser

    J’irai plus loin que Simon Langlois, et j’oserai prétendre que le type de lien social qui lie maintenant les individus n’a plus rien à voir avec celui que nous connaissions il y a à peine quelques années. Avec l’arrivée des technologies numériques, nous sommes entrés dans une société de type réseau dans laquelle l’individu est maintenant considéré comme un simple nœud du réseau auquel on peut se connecter à volonté, ou duquel on peut se déconnecter à volonté tout comme le font les technologies mobiles. Il s’agit là d’une redéfinition majeure du lien social par rapport à ce qu’il était auparavant.

    Mon analyse ici: http://pierre-fraser.com/2012/01/12/lindividu-devenu-simple-noeud-du-grand-reseau-social/" >.">http://pierre-fraser.com/2012/01/12/lindividu-devenu-simple-noeud-du-grand-reseau-social/.

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