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Hiver 2008

Québec, 400 ans plus tard

Portrait de la septième ville en importance au Canada, où se côtoient patrimoine et économie du savoir.

La bourgade fondée par Champlain en 1608 a pris bien du volume au cours des quatre derniers siècles. Vue du ciel, l’agglomération de Québec ressemble aujourd’hui à une vaste demi-lune de plus de 3000 km2 étalée sur la rive nord du fleuve, avec un petit débordement du côté sud.

D’abord, il y a l’axe Québec–Sainte-Foy, nouveau centre de l’agglomération, avec les fonctions patrimoniales et administratives à un bout, et la nouvelle économie à l’autre. Entre ces deux pôles, une belle continuité que dessert un service de transport en commun efficace. Puis il y a le croissant pont Pierre-Laporte–pont de l’Île d’Orléans, qui contourne la colline de Québec au nord et constitue presque une entité socioéconomique autonome. La consommation de masse s’y mêle à une industrie de services et de haute technologie pourvoyeuse d’emplois… et de cauchemars pour qui doit s’y rendre en autobus. Enfin, viennent les banlieues, proches et lointaines, d’où convergent chaque matin des milliers d’automobiles profitant de l’un des réseaux autoroutiers les plus développés au pays.

Ce qui supporte toute cette géographie mouvante, c’est une population de 700 000 personnes, incluant Lévis sur la rive sud ; près d’un million, si l’on compte tout Chaudière-Appalaches. «Bref, une métropole de grosseur moyenne (septième au Canada), plutôt homogène, vieillissante (âge médian de 40 ans, le plus élevé parmi les grandes villes canadiennes) et vouée à un bel avenir… si l’on prend de bonnes décisions», résume Paul Villeneuve, membre actif du Centre de recherche en aménagement et développement (CRAD) de l’Université.

Patrimoine et modernité

L’agglomération a beaucoup changé depuis 40 ans, observe M. Villeneuve. Son centre n’est plus le quartier historique et les édifices gouvernementaux, mais toute la colline Québec–Sainte-Foy, qui constitue en quelque sorte une île entre le fleuve et la dépression Limoilou–Cap-Rouge. Sur cette colline, «qui donne tout son charme à la région», le patrimoine et la modernité non seulement cohabitent, mais se fécondent mutuellement, selon le professeur.
 
D’un côté, centres de recherche et établissements de haut savoir comme l’Université Laval s’intègrent sans heurts à la trame résidentielle et commerciale. De l’autre, le Vieux-Québec (même presque vidé de ses résidants) et le siège du gouvernement demeurent des symboles attrayants, tandis qu’une riche vie de quartier se déploie tout autour. «On craignait une fracture entre ces deux pôles, Québec et Sainte-Foy, note M. Villeneuve, mais ce qui est en train de se produire à la faveur des fusions municipales récentes, c’est une belle continuité où cohabitent différentes fonctions tout le long de l’axe et où l’on constate une intégration poussée.»

En plus des éléments présents sur la colline elle-même, cette intégration inclut, à l’ouest, le parc technologique et, à l’est, le quartier Saint-Roch, qui  connaît une formidable re­vitalisation depuis 10 ans. La population de l’arrondissement de la Cité (les plus vieux quartiers de Québec) a crû de 3000 habitants (5%) entre 1996 et 2001, et cela est en bonne partie attribuable à la renaissance de Saint-Roch. Cette croissance s’est cependant stabilisée par la suite, peut-être parce que l’habitation est devenue beaucoup plus chère dans le secteur, soupçonne M. Villeneuve.

Mais ce qui a surtout contribué à changer le visage de Québec depuis 40 ans, c’est l’impressionnant réseau d’autoroutes qui s’est tissé à la périphérie des quartiers centraux. Avec 21 km par 100 000 habitants, l’agglomération est trois fois mieux pourvue en autoroutes que Montréal ou Toronto, souligne Marie-Hélène Vandersmissen, professeure au Département de géographie et membre du CRAD. «La construction d’un tel réseau dans les années 1970, dit-elle, constituait carrément une invitation à aller résider en banlieue.»

Message reçu

Et le message a été compris, ajoute Carole Després, professeure à l’École d’architecture, directrice du CRAD et cofondatrice du Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues (GIRBa). Certes, les banlieues de la première et de la deuxième couronnes (Beauport, Charlesbourg, Duberger, Neufchâtel…) étaient là avant la construction de ce réseau autoroutier. Sauf qu’elles se sont passablement étendues par la suite. Et à la faveur d’un contexte économique permettant entre autres l’achat d’une deuxième voiture, les banlieusards ont poussé de plus en plus loin à compter des années 1990. La première couronne vieillissante s’est même dépeuplée en partie au profit des nouvelles banlieues. «On était prêt à passer trois quarts d’heure dans son auto, deux fois par jour, pour revenir entendre couler une petite cascade dans sa cour arrière», caricature Mme Després.
 
Si bien qu’on ne sait plus trop, aujourd’hui, où finit la ville et où commence la campagne. «Mais nos banlieues ont plus d’âme qu’aux États-Unis, se console la directrice du CRAD, car elles ont presque toutes été créées autour d’un village. Seul Duberger a poussé directement dans le champ.»

N’empêche qu’elles sont toutes plus ou moins dessinées selon le même modèle : maisons unifamiliales détachées (de plus en plus grosses à mesure que s’implantent les nouveaux développements), rues larges sans trottoirs, verdure toute en pelouse, monofonctionnelles et, surtout, complètement dépendantes de l’automobile. Des autobus se rendent dans les banlieues et relient même certaines d’entre elles, surtout dans l’axe Lebourgneuf, convient Marie-Hélène Vandersmissen. Mais leur fréquence est si faible et les trajets si longs qu’il faut une patience infinie pour s’en remettre à ce transport collectif.
 
Pas d’auto, moins de boulot

D’ailleurs, presque tous les foyers de banlieue possèdent au moins une voiture. Le problème, c’est que beaucoup de personnes dans ces ménages n’ont pas accès à l’auto. Notamment les enfants et les adolescents, principaux utilisateurs du transport en commun dans les quartiers mieux desservis, qui préfèrent de toute façon être véhiculés par papa et maman en banlieue. «Je connais des mères qui ont choisi de demeurer au foyer pour faire du taxi familial à temps plein», assure Carole Després.

Lorsqu’il n’y a qu’une auto dans le ménage, les mères ont d’ailleurs moins accès à l’emploi que le mari, indique Mme Vandersmissen qui a réalisé plus d’une étude sur la question. Pour les jeunes aussi, et même pour ceux des quartiers centraux, la voiture est souvent déterminante dans l’accès à l’emploi. Combien accepteront de faire une heure d’autobus matin et soir pour se rendre travailler dans l’un des nombreux magasins-entrepôts de la périphérie? Ces power centers –regroupements de magasins géants–, responsables de la fermeture de bien des commerces de proximité et qui mettent à mal les petits centres commerciaux, sont eux-mêmes des excroissances des autoroutes urbaines.

S’ils contribuent au renforcement des axes autoroutiers, ces nouveaux power centers n’aident en rien à combler les vides résidentiels entre les banlieues dispersées, selon Carole Després. Ils ne favorisent pas non plus le développement de centres économiques multiples comme il y en a à Montréal (Laval, Longueuil, Ville-Saint-Laurent).

Pas de retour pour la banlieue

Faudrait-il donc rêver d’une banlieue plus «urbaine», plus dense, avec plus de services? La démographie actuelle ne soutiendrait pas une telle densification, pense la directrice du CRAD, sauf peut-être pour des accommodements intergénérationnels impliquant, par exemple, l’ajout d’une maisonnette pour les parents sur la propriété.
 
Ramener les banlieusards en ville, alors? «Les rurbains, comme nous appelons les résidants des banlieues lointaines, ne reviendront pas massivement vers les quartiers centraux, répond Mme Després. S’ils vivent où ils sont, c’est qu’ils aiment cela.» Certes, avec le ralentissement démographique, l’étalement ne pourra se poursuivre indéfiniment. Mais rien n’indique que l’appétit pour la rurbanité et pour la voiture va s’atténuer. L’augmentation de 15% de la circulation sur les autoroutes de l’agglomération entre 1996 et 2000 (dernier portrait disponible) est assez éloquente à cet égard.

Au moins, on ne devrait plus construire de nouvelles autoroutes, prévoit Marie-Hélène Vandersmissen: «Pour des raisons d’environnement entre autres, ce n’est plus dans les cartons des décideurs.» Témoins le récent prolongement de l’autoroute Robert-Bourrassa (ex-Du Vallon) en boulevard urbain et le boulevard Champlain complètement remanié en une artère conviviale.

Tout un programme!

Ce qui est dans les cartons, c’est plutôt une amélioration du service de transport en commun. Le Réseau de transport de la capitale (RTC) projette notamment de compléter une boucle avec son réseau Métrobus à grande fréquence, en y ajoutant deux parcours sur les axes Loretteville–Les Saules–Sainte-Foy et Les Saules–Lebourgneuf–Beauport. Éventuellement, le circuit pourrait même s’étendre à la rive sud. Tout cela serait excellent, analyse Paul Villeneuve, car le parcours Métrobus, achalandé à toute heure du jour, constitue vraiment un avantage pour les personnes qui résident à proximité. À tel point que la valeur des maisons situées aux abords du circuit a augmenté, selon une étude effectuée par le CRAD. M. Villeneuve n’hésite d’ailleurs pas à parler de l’existence de deux villes distinctes à Québec: celle du Métrobus et celle des autoroutes. «L’enjeu, dit-il, c’est l’atteinte d’un certain équilibre entre ces deux zones.»

En fait, le véritable enjeu, selon le professeur, c’est la qualité de vie de l’ensemble de l’agglomération. Il faut offrir le choix des moyens de déplacement partout sur le territoire, éviter un trop grand embourgeoisement des quartiers centraux et favoriser une meilleure équité sociale, notamment par une accessibilité physique à l’emploi égale pour tous. On doit aussi revitaliser les premières banlieues, rendre toutes les banlieues et les artères qui les desservent plus conviviales –entre autres pour accommoder une population vieillissante– et intégrer davantage les deux rives, par exemple en transférant à Lévis certains emplois gouvernementaux.

Tout un programme! Mais qui est loin d’être hors de portée, estime M. Villeneuve. «La capitale du Québec connaîtra une croissance plutôt lente au cours des prochaines années, dit-il. Avec tous ses atouts, elle peut néanmoins rester vigoureuse et offrir une très bonne qualité de vie tout en demeurant, à l’échelle canadienne, une métropole viable. Et même enviable!»

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