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Photo de Simon Langlois

Portrait d'une mutation radicale

Les sociologues ont quelque peu négligé l’analyse de la stratification sociale de notre société, un objet de recherche pourtant classique dans leur discipline. Pour combler cette lacune, je voudrais livrer aujourd’hui quelques résultats qui font ressortir la mutation radicale de la stratification sociale au Québec depuis 35 ans.

J’ai groupé tous les emplois et tous les métiers exercés par la population active dans 10 grandes strates sociales, représentées dans le tableau ci-joint, dont j’analyse l’évolution entre 1971 et 2006 (dernière année disponible).

Ce tableau résume bien à lui seul l’un des aspects majeurs de cette grande mutation sociale. La population active a un peu plus que doublé durant cette période, mais les 10 strates sociales distinguées n’ont pas connu le même taux de croissance. Huit observations peuvent être tirées de ce tableau. 

Plus de cadres supérieurs et intermédiaires
On peut estimer à environ 88 000 le nombre de cadres supérieurs au Québec, représentant 2,2% du total des personnes actives, soit le double du célèbre 1% auquel la gauche fait souvent référence. La strate des cadres intermédiaires, des directeurs de service et autres administrateurs constitue un autre 2,2% et cette strate sociale est celle qui a crû le plus vite en 35 ans parmi les 10 strates que nous avons distinguées dans notre étude (+269%). 

En regroupant les 2 premières strates, on voit qu’un peu moins de 5% des personnes actives sont impliquées dans la gestion et l’encadrement à un niveau élevé de responsabilité. Cette proportion témoigne de la forte présence des grandes organisations tant privées que publiques dans notre société: Hydro-Québec, appareils de l’État, grandes sociétés, etc.

Professionnalisation accrue
Notre société a été marquée par la professionnalisation accrue de la main-d’œuvre, alimentée par la croissance des effectifs au sein des professions libérales mais aussi par l’arrivée de nouveaux professionnels dans la foulée de la certification des connaissances, notamment en sciences sociales. Cette tendance a été l’objet d’un billet précédent (voir le billet sur les professions).

Plus d’employés dans les professions intermédiaires
Bien des emplois typiques des classes moyennes peuvent être classés sous le chapeau des professions intermédiaires. On y trouve les infirmières, les enseignants, les employés spécialisés en administration et gestion de ressources humaines, par exemple. Leur nombre a crû plus vite que la population active et ils comptent maintenant pour plus de 8% du total.

La montée des techniciens
L’un des changements les plus spectaculaires est sans doute la montée des techniciens dans différents secteurs d’activité comme la santé, l’informatique, les communications, le travail de bureau ou l’administration, qui représentent maintenant l’un des groupes socioprofessionnels les plus importants dans notre société (15,1% du total).

Le travail de bureau se transforme
Les employés de bureau constitue le troisième groupement en importance au Québec, mais leur poids dans l’ensemble de la société a régressé durant la période examinée. C’est là une observation surprenante, mais qui se comprend avec le recul. Le travail de bureau s’est largement informatisé, ce qui explique que la croissance des emplois dans ce secteur d’activité ait été à un niveau inférieur à celle observée au sein de la population active. Fait à noter: la nature du travail de bureau a par ailleurs changé et une partie du travail de secrétariat d’hier est maintenant effectué par des techniciens.

Stabilité des emplois dans la vente
Les employés dans le secteur du commerce sont nombreux au sein de la société de consommation depuis des décennies. Ils représentent environ 10% de la main-d’œuvre totale en emploi et la croissance des effectifs dans ce secteur a suivi celle de la population active.

Les services aux personnes attirent davantage
Les services aux personnes ont gagné en importance dans notre société, notamment dans les secteurs de l’alimentation, de la santé, des loisirs et du bien-être personnel. La croissance de ces emplois traduit la marchandisation de différents services personnels autrefois rendus par les femmes au foyer, mais cette augmentation résulte aussi de la croissance des revenus discrétionnaires dont une partie est désormais affectée au bien-être des individus, ce qui implique le recours à des services personnalisés (esthéticiennes, agents de voyage, etc.).

La classe ouvrière régresse
Les emplois de cols bleus et les emplois manuels n’ont pas diminué en nombre –ils constituent encore la strate sociale la plus nombreuse–, mais la croissance de leurs effectifs (+31%) a été largement inférieure à celle de la population au travail. Le poids de ce qu’on appelait autrefois «la classe ouvrière» dans l’ensemble de la structure sociale a par conséquent été fortement réduit. Les emplois manuels et les métiers liés à l’agriculture représentent maintenant environ le 1/4 du total, contre plus du 1/3 en 1971. Le changement est majeur. Il résulte de la délocalisation des emplois dans le secteur manufacturier mais aussi des gains de productivité: on produit plus avec moins de main-d’œuvre et avec des employés très qualifiés comme les techniciens.

L’étude de ces données –par sexe et par génération notamment– nous occupera encore pendant quelque temps. Analyses à suivre…

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  1. Publié le 13 juin 2012 | Par Rémy Auclair

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