Le magazine Contact

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Hiver 2009

Employés stressés, entreprises malades

Chaque année, des milliers de travailleurs s'absentent pour épuisement psychologique. Y a-t-il un remède, docteur ?

Au Canada, les problèmes de santé psychologique au travail coûtent jusqu’à 35  milliards  $ par année aux entreprises. L’équivalent d’une fois et demie le budget du ministère québécois de la Santé! Voilà qui devrait inciter les compagnies à veiller au bien-être de leurs employés, elles qui ont à assumer une large part de ces coûts. Pourtant, au Québec, les absences au travail pour motif de santé psychologique ont augmenté de 150 % en 10 ans, et l’épuisement professionnel semble endémique dans certains secteurs…

Serait-ce donc vrai que «travailler, c’est trop dur», comme le chante Zachary Richard? «Le travail est bon pour la santé, insiste le professeur Jean-Pierre Brun, titulaire de la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail à l’Université Laval. Ce qui est mauvais, ce sont les conditions de travail inadéquates.» Ses dernières recherches visent d’ailleurs à permettre aux entreprises de calculer les coûts du stress au travail et à les aider à prévenir ce problème. Contact s’est entretenu avec le spécialiste pour dresser un portrait de la situation.

Qu’est-ce qui provoque le stress psychologique au travail?

Les trois causes qui ressortent le plus sont la charge de travail, le manque de reconnaissance et le manque de soutien de la part de l’employeur. Si vous êtes surchargé, si votre travail n’est pas reconnu et s’il y a des conflits dans votre milieu de travail, vous avez tous les ingrédients pour qu’apparaissent les problèmes psychologiques, qui sont responsables de 35 à 60 % des absences au travail.

Comment le stress peut-il dégénérer en problème de santé mentale?

Le stress est surtout causé par l’insatisfaction. Si vous travaillez très fort sur un projet et qu’on ne vous félicite pas ou, pire encore, qu’on fait juste souligner la petite phrase qui n’était pas correcte, c’est décourageant et démoralisant. La reconnaissance, c’est comme un moteur pour la santé. Ça nous aide dans les moments difficiles, ça nous encourage à persévérer. Ça agit aussi sur la relation qu’on a avec le patron. Si votre supérieur souligne uniquement ce qui ne va pas, je ne suis pas sûr que vous aurez le goût de travailler pour lui bien longtemps.

Un employeur peut considérer que les problèmes personnels de ses employés ne le regardent pas.


Il faut le convaincre du contraire! Ça passe par trois leviers. Premièrement, le levier économique: les problèmes de santé au travail coûtent de l’argent en assurance invalidité et en perte de rendement. Ce sont les employeurs qui paient. Souvent les absents ne sont pas remplacés, alors il y a une baisse de productivité, car la charge de travail est répartie dans le reste de l’équipe. Et il y a aussi ce que j’appelle le présentéisme, les gens qui continuent de travailler, mais qui ne vont pas bien et qui ne donnent pas 100 % de leur rendement. C’est plus coûteux parce qu’il y a beaucoup plus de présentéisme que d’absentéisme.

Deuxièmement, le levier juridique: l’employeur est tenu de s’assurer que le milieu de travail ne nuit pas à la santé physique et mentale de ses employés. Et troisièmement, il y a un argument humain ou social: si l’employeur améliore son organisation du travail, les employés vont s’en porter mieux, c’est clair.

Mais en quoi est-ce si impor­tant pour l’entreprise que ses employés se sentent bien?

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, l’amélioration du bien-être au travail est essentielle si les organisations veulent garder leurs employés. La santé doit être un critère de décision d’affaires. Si les employés ne sont pas bien, le service à la clientèle et la qualité du travail vont en souffrir. Il faut donc passer de la «gestion des ressources humaine» à une  gestion «plus humaine des ressource», pour reprendre un jeu de mots que j’utilise souvent.

Constatez-vous une évolution en ce sens?

Oui, j’ai remarqué une grande prise de conscience au cours des dix dernières années, et de moins en moins de préjugés. Beaucoup d’entreprises manifestent une volonté grandissante d’améliorer le bien-être de leurs employés. L’Université Laval en est un bel exemple. Il y a une politique de prévention des problèmes de santé mentale au travail, et un comité mixte employeur-employés a été mis sur pied en 2002. À la suite des interventions, on a pu constater une baisse des absences, tant en fréquence qu’en durée, ainsi que des économies d’assurance salaire. En fait, de plus en plus d’organisations prennent des mesures pour améliorer les choses.

Comment expliquer, alors, la hausse importante des congés de maladie depuis 10 ans?

Je ne dis pas que tous les problèmes sont réglés. Nous sommes aujourd’hui à un tournant: on se rend compte qu’on a assez pressé le citron et qu’il ne reste plus de jus. Par rapport à il y a 10 ou 15 ans, la charge de travail s’est intensifiée, les délais sont plus serrés et on doit produire plusieurs choses en même temps. Les technologies de communication amènent une surabondance d’information à traiter, un phénomène appelé «infobésité». On est joignable partout et il faut répondre rapidement. Maintenant, les gens vous envoient un courriel, et si vous n’avez pas répondu dans la journée, ils trouvent que vous n’êtes pas efficace.

Reste que les conditions de travail se sont améliorées depuis l’époque de nos grands-parents, et qu’on ne parlait pas d’épuisement professionnel dans leur temps…

Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas le problème qu’il n’existe pas. Nos grands-parents ne nommaient pas le problème de la même manière. Il faut dire aussi qu’à cette époque il y avait une frontière entre le travail et la vie privée. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Par exemple, il n’est pas rare que les gens travaillent le soir et la fin de semaine. Et il n’y avait pas autant de changements dans les entreprises. À la longue, c’est épuisant quand on est toujours en train de revoir les manières de faire.

Se pourrait-il qu’investir dans la santé psychologique au travail ne fasse que retarder les problèmes de personnes vulnérables?

Non, parce qu’on sait que les personnes qui ont des problèmes de santé mentale liés à l’emploi ne sont pas nécessairement des gens vulnérables. Au contraire, ce sont des hyperperformants, qui travaillent toutes les fins de semaine et livrent à temps tout ce qu’ils font, mais dont le travail empiète sur leur vie personnelle… Ce sont des gens qui gèrent mal leur vie. Et ça finit par causer des problèmes.

Que peuvent faire les employeurs pour éviter d’en arriver là?

Concrètement, il faut agir sur les principaux facteurs de risque: alléger la charge de travail, donner plus de reconnaissance et plus de soutien. Souvent, ça passe par des pratiques bien simples: des réunions d’équipe, l’évaluation des employés, une présence du patron. Ce qu’il faut, surtout, c’est une bonne communication entre l’employeur et les employés. C’est comme dans un couple: ça ne peut pas fonctionner si on ne communique pas.

La génération des «enfants-rois» pourrait-elle améliorer les choses?

Ça peut apporter des changements positifs parce que beaucoup de jeunes de la nouvelle génération veulent justement une meilleure conciliation entre le travail et la vie privée. Ma génération ne savait pas nécessairement établir la limite entre les deux. Aujourd’hui, les gens le savent beaucoup plus et ont plus tendance à en parler.

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Lisez le témoignage de trois diplômés sur les conditions de travail dans les coins du monde où ils habitent: France, Alberta et Colombie-Britannique.
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