Le magazine Contact

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Le magazine Contact

Automne 2006

Les robots sont parmi nous

Plus souvent machines-outils qu'humanoïdes, les robots sont nombreux. Et l'invasion ne fait que commencer!

    Sous les cris de 60 000 amateurs de soccer déchaînés, le gardien de but brésilien Dida repère sa cible, effectue un long dégagement et, comme prévu, Ronaldhino s’empare du ballon. Dans une prestation qui tient à la fois de l’art, de la magie et de la perfection du geste sportif, l’athlète se lance dans un ballet de dribbles qui étourdit la défensive adverse. Du coin de l’œil, il aperçoit Ronaldo, démarqué, qui fonce au but.

En une fraction de seconde, son cerveau compile les données: la vitesse de son coéquipier, la distance qui les sépare, la trajectoire et la tension qu’il doit donner à sa passe, le point d’impact, et tout ceci pendant qu’il est lui-même en pleine course. Contact! Le ballon quitte son pied et s’élève en arc de cercle juste au-dessus d’un défenseur. Ronaldo bondit et, de la tête, redirige la passe parfaite dans la lucarne. But Brésil!

Considérant la complexité des équations qui décrivent une telle séquence de jeu, la puissance de calcul nécessaire pour les résoudre instantanément et l’agilité biomécanique requise pour exécuter chacun de ces gestes, on ne peut s’empêcher de penser que seule la machine humaine peut accomplir pareil prodige. Pourtant, dans des universités aux quatre coins du monde, notamment à l’Université Laval, des étudiants et des professeurs se sont lancés dans une entreprise connue sous le nom de RoboCup, dont le but est de concevoir et de fabriquer d’ici 2050 une équipe de robots capable de vaincre les champions en titre de la Coupe du monde de soccer.

Sottise! clameront non seulement les sportifs, mais aussi toutes les personnes déçues qui ont grandi en croyant dur comme fer que, dans un avenir prochain, les robots allaient nous dispenser des tâches ennuyeuses et répétitives de la vie. Les robots semblent nous avoir fait faux bond pour ce grand rendez-vous.

À qui la faute? À la légèreté de la science-fiction? À la prétention de la science? À la complicité qu’entretiennent ces deux créatures qui se nourrissent l’une de l’autre?

Un mythe millénaire

Il est certain que beaucoup d’œuvres de science-fiction –qu’on pense au cycle des robots d’Isaac Asimov ou aux films La Guerre des étoiles, L’homme bicentenaire et Intelligence artificielle– ont cultivé l’idée que les humains étaient appelés à vivre avec des robots humanoïdes amis ou ennemis, commente Richard St-Gelais, professeur au Département des littératures. Mais pour ce spécialiste de paralittérature, la science-fiction n’a fait là que répercuter le mythe millénaire du golem.

Décrit pour la première fois dans le livre des Psaumes, le golem est une créature d’apparence humaine, façonnée dans l’argile, qui prend vie lorsque son créateur inscrit un verset biblique sur son front. Au départ petit et servile, il croît rapidement et peut se retourner contre son créateur. «Aujourd’hui, la technique a remplacé la mystique, mais une chose demeure: nous sommes à la fois fascinés par l’idée de créer un être à notre image à partir de matière inanimée et effrayés par la possibilité qu’il utilise ses pouvoirs contre nous.»

Les ancêtres des robots humanoïdes sont apparus en Europe au XVIIIe siècle alors que des horlogers-mécaniciens de génie créaient des automates dotés de mécanismes complexes leur permettant de jouer d’un instrument de musique. Il s’agissait essentiellement d’objets de curiosité qui servaient à divertir», précise Clément Gosselin, professeur au Département de génie mécanique et directeur du Laboratoire de robotique.

Au milieu du XXe siècle, les premiers robots industriels font leur apparition et ils n’ont rien d’humain. «Ce sont des machines-outils contrôlées à l’aide de relais électromécaniques, explique-t-il. Les ingénieurs ont réussi des choses étonnantes avec ce système, considérant les contraintes de l’époque.»

De là sont nés la plupart des robots qui partagent notre quotidien. En effet, malgré les apparences, nous sommes entourés de robots. Pas ceux de type humanoïde comme Asimo de Honda et ses semblables, qui servent essentiellement d’agents de relations publiques pour leur manufacturier, mais des robots qui font honneur à l’étymologie du terme: des travailleurs esclaves (de robotnik, travailleur en polonais, et robota, travail d’esclave en tchèque).

Nos maisons sont remplies de machines automatiques qui accomplissent des tâches en exécutant une séquence prédéterminée d’actions: du modeste grille-pain au robot nettoyeur de piscine, en passant par la machine à laver, la sécheuse, le lave-vaisselle, le robot culinaire et l’aspirateur-robot. «Ce n’est évidemment pas sous ces traits que la science-fiction présentait les robots de l’avenir, mais la science-fiction n’est pas une science prédictive», souligne Richard St-Gelais.
 
Les robots ont aussi pris leur place sur le marché du travail. Le premier robot industriel a entrepris sa carrière sur une chaîne de montage de General Motors en 1961, mais il a fallu attendre la mise au point du microprocesseur, dans les années 1970, et le développement de la microinformatique, dans les années 1980, pour assister à un véritable robot boom. «Ces innovations ont levé la principale limitation des robots, estime Clément Gosselin. C’est comme si on leur avait greffé un cerveau.»

Esclaves serviles ou ennemis potentiels?

Aujourd’hui, il existe plus de 900 000 robots industriels à travers le monde et leur taux de croissance annuel approche 10%. Dans l’industrie automobile, un travailleur sur dix est un robot. Comme leur coût de production diminue et que le coût de la main-d’œuvre augmente, la tendance à la robotisation n’est pas près de s’essouffler dans les pays industrialisés.

Les robots sont-ils en voie de retourner leurs pouvoirs contre les travailleurs en les jetant à la rue? «C’est la grande question», répond Sophie D’Amours, professeure de génie industriel au Département de génie mécanique. En effet, l’industrie de la robotique est un secteur en développement qui crée de l’emploi, mais sa finalité est de remplacer des travailleurs. «Les pays développés n’ont pas vraiment le choix, estime-t-elle toutefois. Pour faire face à la concurrence des pays où les salaires sont très bas, ils doivent trouver moyen de réduire la part de la main-d’œuvre dans le coût de fabrication de leurs produits. Les robots sont l’une des planches de salut qui s’offrent à eux pour assurer le maintien de leur développement économique.»

Cependant, il ne suffit pas de remplacer des travailleurs par des robots pour trouver le chemin de la prospérité, prévient-elle. «Les robots doivent servir à fabriquer des produits à haut savoir ajouté que des humains auraient du mal à faire avec efficacité.»

Les robots ne menacent pas uniquement les emplois des travailleurs: ils menacent aussi leur sécurité physique. En raison même des tâches qu’on leur assigne et de la productivité qu’on attend d’eux, les robots sont dotés de puissants moteurs qui leur confèrent une grande force et une accélération de mouvements élevée, explique Clément Gosselin. «S’ils se dérèglent, certains types de robots peuvent blesser gravement et même tuer un être humain. C’est pourquoi il y a présentement ségrégation physique entre les travailleurs et les robots dans les usines.»

L’absence de collaboration entre les deux groupes a cependant une incidence sur la productivité des entreprises. «Pour que des robots puissent assister des humains dans un même environnement de travail, il faut qu’ils soient puissants mais inoffensifs. C’est un défi mécanique qui n’est pas impossible à relever, mais qui exige des compromis technologiques. Il faut repenser les robots industriels en profondeur.» Le chercheur entreprend d’ailleurs un projet de cinq ans avec General Motors afin d’explorer des avenues favorisant un travail concerté entre humains et robots.

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que la science ne livre les robots qu’elle nous a implicitement promis. Tous les systèmes –mécanique, intelligence artificielle, intégration des composantes, capacité de réagir à des situations imprévues– restent à améliorer, estime Clément Gosselin. La vitesse des progrès permettra-t-elle à une équipe de robots de vaincre les meilleurs joueurs de soccer au monde en 2050? «À l’heure actuelle, je ne parierais pas pour l’équipe de robots, admet-il. Mais si on mesure les progrès accomplis par la robotique depuis 40 ans et si on considère qu’il reste autant de temps devant nous, je ne parierais pas contre les robots non plus.»

***

DES PIEDS ET DES MAINS… ROBOTISÉS


    Le moindre obstacle constitue une barrière infranchissable pour la plupart des robots sur roues. C’est ce qui a poussé l’étudiant-chercheur Mathieu Goulet et le professeur Clément Gosselin à mettre au point un robot marcheur capable de se déplacer en terrain accidenté, encombré ou dangereux. Pour concevoir cette créature tout-terrain, les chercheurs ont procédé par biomimétisme, en modélisant puis en simplifiant le système locomoteur de la fourmi.
 
Le résultat est un petit robot à six pattes, Hexapode, qui parvient à se mouvoir et à assurer sa stabilité par l’action coordonnée de ses 18 moteurs. Il se distingue des autres robots marcheurs par l’éventail des mouvements programmables qu’il peut exécuter et par sa stabilité.

Non seulement ce robot est-il petit, agile et fort comme la fourmi dont il s’inspire, mais l’analogie pourrait être poussée encore plus loin par la création de castes de robots. «On pourrait avoir des robots agiles qui feraient office d’éclaireurs et d’autres plus forts pour transporter les instruments ou rapporter des échantillons», avancent les chercheurs. Évidemment, on est encore loin de cette société de robots.

«Nous avons franchi l’étape de la marche et le reste est encore à faire, reconnaît Clément Gosselin. Si Hexapode était un humain, ce serait un enfant de deux ans. Mais un enfant avec beaucoup de potentiel.»

La poigne de SARAH

Pour accomplir une mission complexe, un robot doit non seulement se déplacer, mais il doit pouvoir manipuler des outils ou des objets. C’est pour cette raison que les chercheurs du Laboratoire de robotique consacrent une partie de leurs travaux à la préhension chez les robots.

Leur plus spectaculaire réalisation, SARAH (Self-Adaptive Robotics Auxiliary Hand), prêtera main-forte aux opérations de démantèlement d’installations nucléaires en Grande-Bretagne. La United Kingdom Atomic Energy Authority fera appel à ce préhenseur développé au Laboratoire pour accélérer la manutention de déchets entreposés dans un centre de recherche sur l’énergie nucléaire fermé en 1990. Le nettoyage de ce site se fait par télé­opération pour éviter les contacts directs des humains avec les déchets radioactifs, et la méthode employée jusqu’à présent imposait de fréquents changements de préhenseurs.

À l’aide de ses trois doigts articulés, SARAH peut saisir et soulever des objets lourds et rigides comme une brique ou un madrier, des petits objets plus fragiles comme une bague ou une balle de tennis ou encore des objets mous ou de forme irrégulière comme une éponge ou un gant de baseball.

Cette main baladeuse pourrait aussi prendre le chemin de l’espace. En effet, l’Université a accordé une licence à MDA (MacDonald, Dettwiler & Associates), une entreprise spécialisée en robotique spatiale qui a notamment mis au point le bras canadien dont sont équipées les navettes spatiales américaines.

 Présentement, le bras canadien est doté d’un préhenseur formé de deux mâchoires rudimentaires. «Notre main lui permettrait d’accomplir des tâches qui lui sont impossibles pour l’instant», soutient Clément Gosselin. MDA caresse aussi un autre projet qui mettrait SARAH à contribution: la réparation de satellites défectueux en orbite autour de la Terre.

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