Les blogues Contact

La zone d'échanges entre l'Université Laval,
ses diplômés, ses donateurs et vous

Les blogues de Contact

Photo de Agnès Blais

Récit de voyage en Géorgie (1er de 3)

L’hospitalité géorgienne est si grande qu’elle émeut profondément et les paysages, entre végétation subtropicale et montagnes aux neiges éternelles, sont splendides. Pays méconnu à l’histoire millénaire, carrefour de commerce et cible de toutes les convoitises, la Géorgie est riche de ses échanges et de sa force identitaire, incroyable au vu de toutes les attaques dont elle a fait l’objet dans l’histoire et de tous les peuples qui la composent. La Géorgie a été occupée par les Grecs, les Romains, les Perses, les Arabes, les Turcs, les Russes.

Georgie

L’Orient orthodoxe
Les Géorgiens ont été convertis au christianisme par sainte Ninon de Cappadoce dès le 4e siècle, faisant de la Géorgie l’une des premières nations à adopter la religion chrétienne. Néanmoins, le nom de Géorgie ne vient pas de Saint-Georges, mais du grec «georgia» qui signifie agriculture. Cette foi chrétienne à toute épreuve est encore présente aujourd’hui; les Géorgiens m’ont souvent dit faire plus confiance au patriarche qu’au président.

À travers le pays on aperçoit sans cesse des cimes enneigées. Au nord, le Grand Caucase, au relief très accidenté et dont le plus haut sommet de la Géorgie, le mont Chkhara, s’élève à 5068 m. Au sud, la chaîne du Petit Caucase (jusqu’à 3724 m). Vaches, moutons, chevaux, cochons aux poils longs, parfois emmenés par leur pasteur, peuplent les routes et forcent l’arrêt. Dans les paysages à la végétation luxuriante surgissent des églises très anciennes et des forteresses antiques.

Le territoire de l’actuelle Géorgie a été occupé dès le 3e millénaire avant Jésus-Christ. Dans la Haute Antiquité, elle était composée des Royaumes de Colchide (Géorgie occidentale) et d’Ibérie (Géorgie orientale). Sans doute vous souvenez-vous de Jason et des Argonautes dont la quête de la Toison d’or en Colchide est relatée par les auteurs grecs au 6e siècle avant notre ère. Ou encore de Prométhée, condamné à être enchaîné sur une montagne du Caucase (aujourd’hui en Abkhazie). La Toison d’or ne désignerait pas un vêtement cousu de fil d’or, image mythifiée, mais un savoir-faire d’orfèvrerie, de la terre et du vin. Néanmoins, les bijoux d’or que j’ai vus au musée de Tbilissi sont parmi les plus beaux et les plus anciens (dès 3000 ans avant J.-C.).

Le vin serait né en Géorgie. Peut-être… En tout cas, il coule à flots. Il provient des régions viticoles de l’Imérétie ou de la Kakhétie. Le vin géorgien, plus fruité, vif, est complètement différent du vin français. On le produit encore souvent selon la tradition, c’est-à-dire dans des jarres de terre cuite.

Les toasts
La tradition des toasts est très importante et les déclamer constitue un art en soi. Ils peuvent s’avérer très longs et, souvent, j’ai bu mon verre après que nous ayons trinqué, alors qu’il ne s’agissait que d’une première vague et que la parole était donnée au suivant. Ces toasts vous aident cependant à ralentir le rythme, puisque le vin ou la chacha (eau-de-vie de marc de raisin qui atteint 70 degrés) sont bus d’un trait. Si cette façon semble quelque peu barbare, les mots, eux, sont respectueux et profonds.

L’homme d’autorité, appelé le tamada, prononce les toasts dans l’ordre suivant: le 1er va à la paix, le 2e à Dieu, le 3e aux disparus, le 4e aux vivants et aux enfants, le 5e aux ancêtres et à la famille, puis à l’amour et aux femmes. Ensuite, à tour de rôle, dans le sens des aiguilles d’une montre, chacun s’exprime.

Moi, je veux porter un toast aux Géorgiens et aux larmes de joie que leur chaleur humaine et leur générosité suscitent.

De Moscou à Tbilissi
Je suis partie de Moscou en voiture, en passant par le Caucase russe (Ossétie du Nord) puis par la route militaire de Géorgie.

RouteMilitaire

J’ai la chance de faire le voyage avec Levan, Géorgien devenu Russe, qui n’a pas revu son pays depuis 20 ans! Sa famille a quitté la capitale, Tbilissi, pour s’établir à Moscou en 1993, après la chute du régime soviétique, au moment où Tbilissi n’avait pas d’électricité ni d’eau courante et où son père, journaliste et historien, ne pouvait plus subvenir aux besoins de sa famille. «Je me souviens des cris de joie de la ville en liesse quand, le soir venu, elle s’illuminait pendant une heure. Tu devais tout faire: te laver, la lessive, le thé, etc. Je me souviens de l’odeur acre de la fumée du feu pour chauffer l’appartement.» Les années 90 ont été extrêmement difficiles en Russie comme dans les pays de l’ex-URSS. La Géorgie était plongée dans une grave crise économique et plusieurs Géorgiens ont quitté le pays.

Tout au long de notre périple, les parents de Levan nous ont accueillis avec une immense générosité, partageant festins, vin, traditions et histoire. Dans la culture et la langue géorgiennes et dans le Caucase en général, la famille se comprend au sens élargi du terme. Elle inclut toujours les cousins comme des frères, et les parents par alliance sont considérés de sang. La route qui traverse le sud de la Russie a été une épreuve. Nous avons passé des villes russes nommées Vie heureuse, Bien, Liberté. Ces dénominations de gaieté n’ont pas reflété notre sentiment de rage qui a crû à partir du kraï (région) de Krasnodar. Nous nous sommes fait arrêter 6 fois par la police de la route, les guibededechnikis (GIBDD), parfois parce que nous n’avions pas vu un signe invisible, parfois parce que nous avions un peu dépassé la limite de vitesse, parfois sans raison. Résultat, nous avons payé environ 250$ de bakchich et c’est parce que Levan sait bien argumenter.

«Montrez-moi votre arme blanche», dit le GIBDD en ouvrant la boîte à gant.
-Mais nous n’avons pas d’arme blanche.
-Ouvrez le coffre, poursuit-il. Où est votre arme blanche? Donne-moi 200 roubles (7$!!!).

Le seul point de passage routier traverse le Caucase russe par l’Ossétie du Nord et la ville de Vladikavkaz. La frontière avec la Géorgie est située dans le défilé du Darial (1200 m d’altitude). La route en hauteur suit le précipice au fond duquel bouillonnent les eaux de l’Aragvi. Le passage du col de la Croix s’effectue à 2383 m et le plus haut sommet, le mont Kazbek, s’élève à 5047 m.

Au retour nous avons pris un dernier café turc dans la dernière ville géorgienne, Kazbegui. Les dames, mingréliennes, écoutaient une série télévisée médiévale chevaleresque, turque aussi. Nous leur avons acheté du vin. «Si vous n’arrivez pas à passer la frontière russe à temps, revenez, nous vous logerons.» Elles nous précisent qu’ici, en hiver, le patriarche paie le gaz. Le défilé du Darial et le col de la Croix sont mentionnés dès l’Antiquité par plusieurs chroniqueurs arabes, perses et grecs. Caravanes et envahisseurs ont emprunté cet axe routier.

Kazbegui

À l’aller, nous avions fait cette même route de nuit, une très mauvaise idée vu son piètre état par endroits. Nous avions suivi une Jiguli visiblement habituée au pays, contrairement aux grosses Jeeps beaucoup plus lentes. Au retour, de jour, plus sages, nous avons découvert un paysage splendide.

KhinkalisÀ travers tout le pays, les Géorgiens nous avaient dit que c’était dans cette région, plus précisément à Nelis Dukani qu’on trouvait les meilleurs khinkalis (spécialité géorgienne, comme des raviolis en forme de figue). Le restaurant où nous nous arrêtons est étonnamment petit et modeste. Les khinkalis sont succulents et, après tout mon séjour, j’ai enfin réussi à maîtriser la technique pour les manger, en aspirant le jus de la viande sans faire de flaque dans mon assiette.

Tbilissi, les quartiers historiques, les bains
La capitale, Tbilissi, est douce et agréable, construite le long des rives de la rivière Mtkvari. Des infrastructures modernes réussies se marient bien avec les quartiers historiques. Les superbes balcons de bois sculpté accrochés aux maisons rappellent les influences orientales et turques, façon géorgienne. C’est dans le quartier de Betlemi, l’un des plus anciens de la ville, qui s’élève à flan de rive et auquel on accède par des séries de marches, que j’ai vu les plus beaux spécimens. Ils datent du 19e siècle.

BalconBetlemi

Balcon2

EscaliersBetlemi

Ce quartier cache aussi un ateshgah, mot emprunté au perse qui désigne un temple de feu. Les Perses ayant conquis la Géorgie du 5e au 7e siècle, il existe, à Tbilissi, un temple de feu zoroastrien construit dans cette période. Ces temples sont rares en dehors de l’Iran. Le temple aurait ensuite été transformé en mosquée entre les 7e et 8e siècles. Il a cependant toujours conservé sa dénomination d’ateshgah.

Puisque je sais qu’il faut entrer dans les cours intérieures, je passe la porte et l’escalier de pierre. Une jeune femme est accoudée à un balcon, une vieille dame à un autre puis, du haut du dernier étage, un homme nous fait signe de monter. La cour est remplie d’un bric-à-brac, encadrée d’un dédale d’escaliers. Du haut de sa terrasse, Aram a une très belle vue qu’il voulait nous faire partager. Dans un petit espace, il a installé une table ronde sur laquelle sont posés en permanence moulin à café, tasses et cafetière. Il me fait un café turc, puis nous montre l’atelier en ruine et le minuscule cabinet où son père confectionnait des chaussures, «une spécialité arménienne», dit-il. Beaucoup d’Arméniens vivent à Tbilissi et dans le sud du pays.

Comme il n’y a pas d’eau chaude dans l’appartement, je me lave aux bains. Je suis arrivée dans un authentique bain oriental comme une pure étrangère, gênée, ne sachant que faire de mon corps. Dans la salle haute et sombre aux murs de mosaïques et aux fenêtres élevées d’où percent des rais de lumière, il y a plusieurs douches et bassins d’une eau sulfureuse curative. Les dames responsables des lieux me passent au gant de crin, vinaigre et massage. Dans la salle d’à côté, où l’on se change, les femmes discutent entre elles, coiffent, font des pédicures et des manucures, fument. Des commerçantes passent pour vendre sandales et vêtements.

Après quelques jours à Tbilissi, nous sommes partis en voyage à travers le pays. Je vous raconterai nos découvertes dans le prochain billet.

Je veux vous laisser sur cette vidéo montrant Niko, que nous avons pris en autostop. Il est musicien et nous a joué du panduri (guitare traditionnelle à trois cordes). La musique et les chants géorgiens sont eux aussi magnifiques.

2 autres billets complètent ce récit de voyage: 2 et 3

Haut de page
  1. Aucun commentaire pour le moment.

Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.

commentez ce billet

M’aviser par courriel des autres commentaires sur ce billet