Le magazine Contact

La zone d'échanges entre l'Université Laval,
ses diplômés, ses donateurs et vous

Le magazine Contact

Hiver 2014

Grandeur et limites du sociofinancement

Sur le Web, le financement de projets et même d’entreprises par le grand public suscite un réel engouement.

Photo Jean-Marie Villeneuve, Le soleil

Les deux filles de la famille Fillion, Chloée et Marie-Laure, ont augmenté le nombre de ruches qui donnent vie à leur petite entreprise grâce à la plateforme de sociofinancement La Ruche.

L’idée n’est pas nouvelle: demander un petit montant d’argent à un grand nombre de personnes pour matérialiser un projet. Mais les moyens, eux, le sont?! À l’ère du Web 2.0, pareil appel à la générosité passe par une plateforme Internet et déborde largement l’entourage immédiat. Le sociofinancement?–crowdfunding comme disent les Français ou encore financement participatif–?permet d’amasser des sommes parfois impressionnantes pour les projets les plus divers en échange de petits avantages offerts aux contributeurs. Avec la multiplication des sites comme La Ruche, Haricot, Kickstarter, Indiegogo et autres, la formule connaît un essor sans précédent. Le président-directeur général d’Entrepreneuriat Laval, Yves Plourde, s’intéresse à cette forme de financement pour l’émergence de projets et le développement de compétences entrepreneuriales à l’Université Laval. Contact l’a interviewé.

Le sociofinancement est-il une avenue intéressante pour qui veut démarrer une entreprise ou réaliser un projet?
Oui, pour deux raisons. Le futur entrepreneur peut recueillir des fonds, tout en validant la pertinence de son produit. Vous pouvez faire une brillante étude de marché et présumer que votre produit correspond à la clientèle ciblée, cela reste théorique. La meilleure façon de le vérifier, c’est d’avoir déjà des clients, des per-sonnes qui acceptent de mettre de l’argent dans votre projet avant même sa sortie. Et ça, le sociofinancement le permet!

Il existe plusieurs plateformes Internet de financement collectif. Vous y annoncez votre projet d’entreprise, déterminez un objectif de financement et offrez, si votre entreprise réussit à prendre son envol, de petits avantages à vos contributeurs –par exemple un remerciement personnalisé, un service ou encore un échantillon gratuit. Que vous atteigniez ou non l’objectif fixé au départ, vous aurez une «étude de marché» qui vous aura peu coûté.

Yves Plourde

Yves Plourde

Même en cas d’échec, on est gagnant alors?
En tout cas, si vous n’avez pas atteint votre objectif, vous aurez au moins acquis une expérience intéressante en franchissant les différentes étapes du processus: vous aurez mis en place un outil de communication, une stratégie de commercialisation, vous saurez si votre offre correspond à la clientèle ciblée et vous verrez mieux ce qui constitue un projet vendeur par rapport à un autre qui ne l’est pas. Cela vous permettra d’améliorer le produit ou le service offert.

Quel genre d’entreprise ou quel type de projet peuvent le mieux profiter du sociofinancement?
Recueillir de l’argent auprès du public constitue une solution intéressante surtout pour les projets difficiles à financer par les banques. En fait, on trouve de tout sur les sites qui s’y consacrent, notamment beaucoup de projets en art (littérature, musique, cinéma…) et en nouvelles technologies. Les exploits sportifs ne sont pas en reste, comme celui de Mylène Paquette qui a amassé 27?000$ par la plateforme Fundo sur les 45?000$ qu’elle demandait pour sa traversée à rame de l’Atlantique. Certains l’utilisent aussi pour permettre à une microcompagnie d’acheter de l’équipement. Je pense à cette petite entreprise familiale d’apiculture urbaine –Filion & filles, de Québec– qui a obtenu un peu plus de 7000$ sur un objectif de 5300$ avec le site La Ruche pour, justement, ajouter des ruches aux trois qu’elle possédait déjà dans la cour arrière de la maison. Mais ce ne sont pas tous les projets, loin de là, qui atteignent leur objectif.

Pourrait-on dire qu’il s’agit d’une forme de microcrédit?
Tant que les montants en jeu demeurent minimes, oui. Mais ce n’est évidemment plus le cas lorsque des entrepreneurs réussissent à lever des millions de dollars, comme on voit sur la plateforme américaine Kickstarter. D’ailleurs, aux États-Unis, le sociofinancement est en voie de devenir une solution de rechange aux institutions financières. Les Américains ont légiféré sur la prise de capital-actions par ce canal et sont en train d’instaurer des balises, de sorte qu’il soit possible pour une entreprise d’émettre des actions ou d’effectuer des prêts avec intérêt par appel sur le Web. On parle alors de socio-investissement. 

Au Québec, on est loin de là?
Ce n’est pas encore permis chez nous, mais cela va venir, assurément. Et de toute façon, la plateforme Kickstarter est déjà accessible aux Canadiens. Pour l’instant, le phénomène n’est pas dérangeant pour les banques d’ici, mais s’il le devient, ces institutions vont certainement réagir. C’est clair qu’une législation devra être mise en place. D’ailleurs, l’Autorité des marchés financiers suit la situation de près. C’est un beau phénomène à observer.

Le sociofinancement comme on le connaît jusqu’à maintenant est-il bien implanté ici?
C’est un phénomène grandissant, qui va évoluer vers d’autres formes plus élaborées et qui est là pour durer. Les plateformes vont se diversifier et se spécialiser. C’est déjà un peu le cas, d’ailleurs. Par exemple, La Ruche est réservée aux projets qui contribuent à?l’économie et au rayonnement de la région de Québec.?Entre son lancement au printemps et la fin de l’année 2013, plus de 70?000$ y ont été récoltés par une quinzaine de projets réussis sur une trentaine présentés.

Autre évolution à prévoir: il y aura bientôt des spécialistes du sociofinancement, des personnes dont le métier sera d’aider à mettre en place des campagnes de financement sur le Web. Il pourrait très bien s’agir de diplômés en graphisme, en communication, en marketing, en informatique… On verra la naissance d’une nouvelle entreprise de service.

Quelle est la clé du succès pour qui veut recueillir des fonds par Internet?
Comme pour n’importe quel entrepreneur, votre produit doit correspondre à ce que désire votre public cible. Vous devez toucher une corde sensible de ceux que vous sollicitez, que ce soit pour financer la fabrication d’une montre intelligente ou d’un télescope spatial (Kickstarter), publier un roman ou permettre à des sympathisants d’appuyer la cause ou l’exploit de votre vie. Après tout, ce que vous demandez, c’est un peu du love money, un geste de philanthropie, en retour bien souvent d’un simple bisou virtuel.

Quels sont les dangers possibles de la formule?
J’en vois peu, en fait. Pour l’entrepreneur, le désavantage serait de mettre beaucoup d’efforts, de temps et peut-être d’argent dans un projet qui ne lèverait pas. Selon la plateforme choisie, dans le cas où il n’atteint pas l’objectif de financement fixé au départ, soit il ne touche rien, soit il encaisse l’argent mais doit payer une commission aux administrateurs de la plateforme, comme c’est le cas pour les projets qui obtiennent tout le montant demandé.

Pour le contributeur, l’inconvénient serait que le projet ne se réalise pas même si l’objectif de financement a été atteint. Mais comme les montants consentis sont la plupart du temps assez petits… Bien sûr, il y a un certain risque de fraude, par exemple que des gens malhonnêtes lancent une plateforme de financement inter-national qui encaisserait dons et commissions avant de disparaître subito d’Internet sans laisser de traces. Mais le danger n’est pas plus grand qu’ailleurs. Ce genre de fraude, il y en a partout où de l’argent circule! Pour les achats en ligne, nous faisons confiance aux fournisseurs. Pourquoi n’aurions-nous pas confiance aussi au sociofinancement?

Chez Entrepreneuriat Laval, encouragez-vous les étudiants à recourir à cette forme de financement?
Notre rôle est d’aider les membres de la communauté universitaire à se lancer en affaires en démarrant leurs entreprises. Un volet important pour eux, bien sûr, c’est la recherche de financement. Or, dans notre perspective, le sociofinancement est un des outils qu’ils peuvent mettre dans leur trousse pour trouver des fonds. Jusqu’à maintenant, aucun projet n’a émané de chez nous. Mais nous donnons à La Ruche visibilité et accès à nos entrepreneurs. Nous avons même organisé une activité «Ruche Académie» en décembre –une soirée où 10 projets présélectionnés ont été publiquement jugés par des conseillers liés à La Ruche. 

Ce ne sont pas toutes les entreprises en démarrage qui recourront à ce nouveau type de commercialisation, mais le sociofinancement s’ajoute maintenant à l’ensemble des moyens qui peuvent les conduire à la réussite. 

***
Les mains dans les plats
Cyane Tremblay et Sophie Grenier-Héroux sont propriétaires de la boutique La folle fourchette qui a pignon sur avenue, la 3e, dans le quartier Limoilou (Québec). Passionnées de popote, les deux femmes voulaient réunir dans un même lieu outils de cuisine et connaissances culi­naires sous forme d’ateliers pour adultes et enfants.

Elles ont utilisé la plate­forme de sociofinancement La Ruche, en 2013, pour mener à bien ce projet. Leur objectif: amasser 3000$. Au final, c’est près de 6000$ qu’elles ont récoltés, venant d’amis, de la famille, mais surtout de parfaits inconnus. L’aventure a été pour elles enrichissante et motivante. Au-delà de l’argent amassé, elles ont vécu une expérience humaine significative. Entrevue avec ces deux diplômées: http://bit.ly/MvNWnv

***
Lisez les témoignages de trois diplômés sur l’état du sociofinancement au Japon, aux États-Unis et au Mexique. 

Haut de page
  1. Publié le 30 octobre 2016 | Par Eloise A.





    Super article, merci! Je me permets d'attirer votre attention sur un très beau projet actuellement en cours de sociofinancement.

    Il s'agit du projet Serre d'abondance, qui a déjà collecté plus de 30 000$ en 24 heures sur la plateforme Ulule! Il s'agit d'un projet pour sociofinancer une méthode inédite de serre domestique et atteindre ainsi l'autonomie alimentaire. C'est un magnifique projet québécois et un bel exemple de campagne de sociofinancement, particulièrement bien animée! À découvrir!

    J'ai déjà participé à une bonne dizaine de campagnes de sociofinancement à titre personnel et je trouve ce principe extrêmement intéressant pour créer du lien et permettre à de nouveaux projets d'éclore. C'est un mouvement vraiment très inspirant, j'espère que le projet Serre d'abondance vous en convaincra!
  2. Publié le 1 mars 2014 | Par Michel Savard

    Très intéressant

Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.

commentez ce billet

M’aviser par courriel des autres commentaires sur ce billet