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Automne 2006

À l’école du théâtre

Le théâtre a toujours occupé une place de choix, à l'Université. S'il en a poussé certains vers la scène professionnelle, il a été une expérience marquante pour tous ceux qui s'y sont frottés.

    Québec, été 1967. Dorothée Berryman vient de terminer ses études au collège et travaille au bureau de tourisme pour l’été. Le chum d’une collègue monte une pièce à l’Université Laval et cherche preneuse pour un rôle féminin. Il s’appelle Raymond Bouchard. La jeune femme passe une audition…

«Et j’ai été choisie ! Cet automne-là, Normand Chouinard et Rémi Girard commençaient l’université: on est tous entrés aux Treize la même année.» Pour la comédienne, qu’on a notamment pu voir dans Le déclin de l’empire américain et Les invasions barbares, ce fut la période de tous les apprentissages. «C’est à cette époque que j’ai eu mon premier conflit d’horaire, raconte-t-elle, amusée. Le metteur en scène Jacques-Henri Gagnon, engagé par Les Treize, voulait que je joue dans Mais n’te promène donc pas toute nue de Feydeau, alors que Raymond [Bouchard] montait Le tricycle d’Arrabal, toujours avec Les Treize. J’avais d’abord dit oui à Raymond, mais je voulais faire le Feydeau… Quand j’ai rappelé Raymond, il m’a dit que se rétracter n’était pas “professionnel” (rires) et c’est comme ça que j’ai dû jouer dans sa pièce!»

L’histoire du théâtre à l’Université Laval est parsemée d’anecdotes de ce genre. C’est souvent sur le campus, et au sein de la troupe Les Treize, que la vocation s’est imposée à travers les rencontres, les répétitions et les soirées qui n’en finissent plus. «On était jeunes, on ne savait pas ce qu’on allait donner», se rappelle Raymond Bouchard (La grande séduction, Tabou, Chartrand et Simonne), qui a été directeur de la troupe au milieu des années 1960.
 
Pour lui, tout avait commencé au pavillon Charles-De Koninck. «En arrivant à l’Université, j’avais l’intention d’offrir mes services aux Treize. Mais je n’ai pas eu le temps de le faire. J’étais donc à la cafétéria, un midi, quand le directeur des Treize, Claude Rochette, est venu m’offrir un rôle. Il m’avait vu jouer dans une pièce au collège.» Le jeune étudiant a été touché par cette marque de confiance. «Je suis tombé des nues. À l’époque, je n’avais pas encore décidé d’être acteur.»

D’une génération à l’autre, ces souvenirs éveillent le même enthousiasme. «Ça a été une super belle période», lance le comédien Patrice Robitaille (Les Invincibles, Québec-Montréal, L’horloge biologique), qui a fait du théâtre à l’Université en 1993-1994. «Quand tu restes tard après les cours pour répéter, c’est parce que tu aimes vraiment ça. Il n’y avait pas de paye –juste le bonheur d’être là. C’était formidable!»

C’est en faisant de l’improvisation et du théâtre à l’Université que cet étudiant en communication a rencontré ceux qui allaient devenir ses plus proches collaborateurs à la télévision et au cinéma : le réalisateur Ricardo Trogi, le dramaturge et comédien François Létourneau, les acteurs Jean-Philippe Pearson, Pierre-François Legendre, Rémi-Pierre Paquin… En effet, les futurs Invincibles ont commencé à travailler ensemble au pavillon Maurice-Pollack. «La plupart faisaient de l’impro ; François Létourneau, du théâtre. Moi, dans le fond, je faisais le pont entre les deux.»

En joyeuse compagnie

La troupe Les Treize est née à l’Université Laval, en 1949, sous l’impulsion de Jacques Duchesne, qui allait devenir dramaturge et cofonder le Centre des auteurs dramatiques (CEAD) en 1965. Alors étudiant en sciences commerciales, M. Duchesne avait placé une annonce dans le journal étudiant Le Carabin pour en inviter d’autres à «essayer, en joyeuse compagnie, de faire du théâtre».

La troupe du campus est aujourd’hui une véritable institution. Cette année encore, elle a chapeauté une douzaine de productions requérant quelque 150 comédiens, artisans ou techniciens amateurs, et offert 66 représentations qui ont attiré plus de 6000 spectateurs. L’organisation offre avant tout un appui logistique aux projets qu’elle sélectionne, en plus de leur donner une bonne visibilité et le prestige d’une troupe qui a fait ses preuves. Les étudiants doivent financer eux-mêmes leurs productions, auxquelles ils peuvent associer, s’ils le souhaitent, des metteurs en scène de l’extérieur.

Pour les jeunes créateurs de l’Université, Les Treize demeure un tremplin. «Cela permet à des gens comme moi, sans expérience, d’essayer des choses: au pire, je me plante, mais ça peut aussi donner d’excellents spectacles», résume Geneviève Dionne, une finissante en études théâtrales, qui a mis en scène Le songe d’une nuit d’été de Shakespeare, l’an dernier.

La pièce, qui combinait théâtre et techniques de cirque, lui a valu le prix de la meilleure mise en scène au Gala des Muses, qui honore chaque année la relève artistique à l’Université. L’année précédente, sa troupe a fait une tournée en France avec une pièce d’abord produite sur le campus. Et ce n’est pas fini. La jeune metteure en scène veut continuer à explorer les rapports entre théâtre et cirque: «Nous comptons soumettre un autre projet aux Treize et peut-être fonder une compagnie de théâtre hybride. Avec un peu de sous, nous devrions pouvoir réaliser notre objectif: acheter une grange qui nous servirait de studio de répétition.»

Détour… ou point tournant

Bien sûr, ceux qui passent par Les Treize ne deviennent pas tous acteurs ou metteurs en scène. Un Gilles Vigneault n’a pas fait carrière au théâtre. Et l’expérience de la scène n’a pas empêché l’architecte et urbaniste Serge Viau de devenir directeur général adjoint à la ville de Québec, non sans avoir d’abord cofondé le Théâtre du Bois de Coulonge.

Son ami Claude Cossette, lui, est devenu publicitaire, puis professeur à l’Université Laval. «Je suis peut-être extraverti et théâtral quand je donne des cours, mais je n’ai jamais pensé être un homme de théâtre», précise-t-il. De son passage aux Treize, l’ancien étudiant en beaux-arts retient l’émulation et la camaraderie. «Je suis allé aux Treize parce que j’y avais des amis. Ils m’ont entraîné là pour faire les affiches de la troupe.»

Isabelle Quimper n’est pas non plus devenue comédienne, mais les années passées aux Treize (1993-1999) l’habitent encore. «J’ai beaucoup de beaux souvenirs!» Ses études en enseignement secondaire ont été entrecoupées de rencontres marquantes avec Shakespeare, Goldoni, Kafka et une gang d’amis comédiens. Après avoir œuvré dans le milieu de l’éducation, la jeune femme de 32 ans vient de s’établir avec sa petite famille dans la région du Lac-Saint-Jean où elle occupe un emploi au Centre local de développement (CLD).

«Au départ, j’envisageais de faire du théâtre pour toujours; ça ne s’est pas produit, mais je n’en suis pas du tout déçue», raconte-t-elle en riant avant d’évoquer les précieuses amitiés et la confiance qu’elle a pu développer alors. «Ça m’a permis de créer des liens très forts. Et étant donné qu’il fallait monter les projets nous-mêmes, j’ai développé mes capacités d’organisation. Nous avions beaucoup de liberté. Nous avions vraiment l’impression que notre projet nous appartenait.»

Pour Manon Perreault, qui enseigne le français au Cégep de Sainte-Foy, le théâtre à l’Université a aussi été marquant, et à plus d’un titre. «Moi, mes études universitaires, c’était Les Treize», lance cette diplômée en linguistique et en français, qui a même rencontré son conjoint sur une scène de l’Université. «On jouait un couple qui se séparait ! Disons qu’on a fait dans la vie l’inverse de ce qui se passait dans la pièce.»

Très active aux Treize à la fin des années 1980, Manon Perreault a remporté un prix pour une pièce dont elle était l’auteure. «Avec une amie, Josée Thibault, nous avions écrit et mis en scène Le cercle amoureux. C’était du théâtre gestuel, un peu spécial. Mais aux Treize, on nous avait vraiment supportées. On nous a même poussées à nous inscrire au Festival de théâtre amateur de Victoriaville et nous avons gagné, ce qui nous a permis d’aller en France.»

À l’époque, la jeune étudiante ne savait pas encore ce qu’elle ferait dans la vie. Jusqu’à ce qu’elle rencontre Danielle Drolet, également des Treize, qui venait de fonder un institut artistique pour enfants. «J’avais déjà été monitrice de camp et elle m’a engagée pour donner des ateliers de théâtre aux enfants. C’était ma première expérience de pédagogie. Je ne savais pas ce que c’était que d’enseigner.»

Un programme et un labo

Si Les Treize y domine le paysage théâtral, le campus compte d’autres troupes, tel Côté Cour, organisation fondée par les étudiants de droit, il y a 20 ans. Une façon pour eux de mettre à l’épreuve leurs talents d’orateurs. «Dans le théâtre, il y a tout le côté plaidoirie du droit; c’est une façon de pratiquer l’éloquence», note Marie-Chantale Bisson, qui participe à la production de Côté Cour pour une deuxième année.

Les études théâtrales contribuent, elles aussi, à la vitalité des arts de la scène à l’Université. «Nous sommes à la croisée des chemins, puisqu’en plus de la mineure et de la majeure en théâtre, nous offrons depuis peu le baccalauréat, signale Robert Faguy, professionnel de recherche au Département des littératures. Ça continue de se développer et la demande est en hausse.»

Ces études, qui ont donné une base solide à de multiples créateurs, critiques, enseignants et chercheurs, ont aussi formé plusieurs responsables des communications et gestionnaires des théâtres institutionnels de la Capitale. «Depuis deux ans, le baccalauréat en théâtre est associé au profil entrepreneur, reprend M. Faguy. Les étudiants peuvent donc créer de nouvelles entreprises ou, du moins, connaître le fonctionnement des entreprises en théâtre, tout en maîtrisant les règles de droit et de management.»

Robert Faguy est également coordonnateur du Laboratoire des nouvelles technologies de l’image, de la scène et du son (LANTISS), qui a ouvert ses portes il y a deux ans. Le Laboratoire fait le lien entre la recherche fondamentale en sciences et le milieu du théâtre. Par exemple? «J’ai un projet avec le professeur Clément Gosselin, du Département de génie mécanique. Nous avons constitué une scène miniature qui permet de faire des pré-mises en scène avec des marionnettes. J’ai aussi codirigé une maîtrise en physique optique, en lien avec le théâtre.»

Le projet LANTISS témoigne bien de la fluidité des échanges entre l’Université et le milieu du théâtre professionnel. Partenaire de la compagnie de Robert Lepage, Ex Machina, et du centre Avatar, qui fait partie du complexe Méduse, LANTISS a commencé à recevoir des artistes québécois et étrangers en résidence. M. Faguy assure que les échanges avec l’extérieur devraient se développer au cours des années à venir.

Voilà en somme, un acte de plus dans cette longue épopée qu’est l’histoire du théâtre à l’Université Laval. Une histoire sur laquelle le rideau n’est pas près de tomber…

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Lisez le témoignage de trois diplômées sur l’état du théâtre au Mexique, en Australie et en Suisse.

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