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Printemps 2007

Des perles dans les sous-bois

Plantes indigènes et champignons pourraient donner un coup de pouce à l'économie des régions, pourvu qu'on arrive à les mettre au coeur d'une agroforesterie réfléchie...

Un écho nouveau porteur de richesses et d’espoir s’élève des sous-bois et résonne aux quatre coins du Québec. À l’est et au nord de la province, là où l’agriculture s’est toujours fait tirer l’oreille et où la foresterie traîne de la patte, et même dans certaines régions du sud du Québec boudées par la fortune, les projets qui visent la culture d’espèces oubliées ou négligées poussent littéralement comme des champignons.

Ceux qui voient dans les plantes indigènes et dans les champignons forestiers des perles dont la récolte assurera le salut économique de leur région sont-ils des rêveurs ou des visionnaires? Des chercheurs de l’Université tentent de mettre un peu de science et de réalisme dans cette filière agroforestière –la science qui marie les cultures et les arbres– présentée, à tort ou à raison, comme une bouée de sauvetage économique pour les régions

La manne du Nord

Lorsque J.-André Fortin parle de champignons sauvages, c’est l’urgence d’agir qu’on entend en filigrane. Et pour cause  il y aurait des millions de dollars de champignons qui poussent et qui pourrissent chaque année dans les forêts de la Gaspésie, de la Côte-Nord, de l’Abitibi et de la Jamésie. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’en janvier 2006, ce professeur du Département des sciences du bois et de la forêt alertait le Québec au sujet d’une éventuelle explosion de morilles dans les régions dévastées par les grands feux de forêts de 2005.

Les résultats de l’Opération morilles 2006 devaient lui donner raison. Les cueilleurs, qui ont ratissé à peine 5% des zones brûlées, ont rapporté deux tonnes de morilles. Sur le même territoire, une quantité équivalente a été perdue sur pied. «Cela donne une production potentielle de 80 tonnes, soit 6 millions$, pour l’ensemble du territoire brûlé lors de cette année exceptionnelle, calcule-t-il. En moyenne, on parle d’environ 25 tonnes de morilles par an.» Ajoutez à cela la production de chanterelles, de russules, de bolets, de pleurotes et de matsutake et vous avez une activité qui peut générer 25 millions$ chaque année au Québec, assure le chercheur.

Et il y aurait moyen de faire encore mieux, comme le montrent les recherches qu’il mène avec son collègue du Département, Yves Piché, et l’étudiante au doctorat Caroline Rochon. Les chercheurs ont profité de l’abondance des champignons forestiers du Domaine de la rivière Mistassini, un territoire de 120 ha situé au Lac-Saint-Jean, pour déterminer les conditions écologiques dans lesquelles s’épanouissent la chanterelle et la dermatose des russules. «En caractérisant leur habitat, nous pourrons non seulement repérer plus facilement les milieux propices à ces champignons, mais nous pourrons aussi aménager la forêt pour créer des habitats favorables à ces espèces», souligne Caroline Rochon.

L’intérêt pour la récolte des champignons forestiers comestibles est palpable en régions, estime J.-André Fortin, mais cette industrie naissante se heurte à deux problèmes: l’absence de tradition québécoise en cueillette de champignons et la difficulté de recruter des cueilleurs. C’est pour cette raison qu’il a mis sur pied, avec d’autres passionnés, l’Association pour la commercialisation des champignons forestiers afin d’inciter les régions à tirer profit de cette manne de façon durable. «C’est garanti que si la récolte des champignons sauvages est faite sans contrôle, on risque de détruire la ressource comme on l’a fait avec l’ail des bois et le ginseng, commente Yves Piché. Par contre, si c’est développé avec intelligence, il ne devrait pas y avoir de problèmes.»

Éleveurs de perles

Le pillage de sites qui abritent des espèces à valeur commerciale n’est malheureusement pas nouveau, comme le démontre le cas du ginseng à cinq folioles. Le commerce de cette plante indigène, qui possède des vertus tonifiantes semblables à celles du ginseng oriental, venait juste derrière celui des fourrures dans l’économie de la Nouvelle-France pendant la première moitié du XVIIIe siècle. Les populations sauvages en ont payé le prix: il ne resterait plus aujourd’hui que quelques dizaines de colonies naturelles de cette espèce dans tout le Québec.

Presque partout au Canada, la culture au champ a remplacé la cueillette forestière du ginseng. Au Québec, des expériences de culture en érablières, réalisées par Alain Olivier et l’étudiante-chercheuse Isabelle Nadeau du Département de phytologie, ont amorcé un virage vers la production de cette plante en milieu forestier. Grâce à l’expertise acquise lors de ces recherches agroforestières, Isabelle Nadeau a créé Ginseng Boréal, une firme qui fournit conseils et matériel aux personnes intéressées par la culture forestière de cette plante. Depuis dix ans, plusieurs centaines de propriétaires de boisés se seraient lancés dans cette production, avec un inégal succès. «Ceux qui pensaient faire fortune sans travailler se sont trompés, affirme Isabelle Nadeau. Par contre, ceux qui y mettent les efforts et le temps en tirent un bon revenu parce que c’est l’espèce agroforestière pour laquelle il existe le meilleur marché.»

Le même scénario de pillage était sur le point d’être rejoué avec les plantes médicinales et ornementales indigènes, allègrement prélevées en milieu naturel pour approvisionner leur marché respectif. «Parce que ces plantes croissent et se propagent très lentement, il était plus simple et moins coûteux d’en récolter dans la nature plutôt que de tenter d’en faire la culture, explique Line Lapointe, du Département de biologie. Cette pratique, interdite par la loi depuis 2005, ne pouvait pas durer parce qu’elle menaçait la survie des populations naturelles.»
 
Depuis cinq ans, Line Lapointe et Alain Olivier dirigent un projet interuniversitaire qui vise à mettre au point des méthodes de culture forestière pour ces capricieuses espèces. Il n’est pas simple de convaincre la nature de produire en abondance ce qu’elle livre habituellement avec parcimonie… Les essais effectués en serres et sur le terrain sur des plantes médicinales (actée à grappe, caulophylle faux-pygamon, sanguinaire, gingembre sauvage, bois piquant et polygale sénéca) et sur des plantes ornementales (adiante pédalée, fougère-à-l’autruche, trille blanc, érythrone) ont permis de préciser les exigences écologiques de chaque espèce pour assurer leur croissance optimale.

Malgré certains succès, notamment avec la fougère-à-l’autruche (matteucie), la multiplication de la plupart des espèces reste toutefois problématique. Surtout chez les plantes à fleur comme le trille et le caulophylle. «Même après trois années de culture, les plants sont encore trop petits pour fleurir», souligne Line Lapointe. L’équation est simple: pas de fleurs, pas de multiplication par graines.

La seule façon de produire suffisamment de plants pour démarrer des cultures dignes de ce nom est donc le bouturage à partir du rhizome, la «racine» de ces plantes. «Chez les espèces de petite taille, on ne peut produire que trois ou quatre plants à partir d’un plant mère», précise-t-elle. Le hic, outre la lenteur du procédé, est qu’il faut prélever des plantes dans le milieu naturel pour partir la chaîne, et leur nombre doit être suffisamment élevé pour assurer une certaine diversité génétique. «Le défi d’accélérer et d’augmenter la production de graines chez ces espèces devra être relevé si l’on veut à la fois développer cette activité agroforestière et conserver les populations sauvages de ces espèces», résume la professeure.

La semi-domestication de plantes indigènes possédant des propriétés médicinales n’intéresse pas uniquement les entreprises de produits naturels. La compagnie Bioxel Pharma, qui commercialise des produits contenant des taxanes –des molécules anticancéreuses provenant des aiguilles et des branches de l’if du Canada– s’est associée au professeur Jacques-André Rioux, du Département de phytologie, pour une étude sur la culture de ce conifère arbustif. Sa production au champ assurerait un approvisionnement constant en matière première tout en évitant à cette espèce de subir le même sort que son cousin, l’if de l’Ouest, menacé en raison de la surexploitation des taxanes de son écorce.

L’économie de la nature

Toutes ces espèces montrent bien que l’agroforesterie en est à ses premiers pas chez nous. Comme bien d’autres pays développés, le Québec a mis du temps à s’intéresser à ce mariage nature-culture, constate Alain Olivier. À partir du moment où l’agriculture québécoise a fait le choix de la spécialisation et de la monoculture, les arbres ne cadraient plus dans le décor.

Selon lui, l’intérêt soudain pour ce secteur tient à deux facteurs: un certain désarroi dans les régions devant un modèle de production agricole qui ne fonctionne que dans le sud du Québec et une prise de conscience qu’on peut retirer autant sinon plus de dividendes d’une forêt debout que d’une forêt coupée. «L’agroforesterie crée de grandes attentes en région­, mais il faut se garder de la présenter comme un nouvel eldorado, prévient-il. Il ne s’agit pas simplement de semer des graines à la volée dans les sous-bois et de récolter les plantes quelques années plus tard. Ce sont des productions qui exigent soins et travail, et il faudra encore beaucoup de recherche avant d’atteindre le plein potentiel de chaque espèce.»

Les régions pourront-elles y trouver le tonus qui revigorera leur économie? «L’agroforesterie permet de diversifier l’activité économique d’une région sans devoir dépenser des millions, fait valoir le professeur. Je crois qu’il y a un potentiel pour certaines espèces, dans certains milieux, et nous devrions miser sur les productions biologiques pour nous distinguer de la concurrence. Mais il est clair que tout le monde ne pourra pas se lancer là-dedans. Il faut envisager l’agroforesterie comme un complément de revenus dans un contexte autre que l’agriculture industrielle.»

Pour bien mesurer les retombées économiques de cette filière, il faudra utiliser un cadre comptable plus englobant, ajoute-t-il. Par exemple, beaucoup de terres en friche obstruent présentement la vue sur le fleuve en Gaspésie. L’installation sur ces terres de systèmes agroforestiers comprenant des feuillus nobles et des arbustes fruitiers comme l’amélanchier (ou arbre à poires) générerait plus de richesses que les produits qu’on en tirerait parce qu’en créant une percée visuelle sur le Saint-Laurent, on donnerait une valeur ajoutée au paysage dont profiterait toute l’industrie touristique. «Pour rendre pleinement justice au potentiel de l’agroforesterie, les analyses devront tenir compte des biens et services environnementaux qu’elle génère dans toute la collectivité.»

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 LA CHICOUTÉ SUR LE GÂTEAU

Il n’y a pas que sous couvert forestier qu’on tente de domestiquer les plantes indigènes. Au cours des 15 dernières années, Line Rochefort et ses collaborateurs ont mis au point une technique qui permet de reconstituer des écosystèmes fonctionnels dans les tourbières abandonnées après exploitation des dépôts de tourbe. Adoptée par l’industrie canadienne de la tourbe, cette méthode repose sur la formation d’un tapis de mousses sur le sol nu. Mais, puisqu’on y est, pourquoi ne pas donner une valeur ajoutée à ces milieux en y faisant également pousser de la chicouté, plante typique des tourbières des régions boréales, proposent la chercheuse et sa collègue Line Lapointe.

La chicouté produit un fruit ambré dont les gens de la Côte-Nord tirent confitures et tartes destinées à leurs plaisirs gourmands ou à ceux des touristes. Depuis quelques années, l’espèce a accru sa renommée grâce à une liqueur fabriquée par la Maison des futailles et distribuée sous le nom de Chicoutai par la Société des alcools du Québec. Certains rêvent de faire de la chicouté le prochain petit fruit cultivé du Québec. Grosse commande pour cette modeste plante peu productive à laquelle les deux chercheuses arrachent petit à petit les secrets qui garantiront le succès de sa culture en tourbières.

«Les Scandinaves ont une expérience de plusieurs décennies en culture de la chicouté, mais il a fallu revoir les règles qu’ils appliquent chez eux parce qu’elles ne fonctionnaient pas très bien ici», explique Line Rochefort. Les résultats ne sont pas encore spectaculaires, mais la chercheuse croit néanmoins que d’ici dix ans, les cultures de chicouté dans les tourbières naturelles ou restaurées feront partie du paysage de la Côte-Nord.
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