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Photo de Louis-Philippe Lampron

Catalogne: les dangers du légalisme

Le 1er octobre 2017 aurait pu être, pour les Catalans, une journée marquée par la joie de pouvoir exprimer collectivement leur opinion sur une question toute simple, bien que susceptible d’entraîner des conséquences politiques majeures: «Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous forme de République?»1. Ce fut plutôt une journée noircie par une importante répression de la part des forces policières espagnoles, au cours de laquelle plusieurs centaines de citoyens et de citoyennes furent blessés alors qu’ils tentaient de se rendre aux urnes (au total, 42% ont pu exercer leur droit de vote). Ces violences —que d’aucuns qualifieront avec raison de dérapage politique— ont tenté d’être justifiées par des arguments très légalistes, lesquels représentent un danger pour toute démocratie.

Catalogne

Des violences justifiées?
Parce qu’elles provenaient du cœur de l’Europe, les images de violences à l’égard de citoyens pacifiques souhaitant exercer leur droit de vote étaient aussi choquantes que stupéfiantes. Pour justifier sa décision d’envoyer ses forces policières et tenter d’empêcher, manu militari, la tenue du référendum sur l’indépendance de la Catalogne, le gouvernement espagnol se fonde essentiellement sur le fait que cette consultation était contraire à la Constitution, et donc illégale. En effet, le Tribunal constitutionnel a confirmé que la Constitution espagnole ne permet pas qu’une communauté autonome (comme la Catalogne) organise un référendum sur son indépendance2. S’il est vrai d’affirmer que ce référendum était inconstitutionnel au sens du droit espagnol, on verse dans un dangereux légalisme en se limitant à ce seul état de fait pour justifier les violences policières qui ont eu cours le 1er octobre en Catalogne. 

Qu’est-ce que le légalisme?
En quelques mots, on pourrait résumer le légalisme en un type de sophisme où l’on se limite exclusivement à une analyse littérale de certaines règles de droit pour tirer des conclusions (ou des justifications) qui ont trait à la morale ou, plus largement, au domaine de la légitimité politique. Ainsi, un légaliste pourrait transformer la phrase suivante: «Ce n’est pas très moral, peut-être, mais c’est légal.» (qu’on entend souvent dans les débats concernant la lutte aux paradis fiscaux) en celle-ci: «C’est légal, et donc c’est moral.» 

Cet amalgame des sphères de légalité et de moralité ou de légitimité politique en une seule catégorie est particulièrement dangereux en ce qu’il implique la négation d’un principe fondamental au cœur de toute société démocratique: la possibilité de critiquer, de s’opposer et, à terme, de modifier les lois lorsque, justement, elles mènent à des situations considérées comme «injustes» pour la majorité de la population. Cette nécessaire distinction entre légalité et légitimité a notamment été fort bien décrite par Stéphane Hessel dans un entretien paru en 2010: 

«Je souligne toujours l’écart entre légalité et légitimité. Je considère la légitimité des valeurs plus importante que la légalité d’un État. Nous avons le devoir de mettre en cause, en tant que citoyens, la légalité d’un gouvernement. Nous devons être respectueux de la démocratie, mais quand quelque chose nous apparaît non légitime, même si c’est légal, il nous appartient de protester, de nous indigner et de désobéir.»3 

Les limites du légal
Tout régime juridique comporte une large part de zones d’ombre, d’imprécisions et, parfois, carrément d’indétermination. Une lecture légaliste de la Constitution canadienne, par exemple, pourrait interdire toute contestation d’une loi qui aurait pour effet de suspendre les droits et libertés des justiciables canadiens. En effet, l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés permet à tout législateur, qu’il soit fédéral ou provincial, de suspendre l’application des articles 2 et 7 à 15 de la Charte (articles qui protègent notamment les libertés fondamentales, le droit à l’égalité et le droit à la vie) pourvu qu’il adopte une disposition législative dans laquelle il affirme clairement son intention. Il va sans dire que la légalité constitutionnelle d’une telle disposition législative n’empêcherait pas la société civile de la contester avec force (espérons-le!) dans l’espace public, ni ne justifierait l’envoi de forces policières pour empêcher la tenue d’activités visant à contester cette même loi. 

Une question de démocratie
Il est important de le rappeler, la tenue de toute consultation populaire se veut, concrètement, un appel à l’expression collective. Ainsi, au-delà des débats et des arguments qu’il est possible de faire valoir concernant la légalité du référendum catalan à l’intérieur du cadre constitutionnel espagnol, sa tenue constituait clairement une activité protégée par les libertés d’expression et de réunion pacifique qui permettent à toute personne —ou groupe de personnes— d’exprimer son point de vue de manière pacifique dans l’espace public. 

Ce faisant, la décision du gouvernement espagnol de dépêcher des policiers pour empêcher la tenue de cette consultation populaire doit être considérée comme un acte ayant pour objectif de brimer, par la force, l’expression de l’opinion politique des Catalans concernant leur désir de demeurer ou non au sein de l’État espagnol. Dans une telle optique, l’hésitation de plusieurs leaders des pays occidentaux à dénoncer la répression policière du 1er octobre semble difficilement compatible avec l’importance des libertés fondamentales consacrées, notamment, par la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 

Jusqu’ici, le premier ministre canadien Justin Trudeau est demeuré avare de commentaires concernant la répression policière du référendum catalan, s’en tenant à la ligne selon laquelle il n’est pas adéquat de s’ingérer dans les affaires internes d’un autre pays4. Cette justification pourrait tout à fait se défendre si ces enjeux ne concernaient que la position de Madrid (et du Tribunal constitutionnel espagnol) sur la légalité de la consultation. Mais dans le cas présent, elle témoigne d’un inquiétant manque de courage politique en ce qui concerne la dénonciation des violences policières du 1er octobre dernier. Les questions liées au respect des droits et libertés de la personne, en particulier ceux qui concernent l’expression pacifique de convictions politiques dans l’espace public, ne se limitent pas à une simple question de régie interne: elles concernent tous les États démocratiques!

1 AFP, «Référendum sur l’indépendance en Catalogne: ce que l’on sait» Libération, 2 octobre 2017, [en ligne: http://bit.ly/2kUgk94]

2 Voir notamment: AFP, «L’interdiction du référendum catalan confirmée par le Tribunal constitutionnel espagnol», Le Monde, 25 février 2015, [en ligne: http://lemde.fr/2xKc3eo] ainsi que Sandrine MOREL, «La Cour constitutionnelle espagnole suspend la loi de référendum catalane», Le Monde, 8 septembre 2017, [en ligne: http://lemde.fr/2f98ZgN]

3 Olivier DOUBRE et Jean-Claude RENARD, «Le motif de la résistance, c’est l’indignation», Politis, 18 novembre 2010, [en ligne: http://bit.ly/2ymGGp5]

4 Mélanie MARQUIS, «Catalogne: Trudeau se garde toujours de réagir directement à la situation», La Presse, 3 octobre 2017, [en ligne: http://bit.ly/2gdvSzH]

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