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Hiver 2009

La religion, de retour après la pause

Après un long purgatoire, la religion a reconquis l'attention des médias. Doit-on anticiper un rapprochement entre l'Église et l'État?

En septembre dernier, le cardinal Jean-Claude Turcotte, archevêque du diocèse de Montréal, jetait un pavé dans la mare. Scandalisé par la nomination du Dr Henry Morgentaler, partisan du droit à l’avortement, à l’Ordre du Canada, le prélat catholique renonçait publiquement à sa propre médaille d’officier. Et ce, en pleine campagne électorale…

Qui l’eût cru? La religion revient sous les feux de la rampe. Alors qu’à Québec, le cardinal Marc Ouellet remet au goût du jour les processions à l’occasion du Congrès eucharistique international 2008, la France découvre la laïcité positive de son président Nicolas Sarkozy, fier de recevoir à Paris cet automne le pape Benoît XVI. Doit-on comprendre que l’Église revendique une place accrue dans les affaires publiques?

Oui et non, répond Robert Mager. Le professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses constate que les fidèles, au même titre que les autres groupes d’intérêt, ont pris conscience qu’ils avaient avantage à occuper l’espace public et à y tenir un rôle médiatique. Par contre, ils ne cherchent pas tant à imposer leurs idéaux qu’à faire valoir leurs droits. «C’est ce que font, par exemple, les associations de parents catholiques, qui revendiquent d’abord pour elles-mêmes», explique-t-il. Ces gens demandent le retour de la religion à l’école en achetant de la publicité dans les journaux ou en lançant des sites Web. Guy Jobin, titulaire de la chaire Religion, spiritualité et santé à la Faculté de théologie et de sciences religieuses, remarque pour sa part un net changement. «Signe des temps, Mgr Ouellet a sa propre attachée de presse, et l’évêché dispose d’une station télé en ligne qui lui permet de s’affirmer de façon nouvelle», précise-t-il.

Certains groupes religieux sortent des placards où on les avait peut-être trop vite relégués. Jusqu’aux évêques allemands qui recommandaient récemment aux catholiques de prendre la parole et de faire connaître leur foi. Comment interpréter cette nouvelle attitude? Comme une américanisation de la société, les associations confessionnelles s’adonnant au lobbying depuis longtemps chez nos voisins du sud? (Voir plus bas «Pendant ce temps, aux États-Unis…»)

Guy Jobin voit plutôt dans ce phénomène l’expression d’une recherche d’identité. «En Occident, explique-t-il, différents groupes revendiquent une appartenance, qu’elle tourne autour de l’orientation sexuelle, de la culture ou de la religion. Les collectifs de fidèles se comportent donc en groupes de pression, luttant pour la reconnaissance de leur identité.» La pratique juridique des accommodements raisonnables illustrerait bien cette tendance. Si un règlement quelconque nuit à l’expression de sa foi, le croyant a l’impression de ne pas être reconnu en tant qu’individu appartenant à un groupe. C’est pourquoi le port du voile, la prière sur les lieux de travail ou d’étude ainsi que les menus casher dans les hôpitaux font un tabac au téléjournal.

Cette attitude pourrait bien marquer un tournant dans l’Histoire. Souvenez-vous. En 1787, les pères de la Constitution américaine séparent clairement la politique de la religion, par crainte de ce qu’ils qualifient alors de «tyrannie des factions». Ils souhaitent protéger la démocratie des intérêts des groupes religieux. La France, pour sa part, vote en 1905 la loi Combes, qui proclame la séparation de l’Église et de l’État.
Le Québec, lui, s’affranchit progressivement de la tutelle ecclésiastique au cours des années 1950 et 1960. Cependant, la présence religieuse ne disparaît pas par magie des institutions publiques. Selon Guy Jobin, la rupture totale avec la religion, qu’on a souvent associée à la Révolution tranquille, relève davantage du mythe que de la réalité historique. «Il ne faut pas oublier le rôle important joué par les élites religieuses dans la sécularisation de l’appareil étatique et de la société, qu’il s’agisse des Dominicains ou des Jésuites. C’est un monseigneur qui a signé le rapport Parent donnant naissance au ministère de l’Éducation», souligne-t-il.

Cette foi éclairée est-elle encore au goût du jour? Certains groupes affichent un repli sur soi qui détonne par rapport à la saine tradition chrétienne, remarque Guy Jobin. «On ne fait plus de distinction entre le bien commun et sa propre tradition morale. Implicitement, ce qui est bon pour nous est bon pour les autres.»

Le théologien donne un exemple. En 1966, le gouvernement libéral s’interroge en comité parlementaire: faut-il maintenir les sanctions juridiques contre ceux qui font la promotion des moyens de contraception? Sollicités, les évêques jugent que cet article de loi n’est pas applicable. Autrement dit, même si leur doctrine interdit l’utilisation de contraceptifs, ils considèrent que les citoyens ont le droit de recevoir de l’information à ce sujet. Quarante ans plus tard, en 2005, les évêques se présentent devant la commission sénatoriale examinant le projet de loi C-38, qui concerne les unions entre conjoints de même sexe. Ils se prononcent alors en faveur du mariage traditionnel entre un homme et une femme, arguant qu’il en a toujours été ainsi.

La politologue Pauline Côté, qui suit avec attention les liens entre les politiques publiques et la religion depuis 20 ans, ne s’inquiète pas outre mesure des prises de position parfois bruyantes des groupes de fidèles. «Il ne faut pas mesurer la force d’une croyance en fonction de sa présence dans les controverses, fait valoir celle qui a supervisé la rédaction du recueil La nouvelle question religieuse (éditions Peter Lang, 2006). La norme demeure la sécularisation. Et si la religion nous frappe, c’est qu’elle est hors norme.»

Pour la directrice du Département de science politique, il s’agit essentiellement d’une façon d’attirer l’attention des médias, sans que cela n’influence l’action des gouvernements. Comme dans le cas du débat sur les accommodements raisonnables où des groupes ultra-minoritaires ont pris position sur des scandales montés en épingle, qu’il s’agisse de la présence de femmes voilées dans les rues de Montréal ou des fameuses vitres givrées du YMCA d’Outremont, posées pour empêcher de jeunes juifs hassidim d’apercevoir les clientes en tenue de sport.

Si les politiciens prennent parfois position lors des débats religieux, ce serait pour donner l’impression d’agir. À en croire Pauline Côté, leur action resterait symbolique. «Regardez ce qui s’est passé en France avec la controverse sur le port du voile à l’école, lance-t-elle. Jacques Chirac, talonné par l’extrême-droite aux présidentielles de 2002, a mis à son agenda le sujet de prédilection de son adversaire; mais, finalement, les écoles appliquent un règlement déjà existant. La différence, c’est que les positions se sont polarisées et que les familles subissent plus de pression.» Le théologien Robert Mager constate lui aussi que les formations politiques ont tendance à utiliser les groupes religieux pour asseoir leur crédibilité. «Cela fait leur affaire de montrer qu’ils sont à l’écoute de la société», constate-t-il.
Reste que certaines personnes peuvent nourrir des inquiétudes face à ce changement d’attitude. Des groupes de femmes, notamment, craignent une remise en question du principe d’égalité des sexes. «Je ne crois pas qu’un État totalitaire chrétien se mette en place demain matin, réplique Guy Jobin. Il faut se montrer attentif, cependant, aux risques de dérapage. L’histoire récente des Balkans a montré que l’amalgame entre l’identité et la religion peut potentiellement être dangereux.»

***
PENDANT CE TEMPS, AUX ÉTATS-UNIS…

Imaginez la scène. En août dernier, le pasteur baptiste Rick Warren, fondateur de l’Église californienne Saddleback, interroge publiquement les deux candidats à l’élection américaine. Dans un long entretien, il examine la foi, les croyances et les valeurs personnelles de Barack Obama et de John McCain. Ici, ces méthodes inspirées du confessionnal auraient l’air incongru. On aurait du mal à se représenter Jean Charest et Pauline Marois face à Mgr Ouellet!

Cet épisode important de la campagne présidentielle made in USA illustre bien la prédominance du discours religieux dans un pays pourtant laïque par sa constitution. Il montre aussi que les Républicains n’ont plus l’apanage de l’affirmation religieuse.
 
Si des candidats démocrates comme John Kerry ou Al Gore considéraient que la religion relevait de la sphère privée, Barack Obama n’hésite pas à afficher ouvertement sa pratique chrétienne. «C’est évident que la religion tient une place importante dans sa vie, confirme Jonathan Paquin, professeur adjoint au Département de science politique et spécialiste des États-Unis. Cependant, je pense qu’il y a aussi une part de calcul politique dans cette attitude. Obama savait très bien que cela lui permettrait d’aller chercher des électeurs supplémentaires. Dans son cas, il était également important de montrer qu’il n’était pas musulman, malgré son deuxième prénom, Hussein.»
 
Durant la campagne de 2008, les Démocrates ont donc ciblé certaines catégories de croyants, exactement comme les Républicains avaient l’habitude de le faire. Aux deux élections précédentes, le parti de l’éléphant avait mis le paquet pour séduire les chrétiens évangéliques, qui représentaient presque un tiers des fidèles en 2007. Ces conservateurs s’opposent à l’avortement, au mariage gai de même qu’à la recherche sur les cellules souches. Ainsi, lors de la campagne présidentielle de 2000, Karl Rove, le conseiller de George W. Bush, avait eu l’idée d’intégrer au bulletin de vote une question référendaire sur l’avortement. Mobilisés, les chrétiens de droite avaient afflué aux bureaux de scrutin, en choisissant bien sûr le candidat républicain qui s’en remettait à Dieu pour les questions sociales. En 2008, cependant, John McCain a eu plus de difficultés à mobiliser cet électorat qui le jugeait trop modéré. D’où l’arrivée de Sarah Palin, chargée de faire les yeux doux aux conservateurs.

Pourquoi les partis politiques s’intéressent-ils tant aux croyances des électeurs américains? Tout simplement parce que les organisations religieuses jouent un rôle essentiel dans cette société civile souvent inquiète face à l’intervention de l’État. «La classe moyenne américaine se définit en grande partie par son appartenance à une communauté religieuse où se nouent les relations sociales, remarque Jonathan Paquin. Depuis quelques années, la transformation des normes sociales a favorisé la droite chrétienne, qui reproche aux progressistes de se montrer trop conciliants.»
 
Reste à savoir si les discours mystiques à la God bless America ont un véritable avenir. L’alliance religion-politique serait sur son déclin aux États-Unis, croit la politologue Pauline Côté. Les groupes chrétiens pacifistes ont désavoué les Républicains, et la crise politique et financière discrédite la précédente administration.

Jonathan Paquin, lui, se montre moins affirmatif. «À court terme, je ne pense pas que les mouvements religieux vont se démobiliser sur les questions politiques, dit le chercheur. Par contre, si les Républicains choisissent en 2012 un candidat modéré, moins tourné vers ce type de regroupements, cela pourrait faire diminuer le poids politique de la religion aux États-Unis.»

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