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Photo de Ivan Tchotourian

Le retour des hedge funds

C’est une série d’actualités relayées dans la presse économique et financière, ainsi qu’un article de Mme Diane Bérard, «L’ère de l’activisme», paru dans Les Affaires, qui m’amène à discuter des fonds spéculatifs ou fonds de couverture, plus connus sous le nom de hedge funds1. Si les hedge funds ont été par le passé associés à des scandales économiques et financiers (dont le plus récent est la crise économico-financière de 2007-2008), ils sont à nouveau au cœur de la controverse (voir mon billet sur la loi Florange).

Close-up computer monitor with trading software. Multiple exposure photography.

Depuis quelque temps, certains hedge funds développent une nouvelle activité: l’investissement dans les entreprises par l’entremise d’achat de titres. Utilisant leur statut d’actionnaire, ils sont accusés d’activisme. On leur reproche de pousser certaines sociétés à générer des rendements financiers rapides sans égard aux conséquences négatives à long terme de cette stratégie pour les entreprises, leurs parties prenantes et l’économie2.

Je vous propose de revenir sur ces acteurs de la finance et de nous questionner sur ce que le droit et les bonnes pratiques de gouvernance pourraient apporter comme réponse à leur activisme décrié.

En quoi consistent les hedge funds?
Exerçant des activités à risque de nature spéculative, les hedge funds sont des acteurs influents de l’économie. Leur nombre est estimé à plus de 10 000, et leurs actifs connaissent une croissance annuelle de 20% depuis 2000. En 2008, le montant géré par ces fonds spéculatifs était estimé à environ 2000 G$. Aujourd’hui, il atteindrait près de 3000 G$. Les activités de ces fonds représentent respectivement 40% et 50% des transactions du New York Stock Exchange et du London Stock Exchange. Le montant total des actifs qu’ils génèrent a évolué de la manière suivante ces dernières années:

hedge_funds

Quelles sont les caractéristiques des hedge funds?
Selon l’Office québécois de la langue française, un hedge fund est «un fonds d’investissement habituellement considéré comme très risqué, portant principalement sur des produits à effet de levier particulièrement élevé, c’est-à-dire permettant, pour des mises limitées, d’opérer sur des montants beaucoup plus importants, mais avec des risques considérables, et dont les stratégies sont très diversifiées et différentes de celles habituellement employées par les gestionnaires de fonds de placement traditionnels». Comment se caractérisent ce type de fonds?

  1. Ils sont moins encadrés et plusieurs sont extraterritoriaux

En droit des valeurs mobilières québécois, les hedges funds relèvent de la catégorie des fonds d’investissement, mais sont soumis à des restrictions réglementaires moindres que les fonds classiques. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont fait part, en 2013, d’un projet visant à moderniser l’encadrement des fonds spéculatifs (dont font partie les hedge funds). Dans un souci de modernisation, les ACVM ont revu les modalités d’accès des investisseurs qualifiés aux produits fournis par ces fonds, plutôt que de régir directement les activités à risque exercées par les hedge funds.

De plus, une grande partie des hedge funds est située dans des États extraterritoriaux (offshore) tels que les îles Caïmans, Jersey, les Îles Vierges ou des zones à fiscalité souple comme le Luxembourg, le Delaware ou l’Irlande.

  1. Ils utilisent des techniques financières spéculatives

Les hedge funds sont structurés pour que leur rendement ne soit pas, ou peu, influencé par l’évolution des marchés boursiers et obligataires. Ainsi, leurs stratégies se basent sur l’utilisation de techniques spéculatives. Parmi elles se trouvent les produits dérivés. Un produit dérivé se définit comme un instrument financier découlant d’un contrat conclu entre 2 parties à des fins spéculatives ou de couverture et portant sur un actif sous-jacent. Cet actif sous-jacent peut-être financier (actions, obligations, etc.) ou physique (matières premières). Selon les termes prévus par les parties, le contrat en question peut se dénouer par le versement d’une somme d’argent ou par la livraison physique de l’actif sous-jacent.

Les produits dérivés prennent différentes formes et couvrent une variété d’instruments qui obéissent à des règles différentes. Ils se classent en 2 types de biens distincts. D’une part, les produits fermes qui comprennent les contrats à terme (futures) et de gré à gré (forwards). D’autre part, les produits optionnels incluant les couvertures de défaillance (credit default swaps), les options d’achat (calls), les options de vente (puts) et les contrats sur la différence (contracts for difference).

Les hedge funds utilisent aussi d’autres techniques de gestion spéculative comme l’effet de levier ou la vente à découvert.

  1. Ils sont très diversifiés

Les domaines d’investissement des hedge funds visent tous les secteurs: les marchés traditionnels (actions et obligations), les marchés de matières premières ou d’autres plus spécifiques tels que les marchés des œuvres d’art et des œuvres cinématographiques. Le principal critère d’investissement est celui de la rentabilité du placement, sans égard à sa forme ou à son secteur.

  1. Ils sont gérés par des équipes de haut niveau fortement rémunérées

Les hedge funds sont gérés et dirigés par d’anciens opérateurs de marché (traders) ou analystes financiers ayant travaillé pour les plus grandes banques mondiales. Ils comptent également parmi leur rang les meilleurs traders de leur secteur d’activité et les meilleurs diplômés des grandes écoles. Contrairement aux modalités traditionnelles de gestion d’actifs, les politiques de rémunération des gérants de hedge funds sont exponentielles.

  1. Ils s’adressent à des investisseurs spécifiques

Les services offerts par les hedge funds sont réservés à des investisseurs qualifiés ou avertis. Les investisseurs qui souscrivent aux services des hedge funds doivent être en mesure de supporter les risques de pertes importantes auxquels ils sont exposés. Si, historiquement, la clientèle des hedge funds était constituée d’investisseurs individuels fortunés (personnes physiques), depuis les années 2000, celle-ci s’est élargie. D’après une étude réalisée par TheCityUK, leur clientèle se décline désormais de la manière suivante: 

TheCityUK

Comment encadrer l’activisme des fonds spéculatifs?
Si la démarche des hedge funds peut susciter l’intérêt, leurs motivations et leurs méthodes sont discutables et… discutées. En effet, ces fonds (souvent de passage au sein d’une entreprise) vont dès leur entrée imposer une vision actionnariale au CA, aux hauts dirigeants et aux autres actionnaires. Les hedge funds pratiquent un activisme dur, voire agressif3. Certes, ils recourent aux instruments traditionnels de l’activisme : exercice du droit de vote, course aux procurations, proposition actionnariale, droit de convoquer une assemblée, droit de poser des questions lors d’une assemblée… Mais, ils n’hésitent pas à faire appel à certains moyens modernes que leur fournit la finance pour jouer de leur influence sur les décisions et les grandes orientations des entreprises. Comment baliser cette tendance?

  1. Un CA responsabilisé, placé au centre du jeu et qui dialogue

De par ses larges pouvoirs, le CA est bien placé pour prendre des mesures permettant d’éviter ou de contrer les attaques des hedge funds. Toutefois, l’effectivité de son rôle dépend de plusieurs qualités chez ses membres. En effet, la présence d’administrateurs compétents, qui respectent des normes générales de conduite (loyauté, prudence et diligence), qui possèdent une compréhension des enjeux de l’entreprise et qui sont activement engagés envers elle et ses actionnaires est nécessaire.

Revenons quelques instants sur ce dernier aspect. «[I]n the last decade, and especially in the past five years, boards of directors of large publicly traded corporations have begun to shed their passivity and dependence»4. Autrement dit, l’étiquette de passivité longtemps attribuée aux CA est désormais révolue. Le temps est venu pour les administrateurs de devenir eux-même des activistes5.

Récemment, le spécialiste Ira Millstein a consacré un ouvrage à cette thématique des administrateurs activistes qu’il conclut de la sorte: «The solution I propose is more difficult. It is to create a new breed of activist director, one who is conscious of the effects of decision-making, who will drill deeply into a corporation’s financials and culture, who will ask tough questions of the CEO when he or she veers off course or when the numbers include unexpected special write-downs»6. Le même auteur a ajouté: «Most important, we need directors who reject the « nose in, fingers out » (NIFO) attitude that prevails in too many boards –the idea that it is only the CEO who is in charge of the corporation’s future».

Ainsi, pour devenir activistes, les CA devraient:

  • licencier eux-mêmes les mauvais administrateurs;
  • identifier les lacunes stratégiques de leur entreprise en comparant leurs résultats avec ceux de sociétés concurrentes ayant déjà subi une intervention activiste des hedge funds et en les rectifiant;
  • instaurer des régimes de droits en prévision ou à l’arrivée d’un hedge fund tout en veillant à ne pas porter atteinte aux droits des actionnaires déjà présents;
  • solliciter les conseils de spécialistes pour évaluer la pertinence d’une stratégie.

Les CA activistes devraient également établir un dialogue avec les actionnaires. Ce dialogue (appelé «engagement») est une norme qui se répand aux États-Unis7, dans certains États européens (dont le Royaume-Uni), en Afrique du Sud et en Australie. Elle est mise en application par l’intermédiaire des pratiques, de l’éthique de stewardship (responsabilité dans la gestion humaine) ou du droit traditionnel.

Au Canada, le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains, a déposé le projet de loi C-25 visant à réformer la loi sur les sociétés par actions avec l’objectif affiché de moderniser les communications entre les sociétés et leurs actionnaires. Depuis quelques années, les organismes canadiens chargés de promouvoir les bonnes pratiques de gouvernance (Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, Institut des administrateurs de sociétés, etc.) incitent d’ailleurs les CA à mettre en place des mécanismes d’interaction auprès des actionnaires. Ces interactions sont encore plus capitales dans le contexte d’une attaque de hedge funds. En effet, le succès des pratiques associées aux hedge funds résulte du soutien qu’ils obtiennent de certains actionnaires de l’entreprise. Or, établir une proximité entre le CA et tous les actionnaires contribue à réduire l’asymétrie d’information dont profitent les hedge funds.

  1. Un droit de vote des actionnaires mieux compris et bien encadré

L’investissement dans les titres de sociétés réalisé par les hedge funds a entraîné l’émergence de phénomènes nouveaux comme la propriété occulte (hidden ownership) et le vote vide (empty voting). Ces phénomènes sont qualifiés de découplage (decoupling  ou new vote buying).

Le vote vide vise à accroître le pouvoir politique de certains actionnaires (découplage de risque négatif). Il consiste pour un opérateur à acquérir, de manière non traditionnelle (stratégie de couverture par l’entremise d’instruments financiers, prêt de titres, captage de votes à la date d’enregistrement) les titres d’une société. L’opérateur obtient alors en apparence le statut d’actionnaire. Les votes liés à ces titres peuvent être utilisés soit par des personnes qui n’ont pas investi dans la société, soit par des investisseurs qui gagnent alors un nombre de votes supérieurs à ceux qui correspondant aux actions qu’ils détiennent. L’opérateur n’est pas propriétaire des titres, mais il en use pour la durée du contrat. Il risque d’utiliser son pouvoir de vote au profit d’intérêts étrangers à la société, au détriment de celle-ci et des autres actionnaires. Dans ce cas, les intérêts politiques excèdent les intérêts économiques.

La propriété occulte relève de la prémisse inverse dans laquelle les intérêts économiques excèdent les intérêts politiques (découplage de risque positif). Le phénomène renvoie à la situation de l’actionnaire d’une société possédant des intérêts économiques secrets (accumulés) par l’entremise de procédés occultes (produits dérivés) et qui entend contourner les règles de divulgation. La propriété occulte pose alors un problème de transparence sur la composition de l’actionnariat d’une entreprise.

Grâce au découplage, les hedge funds opèrent donc une instrumentalisation du droit de vote. Les effets du découplage obligent les législateurs et les régulateurs boursiers à s’y intéresser, notamment lorsqu’il est utilisé dans le but de faire baisser la valeur d’une entreprise ou de manière à être préjudiciable pour les autres actionnaires.

Un nouveau défi pour les entreprises
Si les hésitations sont encore nombreuses quant au choix législatif à privilégier pour faire face au découplage, quelques pistes d’action se dégagent:

  • accroître la transparence associée à un contrôle plus grand de l’attribution et de l’exercice du vote des actionnaires;
  • interdire le droit de vote découlant du découplage;
  • renforcer les devoirs de loyauté des actionnaires en regard de l’entreprise;
  • donner aux tribunaux plus de flexibilité pour dénoncer les situations d’abus et de violation du droit.

En somme, la gouvernance d’entreprise est confrontée à un nouveau défi: s’adapter à l’activisme des hedge funds8. Dans la recherche de solutions, il ne faut pas oublier 2 choses:

  1. Ce n’est pas l’activisme qu’il faut condamner dans son ensemble (il permet à chaque actionnaire de faire valoir ses droits et ses intérêts et de défendre certaines valeurs), mais l’une de ses formes, c’est-à-dire l’activisme de nature court-termiste, ayant comme but la simple recherche d’un retour sur investissement et basé sur une stratégie mettant en péril les entreprises.
  2. Si l’activisme des hedge funds est vivement critiqué pour ses conséquences négatives, plusieurs études récentes menées sur la base d’études empiriques en dressent un tableau plus positif. Elles indiquent que les parties prenantes en bénéficieraient, que la durée de détention des actions ne serait pas aussi courte qu’en apparence et que l’action des hedge funds contaminerait positivement les autres actionnaires.

Chose certaine, le statu quo n’est plus tenable aujourd’hui: les hedge funds modernisent peut-être les instruments de l’activisme, mais bouleversent parallèlement des aspects fondamentaux du droit que l’on croyait acquis de longue date. Alors que certains pays ont adopté des lois pour réagir à leur présence (comme la France avec sa loi Florange), la législation n’est pas la seule avenue possible. En ce sens, l’adoption d’une approche globale est à privilégier.

1 Si l’Office québécois de la langue française traduit l’expression « hedge funds » en « fonds spéculatif », « fonds d’investissement spéculatif » ou « fonds de placement spéculatif » ([en ligne: http://bit.ly/2xOguF8]), l’Autorité des marchés financiers renvoie à la notion de « fonds de couverture » (AMF, définition de «Fonds de couverture»).

2 Yvan Allaire, «The Case For and Against Activist Hedge Funds», IGOPP, Montréal, 2014.

3 Sylvie Berthelot, Les fonds spéculatifs et l’activisme actionnarial, conférence présentée dans le Cours DRT-7022 Gouvernance d’entreprise, automne 2016, Faculté de droit, Université Laval.

4 Paul W. MacAvoy et Ira M. Millstein, «The Active Board of Directors and Its Effects on the Performance of the Large Publicly Traded Corporation» (1999) 11-4 J. Applied Corp. Fin. 8, 8.

5 Yvan Allaire, Mihaela Firsirotu et François Dauphin, On becoming an «activist board»… In the age of activist shareholders, IGOPP, Montréal, 2017; Gérard Bérubé, «Un CA activiste», Le Devoir, Actualités économiques. Chroniques, 8 décembre 2016; Diane Bérard, «Et si 2017 était l’année des administrateurs activistes?», Les Affaires; Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu (IGOPP), «On becoming an activist board!», 2013

6 Ira M. Millstein, The activist director. Lessons from the Boardroom and the Future of the Corporation, coll. «Columbia Business School Publishing», New York, University Press, 2016, p. 181.

7 The Conference Board, Guidelines for engagement, Rapport, 2014; Marc Goldstein, Defining Engagement: An Update on the Evolving Relationship Between Shareholders, Directors and Executives, Rapport, New-York, IRCC Institute, 2014.

8 Voir récemment: Wolf-Georg Ringe, The destruction of Equity. Activist Shareholder, Decoupled Risk and Corporate Governance, Oxford, Oxford University Press, 2016.

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